L’inflation globale a montré des signes de ré-accélération

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Selon James Athey d’abrdn, l'inflation globale – et plus inquiétant, l'inflation sous-jacente – montre des signes tenaces de ré-accélération.

L’inflation se montre plus tenace qu’attendu. Dans la zone euro, la hausse des prix s’est maintenue à 8,5% en février sur un an, après 8,6% en janvier, alors que les économistes s’attendaient à un recul plus marqué, selon des chiffres publiés début mars. En Suisse, où l’inflation est pourtant très inférieure à celle observée dans les pays voisins, le renchérissement est resté élevé le mois dernier avec une hausse des prix qui a atteint 3,4% sur un an en février (3,3% en janvier), selon des chiffres publiés lundi. C’est davantage que ce qui était attendu par le consensus. Comment interpréter la persistance de l’inflation durant les premiers mois de l’année et que faut-il attendre pour le reste de 2023 ? Tour d’horizon avec James Athey, directeur d’investissement au sein de l’équipe Global Rates chez abrdn.

En début d’année, la question de savoir si l’économie mondiale pouvait réaliser un atterrissage en douceur ou si le ralentissement serait plus abrupt a été longuement débattue. Quel est le scénario de base chez abrdn pour la suite de l’année 2023?

Dans notre scénario de base, une récession constituerait l’issue la plus négative. Parmi les principaux aspects à considérer, nous pensons que l’importance du niveau d’endettement est sous-estimée actuellement. Quant à l’inflation, son évolution reste difficile à anticiper. Il y a quelques mois encore, l’action de la Réserve fédérale américaine semblait assez prévisible. Actuellement, c’est moins le cas. Je pense même qu’il y a un risque non négligeable que la Fed assouplisse sa politique monétaire trop rapidement, avant que l’inflation ne soit véritablement sous contrôle. Si la politique monétaire était trop vite assouplie, il pourrait y avoir un second pic d’inflation qui pourrait s’avérer nettement plus dommageable pour l’économie.

«Si la politique monétaire était trop vite assouplie, il pourrait y avoir un second pic d’inflation qui pourrait s’avérer nettement plus dommageable pour l’économie.»
Le recul des prix du pétrole, comparé à ses niveaux de l’an dernier, ne devrait-il pas entraîner une atténuation des pressions inflationnistes, aux Etats-Unis comme ailleurs?

Différents facteurs sont à prendre en compte. Aux Etats-Unis, l’épargne commence à diminuer – les gens ont à nouveau dépensé une partie des économies qu’ils avaient accumulées durant la pandémie. C’est plutôt quelque chose qui devrait réduire la consommation à terme. La population tend à se concentrer davantage sur les dépenses essentielles telles que la nourriture ou le logement. S’agissant de l’inflation à proprement parler, c’est toutefois l’évolution de la situation sur le marché du travail qui sera la plus décisive pour l’inflation aux Etats-Unis. Les tensions sur le marché du travail sont avant tout influencées par l’offre. La pénurie de personnel sur le marché du travail a augmenté de manière dramatique – et il est difficile de savoir exactement pourquoi. C’est peut-être dû au fait que la longue période de faibles taux d’intérêt a permis à une large partie de la population d’accumuler davantage d’épargne, permettant à davantage de personnes d’arrêter plus tôt de travailler. Cette création de richesse a pu inciter une partie de la population à prendre leur retraite plus rapidement.

Depuis le début de l’année, beaucoup de grandes entreprises, notamment celles de la «Big Tech», ont annoncé d’importantes vagues de licenciement. Cela ne va-t-il pas contribuer à rééquilibrer le marché du travail?

Dans l’environnement de taux d’intérêt très bas qui a prédominé jusqu’à fin 2021, l’argent quasi gratuit a conduit à une allocation erronée du capital dans de nombreux domaines. Lorsque l’argent coule à flot, personne ne regarde les coûts. Maintenant, les entreprises commencent à regarder leurs coûts beaucoup plus attentivement. L’accent est désormais placé sur le contrôle des coûts, non plus sur la hausse des revenus obtenue à n’importe quel prix. C’est pourquoi il faut continuer à s’attendre à davantage de licenciements non seulement dans le secteur des technologies mais aussi dans la finance et chez les entreprises actives dans des secteurs cycliques. Quant à savoir quelle influence cela aura sur l’évolution du niveau des salaires et sur celui des prix en général, il faut encore rester prudent à ce sujet.

«La récente hausse des marchés correspond typiquement à une expansion des multiples de valorisation.»
En Europe, l’inflation s’avère tenace. En Allemagne, l'indice des prix harmonisés, qui sert de référence pour la Banque centrale européenne (BCE), a même augmenté de 9,3% en février en comparaison annuelle, alors que les analystes sondés par Bloomberg s'attendaient à un taux de 9%. Faut-il s’inquiéter de la persistance de l’inflation à un niveau élevé dans la zone euro?

Le quatrième trimestre de 2022 avait laissé espérer que l'inflation avait atteint son pic et que les banques centrales et les marchés obligataires avaient donc vu le pire. Les données publiées jusqu’à présent en 2023 ont toutefois jeté un froid sur cette hypothèse, ce qui est inquiétant pour tous. L'inflation globale - et plus inquiétant, l'inflation sous-jacente - a montré des signes de ré-accélération, ce qui rendrait toute tentative d’entamer un pivot vers une position plus «dovish» comme simplement intenable pour les principales banques centrales. C'est potentiellement en Europe que cette tendance est la plus évidente et, compte tenu des fragilités connues, la plus inquiétante.

Alors que l’inflation décélère moins vite qu’attendu et que le risque de récession ne peut pas être ignoré, comment expliquez-vous la nette remontée des principaux indices boursiers en Europe et aux Etats-Unis en janvier et février?

A mes yeux, la récente hausse des marchés correspond typiquement à une expansion des multiples de valorisation. Elle ne résulte en tout cas pas d’une hausse des bénéfices des entreprises. En outre, le marché s’est aussi construit une forme de narratif autour du plafond qui sera prochainement atteint dans le cycle de resserrement des taux d’intérêt des banques centrales – un scénario qui, à mon avis, comporte encore de nombreuses inconnues.

Au final, les risques pour la conjoncture sont-ils plus importants du côté de l’Europe ou des Etats-Unis?

La possibilité d’une récession est plus imminente aux Etats-Unis. Cela ne signifie pas pour autant que l’économie américaine, qui a souvent su rebondir rapidement, se trouve dans une plus mauvaise position que l’Europe. Au contraire, les risques sont nettement plus importants en Europe actuellement. Le chômage caché est plus important en Europe. La dette des gouvernements est très élevée en France et en Italie, ce qui limiterait la possibilité de mettre en place des programmes de relance budgétaire. Et en plus de cela, la Banque centrale européenne (BCE) ne semble pas du tout sur le point de vouloir recommencer à abaisser ses taux d’intérêt. L’Union européenne a ainsi moins de capacité à pouvoir conduire sa propre relance.

A lire aussi...