Bien préparés pour traverser une période difficile

Yves Hulmann

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Marcel Rohner, président de l’Association suisse des banquiers, souligne les atouts dont disposent les établissements helvétiques pour surmonter une phase de turbulences.

A l’occasion de sa conférence de presse annuelle, l’Association suisse des banquiers (ASB) a rappelé quelques-uns des résultats réalisés l’an dernier par la branche dans son ensemble. Avec des actifs sous gestion qui ont atteint un niveau record de 8649 milliards de francs à fin novembre 2021 (contre 7879 milliards de francs à fin 2020), les banques helvétiques ont largement profité du rebond des marchés l’an dernier. L’association faîtière, qui rassemble quelque 300 établissements membres, a aussi mis en exergue la poursuite de la progression des placements durables en Suisse. Toutes catégories confondues, les sommes investies en tenant compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) se sont établis à plus de 1520 milliards de francs en 2020, soit plus du double du montant affiché deux ans plus tôt. L’occasion pour l’ASB de détailler sa stratégie dans le domaine de la durabilité axée autour de trois principes: l’autorégulation, qui vise à définir une norme minimale à atteindre pour ses membres, la participation aux initiatives «zéro émission nette» ainsi que le soutien aux efforts de formation des conseillères et conseillers pour améliorer leurs compétences dans les placements durables.

«Les droits de timbre et l’impôt anticipé constituent un véritable handicap pour la place financière helvétique car les autres places financières n’appliquent pas de telles taxes.»

Autre thème incontournable du moment, la guerre en Ukraine. La question du montant des avoirs appartenant à la clientèle russe détenus par les établissements bancaires helvétiques a aussi été abordée par l’ASB. S’agissant des montants totaux qui sont déposés par la clientèle russe transfrontalière, l’ASB les évalue aux environs de 150 à 200 milliards de francs. Quant aux montants des avoirs qui sont concernés par les sanctions imposées à la Russie, l’association n’a pas fourni de chiffres spécifiques à ce sujet, rappelant que ces données ne devraient être disponibles qu’au début de cet été. Les établissements concernés doivent annoncer d’ici juin les montants concernés auprès du Secrétariat d’Etat à l’Economie (Seco) qui pourra alors publier ces chiffres.

Le point sur ces différents sujets avec Marcel Rohner, président de l’Association suisse des banquiers depuis septembre 2021.

Lors de sa conférence de presse annuelle mardi, l’Association suisse des banquiers (ASB) a beaucoup parlé de compétitivité en citant différentes mesures susceptibles de contribuer au renforcement de la place financière helvétique. Si vous deviez évoquer une mesure décisive permettant de favoriser la compétitivité de la place financière, laquelle serait-elle?

Préserver et renforcer la compétitivité de la place financière suisse est un tout. Nos efforts s’articulent toujours autour des quatre mêmes piliers – à savoir l’intensité concurrentielle, la compétitivité internationale, la résilience et le cadre politique. Maintenant, s’il était possible d’obtenir dès demain matin à 8 heures un accès illimité aux marchés transfrontaliers, ou «cross-boarder» comme on les appelle, et qui soit valable dans le monde entier, il s’agirait alors certainement de la mesure qui aurait le plus d’effet sur la place financière suisse à court terme. Bien entendu, il y a peu de chances que cela se produise du jour au lendemain, même si nous nous efforçons continuellement d’obtenir un plus large accès à différents marchés.

L’accès aux marchés reste donc un sujet d’actualité?

Oui, nous continuons à y travailler. Nous collaborons par exemple avec la fédération des banques européennes, la European Banking Federation, avec laquelle nous menons des discussions sur différents sujets. Nous sommes aussi en contact avec les autorités réglementaires qui, à leur tour, ont des discussions avec différents Etats. Nous avons différentes approches et modèles sur la manière de faire avancer les choses. Et c’est important de poursuivre nos efforts en la matière.

«Si l’on exige que les banques détiennent davantage de fonds propres, elles vont parvenir à le faire. Cela ne va toutefois pas modifier l’évolution du marché dans son ensemble.»

Maintenant, nous sommes aussi conscients que les choses ne vont pas se faire du jour au lendemain. Etant donné que nous savons que cela ne pourra pas être une réalité dès demain à 8 heures, nous devons poursuivre nos efforts dans d’autres domaines, en mettant l’accent sur d’autres facteurs de qualité permettant d’offrir des «arguments de vente» supplémentaires afin de renforcer la place financière suisse.

Quels sont ces facteurs par exemple?

Un de ces facteurs est d’avoir un personnel super bien formé. Un autre sera de disposer d’un grand nombre de produits durables à proposer à la clientèle qui soient capables de répondre aux besoins des investisseurs du monde entier, pas seulement à ceux de la clientèle helvétique. Et un autre facteur serait aussi de corriger certains obstacles qui affaiblissent la place financière helvétique, afin d’éviter que certaines activités – qui pourraient très bien aussi se faire en Suisse – ne partent à l’étranger.

