Après un début d’année positif pour les petites et moyennes capitalisations, le doute s’installe à nouveau sur leur performance future. Profiteront-elles des sorties d’actifs américains? Qui pourrait en bénéficier?
Hywel Franklin, Head of European Equities, auprès de Mirabaud Asset Management, gère les fonds Mirabaud Discovery Europe et Mirabaud Discovery Europe ex-UK qui se concentrent sur des small & mid caps européennes peu couvertes par les fonds classiques. Il répond aux questions d’Allnews sur sa performance, sa sélection de titres et les perspectives de cette classe d’actifs: Hywel Franklin, Head of European Equities, Mirabaud Asset Management
Un accord commercial a été signé entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Est-ce que cela vous incite à investir davantage au Royaume-Uni?
Notre regard porte sur les entreprises et non sur les perspectives macroéconomiques. Cet accord sur les droits de douane nous intéresse moins pour ses conséquences sur le Royaume-Uni que pour les clés qu’il nous fournit pour mieux comprendre les objectifs de l’administration Trump. Le marché déteste l’incertitude. Non seulement un tel accord réduit l’incertitude sur le Royaume-Uni et aussi sur l’Europe, mais il nous incite à imaginer quel sera le prochain accord. Le marché essaie d’évaluer d’autres accords possibles, par exemple entre l’UE et les Etats-Unis. La question de l’avenir des relations entre l’UE et le Royaume-Uni revient aussi au-devant de la scène. Andrew Bailey, le gouvernement de la Banque d’Angleterre, a souligné le rôle des relations avec l’UE après le «modeste développement du commerce» entre le Royaume-Uni et ses principaux partenaires commerciaux depuis 2016. Pour moi, des discussions sont en cours et l’accord entre Londres et Bruxelles ne manquera pas d’intervenir. Il en résultera une amélioration du sentiment à l’égard des actions européennes.
«La décote des small caps européennes est encore énorme même si la croissance des bénéfices de ces entreprises est supérieure sur le long terme.»
La performance des small caps européennes s’est améliorée en début d’année, à l’inverse de celle des «mag 7». Est-ce que les small caps ont encore un fort potentiel?
Je ne m’inquiéterais pas trop, ce n’est pas fini. Les investisseurs sont encore nettement surexposés aux Etats-Unis. Les actions américaines ont refait les pertes accumulées depuis le Liberation Day. Elles se traitent donc à nouveau à 22-23 fois les bénéfices de 2025, contre 15 fois pour les grandes capitalisations européennes et 12 fois les small caps européennes. L’écart de valorisation est encore considérable. La décote des small caps européennes est encore énorme même si la croissance des bénéfices de ces entreprises est supérieure sur le long terme. Je suppose que certains investisseurs utiliseront le rebond actuel pour accroître leurs positions dans les small caps européennes.
Avez-vous modifié votre portefeuille cette année?
Oui. Nous avons davantage investi dans les domaines de la construction et des infrastructures en Europe. Pour des raisons géopolitiques, les gouvernements européens ont décidé d’investir davantage dans la défense et dans les infrastructures. Le besoin de rénovation dans ce domaine est évident dans de nombreux pays.
Nous avons investi dans Kier au Royaume-Uni, un partenaire clé du gouvernement britannique dans la construction de routes et de chemins de fer, qui croît significativement et dont le titre s’échange à un multiple inférieur à 10 fois.
Je citerai aussi l’entreprise néerlandaise BAM, également dans les infrastructures, qui continue de croître notablement mais qui n’en est qu’au début de sa progression. En matière d’infrastructure, les délais sont toujours longs.
Ces deux entreprises sont parvenues à augmenter leur rentabilité et la qualité de leur bilan.
Est-ce que vous placez KSB dans ce groupe, lui qui figure dans vos principales positions?
KSB est une société allemande qui produit des pompes. La valorisation a fortement souffert du fait qu’elle soit allemande, cyclique et industrielle. Le titre est mal compris.
La société est globale et assure sa croissance principalement grâce à son service de maintenance, plutôt qu’au volume de pompes vendues. La maintenance n’est pas menacée par les droits de douane. Or les trois quarts du bénéfice proviennent des services. Nous pensons que la part de services devrait continuer de croître parce que ses clients, dans l’énergie nucléaire ou l’industrie minière, ont vivement intérêt, pour des questions de coûts, à disposer d’équipements en bon état de marche. La prévisibilité et la croissance de cette société ne se reflètent pas dans le cours.
Le titre se traite à moins de 0,5 fois le chiffre d’affaires alors que Sulzer ou Xylem se traitent à deux fois les ventes. KSB est une formidable opportunité.
Comment expliquer cet écart?
