Pas d’atterrissage! L’économie américaine poursuivra sa croissance en 2025, même si un risque stagflationniste pointe à l’horizon, indique jeudi Peter van der Welle, stratégiste multi-actifs de Robeco, lors de la présentation des perspectives d’investissement du gérant d’actifs néerlandais. Les actions demeurent la classe d’actifs privilégiée, mais l’asset manager ajoute deux scénarios alternatifs, un choc de l’offre haussier et un choc baissier, selon les choix et la mise en oeuvre de la politique économique de Donald Trump. Peter van der Welle répond aux questions d’Allnews:
Quelle est votre classe d’actifs préférée en 2025?
Historiquement, lorsque se met en place un atterrissage en douceur et que la Fed entame son cycle de baisse des taux, les actifs risqués surperforment les actifs sans risque. Dans cette situation, les obligations d’entreprises surperforment les obligations souveraines et les actions surperforment les obligations à haut rendement. Comme l’économie américaine s’abstiendra de tout atterrissage, puisqu’elle continue de croître et passe simplement d’un léger ralentissement à une accélération, nous préférons les actions.
L’agenda politique de Donald Trump conduira toutefois à une augmentation de la volatilité sur les marchés, ce qui nous amène à anticiper un biais stagflationniste. Nous devons rester agiles.
Nous voulons être prêts à réduire notre pondération en faveur des actions dès que des surprises macroéconomiques négatives devaient émerger aux Etats-Unis et que les écarts de crédit commencent à se creuser.
«Nous voulons être prêts à réduire notre pondération en faveur des actions dès que des surprises macroéconomiques négatives devaient émerger aux Etats-Unis.»
Le narratif fluctue, passant d’un atterrissage en douceur à un atterrissage en catastrophe puis à un scénario Boucle d’or. Le narratif évoluera sans doute selon les décisions du président américain et de l’amplitude de ses mesures de politique économique.
La poursuite de la croissance économique devrait permettre d’augmenter les bénéfices, même si nos estimations sont inférieures au consensus (14% d’augmentation) puisqu’elles devraient être inférieures à 10%.
En Europe, nous pourrions assister à une hausse des bénéfices d’entreprises légèrement au-dessus de 10% (low double digits) dans le sillage d’un effet de rattrapage de la consommation européenne.
Loin de l’image d’une supériorité massive des Etats-Unis, vous prévoyez une croissance économique en Europe (1,5%) qui serait très proche de celle des Etats-Unis (1,7%). Comment le justifiez-vous et êtes-vous fortement haussiers sur les actions européennes?
Nous sommes confiants à l’égard des actions européennes pour 2025. Nous sommes toutefois encore attentistes en raison de l’incertitude politique avant de réellement passer à une surpondération.
Nous sommes convaincus du potentiel des actions européennes dans la perspective d’une accélération de l’économie. Si l’actuelle hausse américaine tirée par la Big Tech s’étendait à d’autres secteurs de la cote, les actions européennes devraient en profiter. Il existe une décote historique des valeurs européennes par rapport à celles de l’indice S&P 500.
Le rattrapage de la consommation européenne par rapport à la consommation américaine devrait se concrétiser dans la mesure où la croissance des revenus disponibles en Europe, après une longue période de faiblesse, devrait atteindre 3%. Il manque toutefois un catalyseur, lequel pourrait provenir d’un changement de sentiment à l’égard de l’Ukraine. Est-ce que Donald Trump pourrait amener les belligérants à négocier une paix durable? L’observation du sentiment à l’égard des biens durables indique que nous avons dépassé le pic de l’indice de misère, ce qui laisse espérer une plus grande volonté de consommer en Europe.
Vous êtes un stratégiste multi-actifs, quelle est la diversification optimale dans un contexte incertain?
Si l’inflation diminue en Europe et peut-être aussi aux Etats-Unis, comme le plus souvent observé dans l'histoire, il en résulterait une corrélation négative entre les actions et les obligations. Le seul repas gratuit qu’offre la finance, celui de la diversification, deviendrait possible. En revanche, si l’inflation devait repartir à la hausse, la corrélation pourrait rester positive entre les actions et les obligations. Il deviendrait nécessaire de chercher des protections alternatives aux obligations souveraines. Les matières premières pourraient venir à la rescousse.
«Il manque toutefois un catalyseur, lequel pourrait provenir d’un changement de sentiment à l’égard de l’Ukraine.»
Plus généralement, il convient de regarder les probabilités associées à nos scénarios. Or la probabilité de notre scénario de base n’est que de 55%. Il importe donc d’avoir un portefeuille qui intègre les autres scénarios, haussier ou baissier. Nous recommandons de faire preuve d’agilité. Nous préférons les actions mais il faudra aussi se protéger selon les événements. Sur le plan technique, il est possible d’utiliser des options ou de faire appel aux commodities.
En cas de surprise favorable et de choc de l’offre positif, les actions chinoises, très bon marché, seraient une bonne idée d’investissement dans le sillage d’une reprise de la consommation dans l’Empire du Milieu, soutenue par un plan de relance significatif, par exemple pour compenser des mesures protectionnistes américaines.
