Le marché institutionnel s'adapte aux turbulences

Nicolette de Joncaire

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Forts de leur expérience de 2008, les investisseurs institutionnels étaient préparés à des marchés tumultueux en 2020. Le point avec Stéphane Casagrande de J.P. Morgan AM.

Où en sont les investisseurs institutionnels? Comment ont-ils traversé les deux années de pandémie et quels défis et difficultés rencontrent-ils aujourd’hui? Point de situation avec Stéphane Casagrande, responsable de la clientèle institutionnelle pour la Suisse et l’Allemagne chez J.P. Morgan Asset Management.

Quels sont les défis les plus significatifs du moment, tant pour vous que pour vos clients?

L’équilibre actuel entre essor de l’inflation et maintien de taux d’intérêt faibles est problématique pour tous. Mais il est tout particulièrement difficile à gérer pour les caisses de pension. Sans inflation, les taux bas restaient à peu près gérables. Toutefois, si, comme beaucoup le craignent, l’inflation perdure et s’installe de manière endémique, toujours accompagnée de taux maintenus à un niveau très bas par les banques centrales, l’équation devient très difficile à résoudre car il est difficile de financer des revenus aux retraités basés sur le taux de conversion actuel. La durée de vie s’étant allongée d’un an tous les dix ans au cours des cinquante dernières années, ce taux de conversion n’est plus adapté aux circonstances. C'est pourquoi certains des plus grands fonds de pension ont réduit leur taux de conversion au-dessous de 5% ; certains aussi bas que 4,5%, un niveau techniquement correct pour une espérance de vie située entre 82 et 86 ans. Le taux de conversion officiel reste toutefois à 6,8% pour la partie obligatoire de la prévoyance professionnelle.

«Autrefois considérés comme un placement alternatif, les investissements dans les infrastructures ont aujourd’hui leur propre poche.»
Quels sont les facteurs de succès les plus importants dans la gestion des actifs institutionnels?

Nous avons observé trois facteurs qui contribuent significativement à l’amélioration des rendements sur les portefeuilles institutionnels. En premier lieu, l’adoption de stratégies à faible volatilité en lieu et place des obligations - l’infrastructure par exemple - offre des rendements stables et réguliers. Cette tendance s’est accentuée l’an dernier et restera, selon nous, prépondérante pour les prochaines années. Notez qu’en ce qui concerne l’infrastructure, une modification de l’ordonnance sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (OPP 2) a favorisé le mouvement: autrefois considérés comme un placement alternatif, les investissements dans les infrastructures ont aujourd’hui leur propre poche. Le second point qu’il nous parait important de noter est un retour de flamme en faveur des gestions actives surtout dans le domaine obligataire où les pays et les entreprises les plus endettés pèsent sur les indices et accroissent le risque. Enfin, le private equity et la dette privée l’emportent sur les marchés cotés, l’une des motivations étant d’additionner la prime d’illiquidité à la valeur ajoutée de la classe d’actifs. Les trends à long terme sont similaires à ceux des marchés plus liquides mais plus lisses, moins volatils.

Quelles sont les grandes tendances que vous observez sur le marché institutionnel?

La consolidation des caisses de pension est évidente: réduction du nombre de caisses et accroissement de la taille des survivantes. Une centaine de caisses disparait chaque année depuis 20 ans. Elles étaient 3’400 et ne sont plus qu’environ 1’400. Parce qu’il leur faut une taille critique pour être gérable de manière efficiente et efficace – les économies d’échelle permettent de réduire les couts - et parce que les marchés de placement sont beaucoup plus difficiles qu’ils ne le furent. Sans oublier que la régulation est infiniment plus stricte et exigeante que par le passé. Sous tous les angles, les institutions de prévoyance sont devenues plus difficiles à gérer ce qui a obligé à la professionnalisation de leur personnel. Cette consolidation est aussi visible dans l’environnement des asset managers qui servent le marché institutionnel. Là encore les explications sont à chercher dans la compression des marges et le coût de la compliance. Survivent les très grands gérants d’actifs qui couvrent toutes les classes et les spécialistes de super-niches très talentueux. Ceux qui se trouvent entre deux sont contestés ; différentes fusions des asset managers de taille moyenne au cours des dernières années reflètent cette tendance.

«On a vu se profiler l’attractivité des investissements ESG et, plus particulièrement, les placements qui encouragent la réduction de l’empreinte carbone.»
En 2020, la crise du COVID a secoué les marchés. Quelles leçons en avez-vous tirées?

Plutôt qu’une leçon, c’est une constatation que j’ai faite. Forts de leur expérience de 2008, les investisseurs institutionnels étaient bien préparés à des marchés tumultueux et ont correctement navigué la volatilité des mois de mars et avril 2020 en maintenant leurs convictions et leurs stratégies. De 2008, ils avaient appris à rester sereins et avaient mis en place des protocoles pour réagir aux crises en travaillant sur la base de scénarios déjà étudiés. Ce sang-froid démontre aussi combien ils se sont professionnalisés.

Quelles tendances pour 2022?

Tous les thèmes de l’an passé vont perdurer: stratégies de substitution aux rendements obligataires, infrastructure, gestion active, marchés privés. Plus récemment, on a vu se profiler l’attractivité des investissements ESG et, plus particulièrement, les placements qui encouragent la réduction de l’empreinte carbone. Nous le constatons chez beaucoup de clients: ils se posent des objectifs de réduction de l’empreinte à un horizon donné et voudraient se classer «net zero» ou tout au moins correctement par rapport à leurs pairs. D’où un intérêt accru pour les fonds carbon offset ou le secteur forestier.

Qu’implique bien servir un client institutionnel?

Il faut d’abord bien l’écouter et parfaitement comprendre les défis auxquels il est confronté. C’est vrai pour les institutions de prévoyance, les compagnies d’assurance et les family offices qui ont chacun leur problématique propre en fonction de leur environnement. C’est la raison pour laquelle nous maintenons des équipes à Genève et à Zurich. Il faut ensuite, au-delà des produits financiers, partager avec lui son capital intellectuel en mobilisant le soutien d’équipes spécialisées dans chaque secteur, au cours d’intervention aux comités de placement ou de workshops spécialisés. Il faut, en dernier lieu, avoir des processus stricts qui garantissent des rendements supérieurs. En fin de compte, c’est le rendement qui parle pour le gestionnaire.

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