Les leçons des «Big Oil»

Thomas Planell, DNCA Invest

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En 2022, les majors pétrolières continueront graduellement d'augmenter la part du renouvelable dans leurs activités au détriment de nouveaux projets pétroliers.

©Keystone
Une récolte fructueuse

En 2022, les majors pétrolières européennes pourraient générer au total un cash-flow opérationnel de près de 220 milliards de dollars. Plus du double d'Apple, première capitalisation mondiale (2’600 milliards de dollars) alors que la valeur de marché des «Big Oil» (700 milliards) ne pèse qu'une fraction de celle du géant américain.

Malgré une flambée à 126 dollars, la hausse du cours du pétrole WTI reste contenue 15% sous ses plus hauts historiques de 2008. Pourtant, le rapport entre l'offre (contrainte par la parcimonie des pays de l’Opep), et la demande (renforcée par la réouverture des économies) est plus fragile qu'à l'époque. D’autant que le contexte géopolitique n'a jamais été aussi tendu depuis la guerre froide. C'est la force du dollar, devise refuge par rapport aux autres monnaies (30% plus cher qu'à l’époque) qui limite, pour l'instant, l'emballement haussier du baril.

Le cash-flow opérationnel attendu en 2022 pourrait être deux fois supérieur à celui de 2013.

Pourtant, malgré un cours du brut moins élevé qu’en 2008, les majors pétrolières européennes devraient cette année générer des flux de trésorerie record. Le cash-flow opérationnel attendu en 2022 pourrait être deux fois supérieur à celui de 2013, année du pic le plus récent sur le baril (112 dollars). Certes, la sensibilité de certaines d'entre elles (notamment Shell et Total) à la hausse vertigineuse du prix du gaz explique une partie significative de cette performance. Mais c'est surtout la réduction de leurs investissements, et leurs efforts de coûts qui portent leurs fruits: en 2022, les CAPEX du secteur (environ 70 milliards de dollars) devraient être deux fois moins élevés qu'en 2013 et 2014 et ne devraient pas davantage progresser en 2023.

Un ralentissement de la prospection pétrolière

On pourrait être tentés de penser que le retour du pétrole au-dessus de 100 dollars et l'impératif européen de trouver des débouchés alternatifs à la Russie pourraient amener les majors à sanctionner de nouveaux projets d'exploration. Rien n'est moins sûr. Bien que stratégiques, les pétroliers restent avant tout des groupes privés dont l'objectif est la maximisation du profit par dollar de capital déployé.

Or, depuis 10 ans, l'exode des investisseurs vers des industries moins polluantes a significativement renchéri le coût des fonds propres et de l'endettement des projets d'exploration et production. Tandis que le coût du capital se renchérissait, les directions financières ont appris par la force des choses à intégrer des projections de long terme du baril beaucoup plus conservatrices qu'auparavant, générant, sur le papier, des retours sur capitaux plus frugaux. Par conséquent, l’on observe une baisse significative des nouveaux projets d'exploration, qui nécessitent entre 4 et 5 ans de travaux entre les premiers coups de pioche et l'extraction, bien accueillie par les politiques et missions de décarbonisation.

L'excédent de trésorerie viendra récompenser les actionnaires patients qui sont restés positionnés sur ce secteur tant décrié.

Ainsi, plutôt que d'immobiliser leur expansion dans l’amont pétrolier plus coûteux, les «Big Oil» devraient donc continuer graduellement d'augmenter la part renouvelable de leur portefeuille d'actifs. A quoi bon relancer le forage en mer profonde quand on peut profiter des WACC (coût moyen pondéré du capital) alléchants d'un Orsted ou d'un Vestas dans l’éolien marin? Quant à l'excédent de trésorerie, il viendra récompenser les actionnaires patients qui sont restés positionnés sur ce secteur tant décrié: ils recevront en 2022 entre 10 et 20% de rémunération, par le détachement de juteux dividendes (entre 4 et 9% selon les sociétés) et par les programmes de rachat d'actions (de 2 et 8% de la capitalisation boursière en fonction des groupes).

Dans ces conditions d'investissement très contraint, le pétrole pourrait rester structurellement plus cher que par le passé, quand bien même la croissance économique devrait ralentir en répercussion de la guerre en Ukraine. Ce qui a amené la BCE à rehausser ses anticipations d'inflation (5,1% fin 2022) tout en réduisant ses projections de croissance économique. Faisant volte-face, Christine Lagarde vient ainsi officiellement d'annoncer la fin du cycle d'expansion monétaire, amenant le marché à anticiper à présent une hausse des taux directeurs dès octobre cette année. Pour celle qui a rappelé la primauté de la mission de stabilité des prix dans son mandat, l'inflation en Europe devient clairement une force adverse préoccupante.

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