Vous indiquez que l’indice de misère a passé son pic. Lequel des deux éléments de cet indice devrait diminuer?
L’inflation devrait diminuer si bien que les pertes de pouvoir d’achat devraient se réduire au premier semestre 2025. En septembre dernier, l’inflation européen s’est limitée à 1,7%, avant de remonter à 2%. La tendance à la désinflation est bien installée. Les prix de l’énergie sont également sous contrôle. D’ailleurs, la confiance des consommateurs allemands semble rebondir. Les perspectives bénéficiaires des entreprises devraient en profiter.
Nous pensons que les dirigeants européens seront capables de négocier habilement avec Donald Trump et éviter une forte hausse des droits de douane qui pénaliseraient les exportateurs européens. N’oublions pas que nous, Européens, avons des atouts en main. Par exemple, nous pouvons décider d’acheter davantage de gaz liquéfié américain. Un certain alignement des étoiles est en train de se produire en Europe qui ne manquerait pas de pousser les indices européens à la hausse.
Que pensez-vous de la correction des valeurs de la santé?
Nous sommes neutres sur les valeurs de la santé. Les révisions bénéficiaires sont neutres, mais le critère de saisonnalité est négatif et la proposition de nomination de Robert Kennedy Jr à la santé devrait aussi peser sur le secteur.
Nos préférences sectorielles vont plutôt aux financières, en réponse à des révisions des perspectives bénéficiaires à la hausse et d’un bon momentum.
Quelle est votre analyse de Nvidia et des 7 magnifiques après le résultat de ce leader américain?
Je ne peux pas m’exprimer sur un titre particulier, mais je constate que la demande de centres de données reste très solide. J’en déduis qu’une adoption croissante de l’intelligence artificielle est en cours. Il n’y a pas d’exubérance irrationnelle de la part des investisseurs.
La croissance des bénéfices des 7 magnifiques continue d’accompagner la hausse de ces actions ces 12 derniers mois. Il existe un réel risque de baisse compte tenu de la valorisation de la Big Tech, mais ce risque est limité par la hausse des bénéfices. La situation reste saine.
Il existe différents modèles de bulles, «bursting bubbles» et «buzzing bubbles». Les «buzzing bubbles» sont justifiées par la forte hausse des résultats. Ce type de bulle peut continuer dans et permettre une hausse d’encore 50% après avoir doublé de prix. Aujourd’hui, les 7 magnifiques donnent l’impression de pouvoir continuer de s’apprécier.
Est-ce que le dollar va davantage s’apprécier par rapport à l’euro?
Nous avons assisté à une hausse du dollar par rapport à l’euro après la victoire des Républicains aux Etats-Unis. Ce mouvement est aussi lié à l’anticipation de droits de douane sur les produits européens et s’appuie sur l’expérience du premier mandat de Donald Trump. A l’époque, le reminbi avait baissé et ce mouvement avait compensé les effets de la hausse des tarifs. Un mécanisme similaire pourrait maintenir la compétitivité des prix européens.
La performance économique de l’Europe est inférieure à celle des Etats-Unis, ce qui affaiblit l’euro. Mais si la croissance européenne se reprend et se rapproche de la croissance américaine, comme nous l’attendons pour 2025, l’euro devrait mieux se comporter dans le courant de l’année prochaine.
Le taux de change dépend aussi du différentiel d’intérêts. Comment les taux évolueront-ils en 2025?
A court terme, le différentiel d’intérêts pénalise l’euro, notamment si l’on considère l’évolution des taux d’inflation. La BCE devrait en effet davantage baisser ses taux que la Fed. Mais l’Europe devrait dépasser un point d’inflexion en matière d’inflation en 2025 sous l’effet de l’accélération de sa croissance.
Est-ce que l’or continuera de s’apprécier?
Nous aimons bien l’or. Aux yeux de nombreux investisseurs, l’or est le deuxième meilleur actif après le dollar.
Le billet vert est 18% surévalué sur la base de notre modèle basé sur la parité du pouvoir d’achat. La volatilité géopolitique est également très élevée et soutient l’or. Mais sa valorisation est très élevée. L’or est surévalué d’au moins1000 dollars si l’on considère le critère des rendements réels en liquidité. Il existe un lien étroit entre les deux, à savoir une corrélation négative entre le métal jaune et le rendement réel en liquidité. Cette corrélation a disparu ces dernières années, peut-être en raison de l’incertitude géopolitique, à un moment où les taux réels sont historiquement élevés. Mais la prime actuelle reste justifiée par l’environnement géopolitique.
Est-ce que des négociations de paix en Ukraine pénaliseraient l’or?
Si un arrêt durable du conflit, voire une paix durable, s’installait, cela pourrait changer la donne. Le cours de l’or pourrait en souffrir. Mais selon nos analyses, après chaque pic d’incertitude géopolitique, 12 mois plus tard, le prix de l’or s’est accru.
Même en cas d’accord en Ukraine, le conflit géopolitique entre les Etats-Unis et la Chine ne disparaîtrait pas. Le thème de la séparation du monde en deux forces opposées, entre la Chine, la Russie et l’Iran d’un côté, et le monde occidental de l’autre, devrait continuer de gagner en puissance.