Achats équitables, matériaux traçables, meilleures conditions de travail: Robeco provoque le changement au sein d’une industrie encore loin des standards. Avec Dora Buckulčíková.
Mode et durabilité ne font pas bon ménage. L’industrie, dont le chiffre d’affaires s’élève à 2’500 milliards de dollars US, contribue à 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les atteintes aux droits des travailleurs et les conditions de travail précaires dans la filière manufacturière sont particulièrement préoccupantes. Convaincu que le secteur peut être accompagné dans une transition vertueuse, le gestionnaire d’actifs Robeco a lancé en novembre une stratégie en actions engagée dans la mode. Dora Buckulčíková, responsable de la stratégie, répond aux questions d’Allnews.
Des solutions durables doivent être mises en œuvre afin que les activités du secteur passent d’un modèle linéaire «prendre-fabriquer-jeter» à un modèle circulaire, et que les questions sociales urgentes, notamment les droits des travailleurs et les salaires de subsistance, soient abordées.
L'industrie manufacturière est concentrée dans des régions où les salaires sont injustes, les droits du travail inéquitables ou inexistants et les conditions de travail dangereuses. En moyenne, les ouvriers d'usine ne reçoivent que 55% du salaire nécessaire pour maintenir un niveau de vie décent.
La stratégie a pour but de contribuer à modifier le visage de la mode en abandonnant le modèle de production «prendre- fabriquer-jeter», qui génère des déchets, au profit d'un modèle circulaire, équitable pour les travailleurs et l'environnement.
Les salaires des travailleurs du textile sont en moyenne 45% inférieurs au salaire de subsistance local. En outre, chaque année, le secteur produit près de 100 milliards d’articles d’habillement, dont moins de 1% est recyclé en nouveaux vêtements. Le secteur est aussi responsable de près de 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
La stratégie cherche des rendements positifs tout en améliorant la durabilité des sociétés. Il s’agit d’une stratégie de transition, car nous reconnaissons que dans le sens pur de la durabilité, les productions vont au-delà des besoins naturels, mais sont des biens de consommation discrétionnaires dont la finalité est l’expression de soi. Beaucoup d’entreprises pensent à la transition, mais les changements ne s’opèrent pas sur des trimestres, mais sur des années.
Nous pensons que l’industrie de la mode, qui reste un grand contributeur économique, peut se réconcilier avec la soutenabilité du moment qu’elle transite vers des modèles d’affaires plus durables, en assurant par exemple des achats équitables ou en investissant dans des matériaux traçables.
Le fait que les consommateurs soient à la recherche de bonnes affaires ne devrait pas servir d'excuse aux entreprises de mode qui adoptent des pratiques commerciales non durables. Les vêtements trop bon marché ont un coût humain réel lorsque des pressions excessives sont exercées sur les fournisseurs, ce qui entraîne des salaires toujours plus bas et l'épuisement des ressources naturelles. Nous pensons que les entreprises de mode ont le pouvoir et la responsabilité de fixer le prix de leurs produits en tenant compte du coût du devoir de diligence dans leurs chaînes d'approvisionnement. En tant qu'investisseurs responsables, nous pouvons jouer un rôle important en demandant aux entreprises de rendre des comptes à ce sujet.
Cette nouvelle stratégie investie dans des entreprises cotées en bourse, et dialogue avec elles, tout au long de la chaîne de valeur de la mode; de l’approvisionnement à la production, en passant par la consommation et la fin de vie comme la seconde main ou le recyclage. Nous y retrouvons du prêt-à-porter, des chaussures, des vêtements de sport, ainsi que des valeurs de luxe ou encore des marques avec une intégration verticale des activités. Nous nous attendons d’ici 5 à 10 ans à une multitude de changements réglementaires. Ils constitueront des catalystes puissants à la stratégie: les fournisseurs qui pourront démontrer un bon standard ESG auront un avantage compétitif sur leurs concurrents.
Certaines entreprises de la «fast fashion», telles que le chinois Shein qui vient de déposer une demande d’introduction à Wall Street, rencontrent un succès retentissant. Ces profils font-ils partie des sociétés que vous évitez ?
Nous évitons les entreprises dont les perspectives d'investissement ne sont pas attrayantes, dont les thèmes ne sont pas à la mode et dont le modèle de base est la «fast fashion», sans intention de changer les pratiques commerciales.
Elles sont plus conscientes des achats de produits, mais nous voyons aussi qu’elles sont friandes de la «fast fashion». Il y a donc un conflit entre ce que ces générations affirment et leurs pratiques de consommation. Elles aimeraient consommer des produits durables, mais elles ne sont pas toujours prêtes à payer pour.
En Europe d’ici 2029, l’écoconception pour des produits et des textiles durables, les passeports numériques de produits, le règlement interdisant les produits fabriqués par le travail forcé ainsi que la directive sur les rapports annuels de durabilité des entreprises vont concourir à améliorer la durabilité du secteur. Par exemple, la loi allemande sur le devoir de diligence dans la chaîne d'approvisionnement prévoit une obligation de couvrir l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, des matières premières aux produits finis, y compris la gestion des risques et l'obligation de collecte de données.