Le temps de la revanche

Thomas Planell, DNCA Invest

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Le contexte actuel est particulièrement favorable aux valeurs bancaires et pétrolières.

© Keystone

Abandonnés dans les limbes des taux négatifs, à l'écart des festins pantagruéliques de l'investissement ISR, l'heure de la revanche semble avoir sonné pour les secteurs les plus délaissés de la cote.

A commencer par les banques de la zone Euro, une espèce en voie de disparition des portefeuilles.

Un oiseau rare et peu fécond (pas une introduction en bourse depuis 2019; celle d'Ibercaja, prévue en ce début d'année 2022 vient d'être repoussée), condamné tel un Prométhée de la finance à s'éviscérer de plus de la moitié du capital qu'il génère chaque année en rétribution du crime de la grande crise financière de 2008.

Mais la répression de valorisation que fait subir le marché au secteur semble toucher à son terme. Au plus haut depuis 2018, l'Eurostoxx Banks passe du statut de bouc émissaire à celui d'arche de Noé à présent que le déluge de l'inflation et de la hausse des taux obscurcit l'horizon européen. En effet, c'était au tour de Christine Lagarde de concéder que la hausse des prix (+5,1% en janvier en Europe) devenait une cause de «préoccupation unanime» de nature à ne plus permettre de totalement écarter une hausse des taux directeurs en 2022. Contre -0,44% en début d'année, le rendement à 5 ans allemand s'approchait de 0% à l'issue de la conférence de presse de «Madame Inflation». De concert avec l'euro (+1,8% face au dollar), le secteur bancaire progressait à contre-courant du reste du marché, galvanisé par la perspective encore inconcevable jusqu'alors de voir la BCE s'engager sur la voie de la Fed dès cette année.

Il n’est donc pas impossible que Poutine laisse la folie l'emporter sur l'esprit et ce risque n'est pas étranger à la hausse des cours du pétrole.

Parmi les anciens titans de la cote à prendre leur revanche figurent aussi les valeurs pétrolières. Si le secteur recouvre son niveau d'avant crise, ce n'est pas seulement grâce à l'expiation de leurs péchés de carbone par les grandes majors européennes qui se diversifient dans les énergies renouvelables. Ce n'est pas non plus uniquement pour les charmes de leur rendement attractif (rappelons à ce titre que Total Energies a été capable en 2020 de maintenir son dividende alors que certains contrats futurs sur le pétrole se négociaient à des prix négatifs). Mais c'est aussi et surtout parce qu'à la faveur d'une croissance économique robuste, d'une production disciplinée de l'Opep, d'une crainte de voir l'inflation échapper au contrôle des banques centrales, le pétrole fait office de refuge pour ceux qui souhaitent se prémunir du dérapage des prix.

Et c'est enfin parce que le vent de la revanche souffle aussi quelque part à l'Est. Au-dessus d'une contrée que l'on appelait du temps des tsars: «Novorossiya», un nom légendaire susurré aux oreilles de Poutine par son conseiller, Sergey Glazyev, ex-Ministre des affaires économiques extérieures sous Eltsine… C'est au sud de cette région, rendue par Khrouchtchev à l'Ukraine afin que le gouvernement local en assure l'irrigation et la mise en culture, que Poutine a planté le semis de la vengeance belliqueuse russe.

Une vengeance nationale et populaire d'abord, qu'il assouvit en 2014, lorsqu'il reprend la Crimée et Sébastopol. En 1854, la chute de cette cité de la «gloire russe» apothéosée par Tolstoï face à la coalition occidentale menée par la France et l'Angleterre avait entériné la fin du règne du tsar Nicolas 1er, «le dictateur du nord».

Mais c'est aussi et surtout une revanche intime, presque génétique qui consume Poutine. Ancien maire de Saint-Pétersbourg, il fait partie du clan des Léningradiens opposé à la caste des Ukrainiens (Khrouchtchev, Brejnev, etc.) dans la lutte incessante pour la prise de pouvoir du Comité central du Parti soviétique. Il fait donc de la perte de la domination russe sur le pouvoir politique ukrainien, au cours de la révolution orange de 2004, une affaire personnelle. L'annexion de la Crimée, 10 ans plus tard a été ruminée dès cette époque. L'avertissement que lance Poutine lorsqu'il assure que l'Ukraine perdra l'est si elle accède à l'Otan est un cri viscéral. Il n’est donc pas impossible que Poutine laisse la folie l'emporter sur l'esprit et ce risque n'est pas étranger à la hausse des cours du pétrole. Le prix du brut pourrait ainsi jouer le rôle d'une «Doomsday Clock» financière (horloge de la fin du monde). Espérons que l'aiguille n’atteigne jamais minuit.

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