Les profits du pétrole: le meilleur ennemi des politiques

Thomas Planell, DNCA Invest

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Aucun grand groupe pétrolier n'envisage une réelle hausse nette de ses investissements dans les prochaines années.

©Keystone
Les profits exceptionnels des pétroliers

Ils sont les meilleurs ennemis des médias et d'une certaine partie du paysage politique. En cette période de flambée des prix de l'énergie (pétrole, gaz, électricité) où les Etats subventionnent les factures des plus démunis, les résultats records des groupes pétroliers sont trop bons, outrageusement trop bons. Jusqu'en Angleterre, berceau du capitalisme moderne où il n'est plus nécessaire d'écouter Ed Miliband pour se croire à Bruxelles. Pour le leader des libéraux-démocrates, Ed Davey, «il n'est pas normal que ces sociétés fassent de tels profits sans qu'on les taxe de façon exceptionnelle, surtout quand il y a des gens qui sont effrayés à l'idée d'allumer leurs radiateurs».

Total, avec Equinor, est le grand gagnant de la hausse du gaz.

Il est vrai que British Petroleum vient de clôturer son meilleur exercice depuis 8 ans. Comme Shell (qui pourrait distribuer aux actionnaires jusqu'à 35% de de son free cash-flow opérationnel) le groupe responsable de l'accident de Deepwater Horizons chérit ses propriétaires. Rien qu'au premier trimestre 2022, il leur rachète 1,5 million de dollars leurs titres.

Mais loin devant, Total avec Equinor, est le grand gagnant de la hausse du gaz. Aujourd'hui, 50 pays importent du LNG car, il faut bien se rendre à l'évidence, au sens propre comme au figuré le gaz est pour le moment le «combustible de la transition». Au cours des dernières années, Total a doublé sa présence dans le gaz européen et le rachat des activités d'import d'Engie lui a donné une sensibilité supplémentaire au prix du spot. Chaque dollar gagné de plus sur le cours équivaut désormais à près de 300 millions de dollars de cash-flow opérationnel en plus pour le groupe.  Alors, lorsque la veille de ses résultats, Total a lancé une campagne promotionnelle coup de poing dans ses stations-services, l'idée a fait son chemin chez certains que le groupe visait à passer un peu de pommade sociale à l'aube d'une publication outrageusement bonne.

De l’eau dans le gaz

Mais il ne faut pas oublier les années de vaches maigres par lesquelles sont passées ces entreprises. Comme le rappelle son jeune PDG, Bernard Looney, BP a connu en 2020 la pire année de son histoire de 112 ans. Si Total présente cette résilience dans la crise et cet effet de levier dans le rebond, c'est au prix de restructurations, de discipline dans les investissements, de rationalisation des coûts et d'efforts de productivité à tous les étages sur plusieurs années. Les fruits de la profitabilité recueillis aujourd'hui procèdent du semi des efforts d'hier: compenser par l'excellence opérationnelle la hausse du coût du capital qu'a fait peser l'exode des capitaux hors du secteur. 

Gare à ne pas tuer dans l'œuf le fragile poussin de la réindustrialisation.

Les marchés ont en réalité déjà sanctionné la dépendance de ces groupes aux énergies fossiles. Rajouter un faisceau fiscal au bâton de fléau ne ferait qu'aggraver la situation. La véritable leçon de cette saison de publications pétrolières, c'est qu'aucun groupe du secteur n'envisage une réelle hausse nette de ses investissements dans les prochaines années. Alors, à l'heure où la sécurité énergétique est plus fragile que jamais, l'aile politique la plus prompte à vouloir taxer les profits devrait réfléchir aux implications d'une telle menace. Edentée par une inflation qui ne ralentit pas (encore 7,5% en janvier aux Etats-Unis), la consommation des ménages contribuera moins aux 4,4% de croissance du PIB mondial attendu cette année. C'est aux investissements des entreprises de prendre le relais: pesant seulement 6% du chiffre d'affaires, les CAPEX des entreprises des pays développés sont au plus bas depuis 20 ans. Si les carnets d'ordres des entreprises de biens d'équipements comme Fanuc et Siemens sont remplis et augurent d'un fort rebond de l'investissement. Gare à ne pas tuer dans l'œuf le fragile poussin de la réindustrialisation. Les actionnaires ne récompensent pas moins ceux qui rendent que ceux qui investissent!

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