Je pense ici en particulier à la réforme de l’impôt anticipé. Les droits de timbre et l’impôt anticipé constituent un vrai handicap pour la place financière helvétique car les autres places financières n’appliquent pas de telles taxes. Ces deux impôts constituent un véritable «autogoal» pour la Suisse. En effet, il s’agit d’impôts qui ont eu pour résultat que certaines activités de financement – qui sont utiles aux entreprises helvétiques – ne s’effectuent plus en Suisse mais désormais avant tout à l’étranger. On a introduit un impôt qui a eu pour conséquence de transférer l’entier d’une activité à l’étranger, notamment celle de l’émission d’obligations – ce qui, du coup, ne rapporte rien non plus à la Suisse. Lorsque des obligations sont émises au Luxembourg ou sur d’autres places, la Suisse ne gagne pas un centime sur ces transactions. Au contraire, si ces activités revenaient dans notre pays, les grandes entreprises émettraient leurs obligations en francs suisses en Suisse, ce qui au final sera plus profitable à notre pays. Les entités qui émettent déjà de toute façon des obligations en francs, comme par exemple la Confédération ou les cantons, auraient à leur disposition un cercle d’investisseurs aussi beaucoup plus large, ce qui leur permettrait aussi de réduire leurs coûts de financement pour le secteur public.

«Contrairement à l’idée qu’on s’en fait parfois, la Russie n’est pas un si grand acteur économique sur les marchés internationaux.»
La réforme de l’impôt anticipé que vous soutenez est-elle toutefois réaliste sur le plan politique - compte tenu du refus de la suppression du droit de timbre d’émission lors des votations en février?

C’est un fait que nous avons perdu la dernière votation sur cette question. Maintenant, il faut que nous soyons capables de communiquer quels sont les avantages à long terme - non seulement pour la place financière mais aussi pour l’économie suisse dans son ensemble. Il est sûr que nous allons très tôt commencer à soutenir cette réforme en vue d’une votation qui aura probablement lieu en automne, étant donné que la collecte de signatures pour le référendum est déjà en cours.

L’évolution du marché de l’immobilier est un autre sujet qui reste d’actualité pour le secteur bancaire. En janvier dernier, la BNS et le Conseil fédéral ont décidé de réactiver le volant anticyclique de fonds propres qui oblige, entre autres, les banques à détenir davantage de fonds propres - une décision que l’ASB avait alors critiquée. N’est-ce toutefois pas une bonne chose si cela peut contribuer à éviter une surchauffe sur ce marché?

De notre point de vue, une telle mesure ne modifie pas fondamentalement les facteurs qui ont une influence déterminante sur le marché – tout en renchérissant les coûts des activités hypothécaires. Les moteurs de la hausse des prix du marché de l’immobilier sont la croissance démographie et les taux d’intérêt très bas. Un autre facteur tient au fait que les nouveaux acteurs sur le marché comme les caisses de pension ne sont pas tout à fait soumis aux mêmes règles que les banques. Ils ne sont pas concernés par le volant de fonds propres anticyclique. Si l’on exige que les banques détiennent davantage de fonds propres, elles vont parvenir à le faire. Cela ne va toutefois pas modifier l’évolution du marché dans son ensemble.

Au sujet de la guerre en Ukraine, l’ASB a estimé mardi que l’exposition du secteur bancaire helvétique au marché russe restait très limitée en comparaison de l’ensemble de ses autres activités et marchés. Qu’en est-il de l’impact de l’évolution des marchés des matières premières sur les activités du secteur bancaire?

Contrairement à l’idée qu’on s’en fait parfois, la Russie n’est pas un si grand acteur économique sur les marchés internationaux. Par exemple, dans le domaine des obligations, la Russie est un Etat très peu endetté qui n’émet ainsi pas beaucoup d’emprunts sur les marchés. Dans la gestion de fortune, les capitaux russes ne représentaient, même avant le début de la crise, pas non plus des montants très élevés en comparaison de l’ensemble des actifs sous gestion gérés par les banques helvétiques.

«Une forte hausse des prix des matières premières agirait dans un tel scénario comme un impôt supplémentaire, ce qui, à terme, accentuerait encore les tensions inflationnistes.»

Cela dit, si la situation continuait de s’aggraver en Ukraine et que l’on assistait à de très fortes hausses des prix des matières premières en raison de pénuries dans divers domaines, alors il pourrait y avoir d’autres risques dits de «second tour» de l’inflation qui seraient susceptibles de se mettre en place. Une forte hausse des prix des matières premières agirait dans un tel scénario comme un impôt supplémentaire, ce qui, à terme, accentuerait encore les tensions inflationnistes. Cela placerait aussi les banques centrales dans une situation très difficile pour mettre en œuvre leurs mesures de politique monétaire. Dans un tel environnement, des scénarios caractérisés par une situation de stagflation ne seraient pas impossibles.

En tant que président de l’ASB depuis l’automne dernier, qu’est-ce qui vous rend optimiste, ou au contraire prudent, pour la suite de l’année 2022?

Ce qui me rend confiant pour la suite est que le secteur bancaire suisse est capable d’être résilient en cas de crise. Nous sommes bien préparés pour traverser une période difficile. Nous voyons aussi de grandes opportunités pour notre branche dans différents domaines, notamment dans celui des placements durables où nous avons la chance de pouvoir agir vite afin de pouvoir répondre à la fois aux exigences de la clientèle et de la réglementation.

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