Durabilité et marchés émergents: mettre fin à la grande déconnexion

Yves Hulmann

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Pour Juliana Hansveden de Ninety One, les investissements doivent être réorientés vers les pays émergents si l’on veut atteindre les objectifs de développement durable.

La plupart des fonds durables investissent avant tout dans des entreprises basées dans les nations industrialisées. Pourtant, les émissions de CO2 continuent de croître dans de nombreux pays émergents - et c’est dans ces régions que les besoins en investissements pour faciliter la transition énergétique sont les plus importants. Comment résoudre ce dilemme? Le point avec Juliana Hansveden, gestionnaire d’un fonds dédié aux placements durables dans les marchés émergents chez Ninety One.

Le fonds que vous gérez se concentre sur la thématique des actions durables des pays émergents. Pourquoi avoir créé un véhicule mettant l’accent sur les aspects de durabilité spécialement dédié aux marchés émergents?

On peut observer que 88% des fonds ESG s’orientent vers les pays industrialisés ou ont une approche d’investissement globale. Or, à l’inverse, environ 90% de la croissance des émissions de CO2 a lieu actuellement dans les pays émergents. Et pour pouvoir atteindre l’objectif de Net Zéro à l’horizon 2050, il faudrait que 70% des investissements en lien avec la mise en œuvre des objectifs de développement durable (SDGs en anglais), tels qu’ils ont définis par les Nations Unies de l’Accord de Paris sur le climat, se dirigent vers les pays émergents. Il est important que les entreprises des pays émergents procèdent à un ajustement maintenant afin de réduire les émissions de CO2 – et il est bien sûr nécessaire que ce processus ait lieu de manière équitable. Dans l’ensemble, il y a une véritable déconnexion entre les endroits où le capital est actuellement alloué à des projets en lien avec la durabilité et là où il faudrait que des moyens soient investis pour faciliter la transition énergétique et contribuer à atteindre les objectifs de développement durable en général.

«Il est important que les entreprises des pays émergents procèdent à un ajustement maintenant afin de réduire les émissions de CO2
Votre fonds durable se concentre sur les pays émergents. N’y a-t-il pas un risque que certains investisseurs institutionnels, intéressés par la durabilité, soient réticents à l’idée d’investir de l’argent dans les seuls marchés émergents?

Non, je crois que la plupart des investisseurs institutionnels ont maintenant déjà eu l’occasion de se familiariser avec l’idée d’allouer une partie de leur portefeuille dans les marchés émergents. Un des avantages importants des pays émergents est que ceux-ci affichent des taux de croissance supérieurs à ceux des pays industrialisés. C’est un des attraits clés des marchés émergents. En outre, nous nous concentrons sur des actions d’entreprises d’une certaine taille et qui garantissent un haut niveau de qualité. Nous investissons sélectivement dans des small caps de pays émergents lorsque nous en convaincu mais ces positions sont détenues avec une pondération plus faible afin de refléter le risque de liquidités plus élevé.

Les questions en lien avec la durabilité constituent-elles un sujet de préoccupation important également au sein des pays émergents eux-mêmes?

C’est certainement toujours plus souvent le cas. Les consommateurs se soucient davantage des questions les plus importantes liées à l’environnement, à la perte de biodiversité. En Chine, les consommateurs sont souvent très attentifs à ces aspects. Et même dans des pays émergents un peu moins riches, des mots tels que «biodiversité» ou «dommages à la nature» sont aujourd’hui davantage recherchés sur Google qu’en moyenne mondiale. Le fait que d’importantes parties de la population de certains pays émergents vivent proches de fleuves ou d’espaces naturels accroît la sensibilité à ces questions.

Les entreprises des pays émergents se souvient-elles, elles-mêmes, de ces questions?

Cela dépend bien sûr des entreprises et des secteurs. Toutefois, même lorsque des entreprises ne sont, au départ, pas particulièrement sensibles aux questions environnementales, ces sociétés n’échappent pas à une certaine pression. Différents stakeholders peuvent en effet servir d’éléments déclencheurs qui sont susceptibles d’avoir un impact potentiellement négatif sur la valeur des actions de ces entreprises.

«Le coréen Samsung SDI, qui figure parmi les cinq plus importantes positions du fonds, est un acteur clé dans le domaine des batteries pour véhicules électriques.»
Quels sont les critères de sélection que vous appliquez?

Comme c’est le cas chez de nombreux autres fonds, nous appliquons d’abord un premier filtre d’exclusion concernant un certain nombre d’activités (tabac, extraction de charbon, etc.). Ensuite, partant d’un univers initial d’environ 21'000 actions, nous définissons certains seuils minimaux en termes de volumes – par exemple au moins 1 milliard de dollars de capitalisation boursière, une croissance du chiffre d’affaires d’au moins 6% par an, à quoi s’ajoutent différents critères d’analyse financière. Par ailleurs, le poids relatif par action ne doit pas dépasser les 4%.

La plus importante position du fonds est actuellement le fabricant de semi-conducteurs TSMC. Parmi les cinq plus importantes positions du fonds, on trouve aussi par exemple Alibaba et Tencent. Pourquoi avoir sélectionné ces deux sociétés?

Ces deux sociétés présentent un ensemble de caractéristiques intéressantes, y compris en termes de durabilité. En Chine, Alibaba permet grâce à sa plateforme de mettre en lien des PME avec des commerçants et des acheteurs. La société offre une application de paiement numérique qui est très importante dans le pays et qui créée un écosystème intéressant pour la population. On retrouve un certain nombre de ces caractéristiques chez Tencent, dont l’application We Chat permet aussi de faire des paiements. Tencent offre également une infrastructure de services intéressante dans l’informatique en nuage (cloud) et c’est également un employeur important en Chine. C’est pourquoi, même si ces entreprises présentent aussi certaines faiblesses, par exemple en ce qui concerne la gouvernance d’entreprise, elles obtiennent une évaluation globalement positive en termes de durabilité.

Dans le domaine de la mobilité, beaucoup d’entreprises chinoises sont désormais leader dans les batteries et les véhicules électriques. Pourquoi ne figurent-elles pas parmi les principales positions du fonds?

Le coréen Samsung SDI, qui figure parmi les cinq plus importantes positions du fonds, est un acteur clé dans le domaine des batteries pour véhicules électriques. C’est donc aussi un thème d’investissement important pour nous.

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