La dette d’entreprise asiatique reste peu risquée

Yves Hulmann

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Selon Alan Siow de Ninety One, les emprunts d’entreprise en Asie offrent une prime de rendement attrayante par rapport au niveau de risque encouru.

Première région du monde à être affectée par le coronavirus, l’Asie, et la Chine en particulier, a aussi sortie de la crise. Comment peut-on évaluer la reprise en cours en Asie et comment se présente la situation pour les obligations d’entreprises? Le point avec Alan Siow, gérant de portefeuille et spécialiste en obligations d’entreprises pour les marchés émergents et l’Asie chez Ninety One.

Comment évaluez-vous la situation des économies en Asie et en Chine en particulier – parviennent-elles à se reprendre plus rapidement qu’en Europe et aux Etats-Unis?

Même à l’intérieur de l’Asie, on peut observer des situations très différentes d’un pays à un autre. Cela dépend essentiellement de deux facteurs : d’une part, celui de savoir à quel point un pays était vulnérable face à la pandémie de coronavirus, notamment en raison de la structure démographique de sa population. D’autre part, il y a l’aspect de la qualité des infrastructures, en particulier au regard du système de santé ou de la logistique. Même à l’intérieur de la Chine, il y a des villes qui ont été soumises à une très longue période de confinement, alors que cela n’a pas été du tout le cas dans d’autres. S’agissant de la Chine, un point positif, rétrospectivement, est que la phase la plus intense de la crise est intervenue autour de la période du Nouvel-An où beaucoup d’usines ou de services auraient de toute façon été fermés. Globalement, on peut dire que la reprise en Chine a déjà commencé à partir de mars pour s’accélérer en avril. 

«Le risque de type ‘fallen angel’ n’est pas plus élevé pour la dette d’entreprises
des pays émergents que dans des marchés développés tels que les Etats-Unis.»
Qu’en est-il ailleurs en Asie?

Il y a évidemment de grandes différences à l’intérieur de cette région entre des pays comme la Corée du Sud et Singapour qui ont d’excellentes capacités de test et de bons outils pour suivre l’épidémie et, d’autres, comme les Philippines et l’Indonésie où il est très difficile de savoir ce qui se passe vraiment. Au Vietnam et au Bangladesh, il y a certes peu de cas mais aussi peu de tests qui y sont effectués. Quant à l’Inde, ce pays a une population relativement jeune qui est ainsi moins exposée au coronavirus mais il n’y a pas non plus de tests généralisés qui y sont effectués.

A quels taux de leurs capacités les économies asiatiques fonctionnent-elles à nouveau aujourd’hui?

A fin avril, on pourrait estimer ce niveau entre 70 et 80% concernant la Chine, tandis qu’il pourrait même atteindre entre 80 et 90% en Corée du Sud. Si l’on considère l’Asie dans son ensemble, ce niveau est beaucoup plus bas, on peut l’estimer au mieux entre 50 et 60%.

«Dans les pays émergents, le prix reflète davantage la qualité réelle de la dette
qu’en Occident en raison de l’absence d’interventions des banques centrales.»
Que cela signifie-t-il pour les marchés obligataires – faut-il déjà anticiper une vague de défauts au cours des prochains mois?

On ne peut pas directement établir une corrélation de cette façon. Il y a, d’une part, un risque de défaut plus important dans le segment dit « high yield ». D’autre part, il y a aussi le danger pour une entreprise de voir la note de sa dette être abaissée, le risque dit de «fallen angel». Ici, le risque pour un emprunt n’est pas celui de faire défaut mais plutôt que l’obligation perde de sa valeur sur le marché. Dans l’ensemble – et c’est un point important à souligner –, le risque de type «fallen angel» n’est toutefois pas plus élevé pour la dette d’entreprises dans les pays émergents que dans des pays développés comme aux Etats-Unis. En raison des différences en matière de taille et de la composition des marchés, le risque pour les emprunts d’entreprises des pays émergents de voir leur note être dégradée est même sans doute moins élevée qu’aux Etats-Unis. Quant au risque de défauts, il ne concerne qu’une petite partie des emprunts d’entreprise: on peut estimer que le taux de défaut passera d’environ 1 à 2% avant la crise à, peut-être, 8 ou 10% au maximum. La dette d’entreprise en Asie offre encore souvent une prime de rendement attrayante par rapport au niveau de risque encouru.

Au pire de la crise en mars, le marché de la dette d’entreprise aux Etats-Unis, au Japon et en Europe a été stabilisé en partie par les interventions des principales banques centrales – cela a moins été le cas dans les pays émergents. N’est-ce pas un risque supplémentaire à considérer lorsque l’on investit dans la dette d’entreprise des pays émergents?

Si les banques centrales de nombreux pays émergents n’ont pas procédé à des rachats de dette, c’est aussi parce qu’elles avaient d’autres moyens à disposition. En effet, étant donné que les taux d’intérêt sont encore souvent beaucoup plus élevés dans les pays émergents, les banques centrales des pays émergents ont encore eu la possibilité d’abaisser les taux d’intérêt plutôt que de racheter toutes sortes d’actifs. Pour les investisseurs, ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Au contraire, on pourrait dire que le marché des emprunts d’entreprise des pays émergents a été moins perturbé que dans les pays développés. Dans les pays émergents, le prix reflète davantage la qualité réelle de la dette qu’en Occident en raison de l’absence de ces interventions. 

«Beaucoup d’entreprises du secteur de la consommation basées
dans les pays émergents offrent toujours des rendements attrayants.»
Plutôt que d’acheter des obligations d’entreprises des pays émergents, une alternative serait-elle d’opter pour des emprunts de sociétés sises dans les pays développés mais qui ont aussi d’importantes activités dans les pays émergents?

On pourrait raisonner de cette manière d’un point de vue purement économique. Si des investisseurs achètent des obligations d’un groupe comme GE, par exemple, c’est aussi en sachant que l’essentiel de la croissance du groupe vient des pays émergents. Si l’on raisonne comme un investisseur, la situation est ici un peu différente: parmi les marchés émergents, certains pays ont une qualité très élevée comme la Chine ou le Mexique, tandis que d’autres ont des notations beaucoup plus basses – autrement dit, il y a d’importants écarts entre le «high quality» et le «high yield». Ces différences se répercutent ensuite aussi sur les rendements des emprunts des entreprises.

Si, à l’inverse, vous achetez des obligations de Nestlé, par exemple, en vous disant que, de cette manière, vous pouvez aussi tirer parti de son exposition dans les pays émergents, ce n’est pas faux - mais un tel emprunt n’offrira qu’un coupon reflétant le marché de domicile de l’émetteur et il pourrait être proche de zéro! A l’inverse, beaucoup d’entreprises du secteur de la consommation qui sont basées dans les pays émergents offrent toujours des rendements attrayants, notamment en raison de la forme de stigmatisation qui affecte toujours la dette des entreprises des pays émergents. Et cela même s’il s’agit d’entreprises de qualité et qui n’ont, généralement, eu aucun problème à toujours rembourser leurs emprunts.

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