Décarboner l’immobilier

Julien Boissier, abrdn

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Le réchauffement climatique et le durcissement des réglementations forcent le secteur immobilier à changer.

Le secteur immobilier connaît l’une des périodes de mutation les plus profondes de son histoire. La nécessité de s’adapter au changement climatique et de décarboner entraînent de bouleversements majeurs. Quant au conflit ukrainien et la hausse des coûts des énergies fossiles, ils ont renforcé la nécessité de décarboner. Il est dès lors capital d’anticiper les retombées de la transition vers une neutralité carbone, si l’on souhaite atténuer son impact sur les investissements.

La dynamique s’accélère

La pression sur les gestionnaires s’accentue quant à la réduction des émissions provenant de leurs actifs. Les changements extrêmes de l’environnement à travers le monde et la pression des politiques, des investisseurs et autres régulations les poussent à modifier leur approche. Alors que l’immobilier représente environ 40% des émissions mondiales de CO2, l’immobilier commercial est au centre de toutes les attentions. Ce dernier a un rôle majeur à jouer dans la limitation du réchauffement de la planète.

Une tendance est en train d’apparaitre, où les actifs immobiliers les plus respectueux de l’environnement peuvent faire l’objet d’une prime, tandis que ceux qui ne le sont pas, une décote.

Alors que l’objectif net zéro pour les bâtiments est indiscutable, les moyens et les méthodes pour y parvenir restent encore flous et les politiques insuffisantes. La mise en place de diverses normes non contraignantes telles que le Better Building Partnership, le World Resources Institute et le World Green Building Council, ont tenté de pallier ce manque. Mais bien que leur intention soit louable, elles sont souvent contradictoires. Et faute d’une définition commune de la neutralité carbone, elles renforcent la confusion.

Prime contre durabilité

Toutefois, une tendance est en train d’apparaitre, où les actifs immobiliers les plus respectueux de l’environnement peuvent faire l’objet d’une prime, tandis que ceux qui ne le sont pas, une décote. Un durcissement des normes de performance écologiques accélère l’obsolescence des bâtiments. Mais le fait de mesurer les primes sur les loyers, la diminution des périodes de vacance et la hausse des prix des actifs plus écologiques devraient rester difficile, compte tenu du peu de données disponibles.

Des normes contradictoires

La dépendance actuelle à l’égard des Certificats de performance énergétique (CPE) en Europe illustre certains des problèmes posés par le cadre réglementaire actuel. Les CPE peuvent être utiles en fournissant des informations sur la consommation d’énergie théorique d’un bien, mais ils ne disent rien sur sa consommation réelle. Les principales réglementations de l’Union européenne (UE) sur la finance durable reposent dans une large mesure sur ces CPE. Mais les modalités d’application de ces concepts par les différents Etats membres rend presque impossible toute comparaison entre pays. Ainsi un même bâtiment sera efficace ou inefficace (dans le cadre du Règlement SFDR), durable ou non-durable (dans le cadre de la classification de la Taxinomie de l’UE des activités durables), simplement en fonction du pays dans lequel il est situé.

Estimer l’impact

Mais alors, quel est le coût attendu de la décarbonation de l’immobilier? Personne ne le sait. L’hétérogénéité de cette classe d’actif et l’incertitude liée à la trajectoire recommandée vers la neutralité carbone le rendent difficile à évaluer. Plusieurs facteurs auront un impact considérable sur le coût, tels que l’ancienneté du bâtiment, la complexité de l’aménagement, la situation géographique ou encore les coûts de production dans le pays.

Par ailleurs, la décarbonation du réseau électrique d’un pays donné dans lequel l’énergie verte occupe une large place réduira les coûts de décarbonation. Le degré de réchauffement climatique dans le pays concerné aura également une incidence sur les points de départ et de fin de la décarbonation. Ainsi, les pays qui sont plus exposés au réchauffement climatique seront contraints de décarboner plus rapidement.

Certains investisseurs se retrouveront avec des actifs nécessitant des investissements trop importants pour être viables.

Toutefois, estimer le coût de la décarbonation pour l’actif moyen dans un secteur donné, dans un pays en particulier et prendre en compte la durabilité du réseau électrique constitue un point de départ intéressant. Les investisseurs peuvent ensuite collaborer avec des experts, tels que JLL, Verco et Evora pour analyser les actifs selon une approche ascendante. Cela permet de disposer des données essentielles qui peuvent servir à affiner les moyennes générales.

Une approche en plusieurs volets

La principale difficulté est de trouver une trajectoire commune vers la neutralité carbone. Cela nécessite de prendre en compte les différents secteurs et pays, le changement climatique et la durabilité des sources d’énergie- En se basant sur les lignes directrices relatives aux émissions d’énergie fondées sur la science de CRREM (Carbon Risk Real Estate Monitor), ces données peuvent être associées avec les données ascendantes complètes recueillies à l’issue d’une analyse externe des actifs. En observant ensuite les chiffres les plus appropriés sur les vues des pays ou des secteurs, les lignes directrices devraient évoluer à mesure qu’est construite une base de données plus précise des coûts estimés et réels.

Compte tenu de l’impact indéniable du réchauffement climatique et du durcissement sans fin des réglementations en matière de durabilité, le secteur immobilier est contraint d’opérer des changements. Les investisseurs ont de plus en plus conscience de la nécessité de réduire les émissions de leurs actifs. Mais ils ne font que commencer à évaluer les coûts potentiels associés aux actifs durables et non-durables. Compte tenu de l’importance donnée à ce facteur, le changement est train de s’accélérer. Certains investisseurs se retrouveront avec des actifs nécessitant des investissements trop importants pour être viables. Ces actifs n’attireront pas les locataires ni ne génèreront des liquidités à terme. Ces derniers pourraient même devenir obsolètes, au point ou la seule mesure à prendre sera de les démolir. Il est dès lors vitale de prendre des dispositions maintenant pour éviter d’en venir à de tels extrêmes.

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