Crise énergétique en Europe: un nouvel hiver sous tension?

Vincent Juvyns, J.P. Morgan Asset Management

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Les prix de l’énergie repartent à la hausse. Certains craignent que l’Europe ne connaisse un nouvel hiver difficile sur le plan énergétique. Qu’en est-il réellement?

Depuis le début de l’an dernier, l’Europe a pris une série de mesures pour compenser la baisse substantielle des importations de gaz russe à la suite du sabotage des pipelines Nord Stream 1 et 2. L’Europe a tout d’abord diversifié ses approvisionnements de gaz, en augmentant notamment de 67% ses importations de gaz naturel liquéfié en 2022. Elle a ensuite invité les Etats membres à baisser leur consommation de gaz de 15% par rapport à leur consommation moyenne au cours des cinq dernières années et à veiller à ce que leurs réserves de gaz soient remplies à 90% avant l’hiver.1

Ces différentes mesures ont permis à l’Europe d’éviter le scénario du pire, c’est-à-dire manquer de gaz, l’hiver dernier et lui permettent à priori d’envisager l’hiver 2023-2024 plus sereinement.

Il est toutefois prématuré de crier victoire puisque la volatilité des prix du gaz au mois d’août ainsi que la forte remontée des prix du pétrole ces dernières semaines illustrent que les marchés énergétiques demeurent tendus. Par ailleurs, si le scénario d’une pénurie de gaz cet hiver est à priori peu probable, les incertitudes autour de l’offre et de la demande de gaz au niveau mondial demeurent élevées ce qui devrait maintenir une pression haussière sur les prix.

A cet égard, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) estime que la demande globale de gaz devrait rester stable en 2023 dans la mesure où l’augmentation de la demande en Chine, suite à la réouverture de son économie, devrait être compensée par la baisse de la demande en Europe. En effet, au premier semestre 2023, la consommation de gaz en Europe a demeuré 15% en dessous de la moyenne des 5 dernières années tandis qu’elle pourrait encore baisser en raison de la diminution attendue de la demande de gaz pour produire de l’électricité. En effet, par rapport à l’an passé, la production d’énergie renouvelable a fortement rebondi avec des progressions de respectivement 15%, 5% et 11% pour le solaire, l’éolien ou l’hydroélectrique, au premier semestre. Par ailleurs, la production d’énergie nucléaire en France devrait rebondir de 10 à 15% cet année ce qui devrait également réduire la demande en gaz pour produire de l’électricité.2

En ce qui concerne l’offre de gaz, l’AIE s’attend à une production mondiale, globalement stable, et même en baisse en Europe puisque les Pays-Bas ont annoncé la fermeture du champ gazier de Groningen au premier octobre. Par ailleurs, les pipelines qui approvisionnent encore l’Europe depuis la Norvège ou l’Azerbaïdjan opèrent généralement déjà au maximum de leur capacité et l’Europe devra donc compter comme l’an dernier sur le gaz naturel liquéfié comme variable d’ajustement. La compétition pour le gaz naturel liquéfié pourrait cependant s’intensifier cette année en raison de la réouverture de l’économie chinoise même si cette dernière pourrait privilégier les achats de gaz à bon compte via le pipeline qui la relie à la Russie.

Bien qu’offre et demande de gaz semblent pouvoir s’équilibrer en 2023, le risque d’avoir un écart entre l’une et l’autre demeure élevé.

En effet, l’Europe demeure paradoxalement très dépendante de la Russie, qui continue à lui fournir du gaz par pipeline via l’Ukraine et la Turquie ainsi que du gaz liquéfié, dont les importations ont d’ailleurs augmenté de 35% en 2022. Une intensification du conflit en Ukraine pourrait ainsi priver l’Europe de flux gaziers toujours importants depuis la Russie. Par ailleurs, un hiver particulièrement rude et/ou un fort rebond de la demande chinoise pourraient aussi entrainer une hausse des prix.

Si ces scénarios semblent pour l’instant peu probables, il faut se rendre compte que même le scénario de base comporte aussi des risques pour l’économie européenne. En effet, bien que les prix du gaz soient sensiblement inférieurs à leurs niveaux de l’an dernier ils n’en demeurent pas moins 4 fois plus élevés qu’aux Etats-Unis ce qui affecte négativement la compétitivité des entreprises européennes déjà mise à mal par une législation environnementale parmi les plus strictes au monde, notamment parce qu’elle inclut une taxation des émissions de CO2.

En conclusion, bien que la sécurité énergétique de l’Europe semble assurée pour cet hiver, l’Europe ne dispose cependant que d’une faible marge de sécurité tandis que les risques en termes d’offre et de demande sont nombreux. Cette situation devrait contribuer à maintenir des prix élevés sur les marchés énergétiques et relativement plus élevés en Europe ce qui devrait peser sur la compétitivité de nos entreprises.

Jusqu’ici, l’Europe s’est néanmoins montrée à la hauteur du défi énergétique auquel elle est confrontée et elle devrait vraisemblablement continuer à se concentrer sur les éléments qu’elle peut contrôler comme l’accélération de sa transition énergétique, la baisse de sa consommation de gaz et le déploiement d’un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pour protéger la compétitivité des entreprises européennes.

Ces mesures devraient à terme renforcer le leadership de l’Europe dans la course «aux zéro émissions» de CO2 tandis que l’adaptation des entreprises européennes a des standards climatiques stricts devraient devenir un avantage compétitif.

 

1 https://www.bruegel.org/dataset/european-natural-gas-imports, 2023 jusqu'au 16/08/2023, J.P. .Morgan Asset Management, Données au 5 septembre 2023
2 Electricité de France (EDF), juin 2023

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