L’histoire de la société contribue à cet écart de valorisation. Les marges et le rendement des fonds propres de KSB ont longtemps été très faibles. Le management ne maximisait pas vraiment la rentabilité mais plutôt sur le chiffre d’affaires. Le changement de direction intervenu en 2017 avec la nomination de Stephan Timmermann à la présidence de la direction a conduit à un changement de priorité. La marge d’exploitation (EBIT) est passée de 3 à 8% et elle devrait se hisser à 10%. La marge des pompes est de 3% et celle des services de plus de 10%. L’action ne se traite qu’à 10 fois ses bénéfices 2025 et 9 fois ses résultats 2026.
Sa présence dans l’énergie nucléaire n’est-elle pas un handicap sachant que Friedrich Merz a sorti le secteur nucléaire de son programme de coalition?
Il faut distinguer entre la vente de pompes et les perspectives des services. L’énergie nucléaire est effectivement technologiquement exigeante si bien que les entreprises de ce secteur ont besoin de soigner la maintenance de leurs équipements. La politique énergétique privilégie les énergies renouvelables, mais KSB y est aussi présent. C’est un groupe global, disposant de 3500 techniciens, qui profite du fait que l’énergie nucléaire soit sur une pente ascendante. De nombreuses nouvelles installations émergent en Asie et en Amérique.
«Nous avons davantage investi dans les domaines de la construction et des infrastructures en Europe.»
Le secteur est encore très fragmenté. Le Top 4, auquel appartient KSB, représente moins de 20% du marché. Mais KSB se distingue des groupes indépendants par la priorité aux services et par sa présence globale.
La part allemande de votre portefeuille atteint 20%. Devrait-elle encore croître avec la politique du nouveau gouvernement Merz?
Nous sélectionnons des sociétés plutôt que des pays. Mais nous avons d’autres groupes allemands que KSB. Par exemple Eckert & Ziegler dans la santé (isotopes radioactifs) qui profite de la tendance à une médecine personnalisée. Eckert & Ziegler est leader dans ce domaine très complexe et très régulé.
Je citerai aussi Norma, une société allemande disposant de divisions automobile, industrielle et «eau». Sa capitalisation est inférieure à 400 millions d’euros. Sa valorisation souffre de la taille, de la cyclicité, de sa présence en Allemagne, dans l’automobile et, encore pire, de son exposition aux Etats-Unis. On ignore généralement que la division «eau» est une activité domestique aux Etats-Unis et n’a pas à craindre de droits de douane. La société a estimé que le chiffre d’affaires de cette division, qui est sur le point d’être vendue, s’élèverait entre 600 millions et 1,2 milliard. Le chiffre est à mettre en relation avec la capitalisation. Le scepticisme du marché n’est-il pas excessif? J’ajoute que Goldman Sachs a obtenu le mandat de conseiller pour la vente de cette division. Au cours de mes 20 ans d’expérience, je n’ai pas découvert de telles opportunités toutes les 5 minutes. Le marché est trop focalisé sur Donald Trump et trop peu sur les valorisations de chaque société.
Si la confiance commençait à revenir, de telles opérations devraient se multiplier en Europe. Le marché commence enfin à s’interroger sur la pérennité de l’exceptionnalisme américain.
En raison de vos besoins de diversification au sein de vos 25 à 40 positions, est-ce que vous faites aussi un choix entre les sociétés soumises aux tarifs et celles qui ne le sont pas?
L’impact des droits de douane et les niveaux qui pourraient ressortir des négociations sont des éléments critiques à considérer. Nous essayons de trouver des sociétés au bénéfice de risques asymétriques.
Nous avons des sociétés très domestiques, comme Credito Italiano ou Academia en Suède. Et nous avons investi dans des entreprises avec un risque asymétrique, c’est-à-dire pour lesquels le scénario du pire est déjà entièrement intégré dans le cours mais qui disposent d’un gain potentiel considérable. C’est le cas de Norma en Allemagne.
Avez-vous d’autres risques asymétriques liés à la géopolitique?
Je citerai par exemple le secteur de l’acier, bénéficiaire de l’augmentation des dépenses de construction. Le problème de la sidérurgie tient non pas à la demande mais à l’offre, en l’occurrence à l’excès d’offre d’acier chinois. Dans le meilleur des scénarios possibles, la Chine réduirait ses exportations d’acier, ce qui profiterait par exemple à l’Allemand Salzgitter. Le titre de ce dernier pourrait profiter de la reconstruction de l’Ukraine, des infrastructures en Europe et de la moindre exposition chinoise. L’autre élément de la situation asymétrique est lié à sa participation dans Aurubis, une société allemande de 3,5 milliards de capitalisation. Salzgitter détient une participation de 30% dans Aurubis, ce qui correspond à 1 milliard d’euros. Un chiffre à mettre en relation avec la capitalisation de Salzgitter, qui est de 1,3 milliard. Le marché sous-estime cette dernière.
Cette année, l’industrie de la défense est le meilleur secteur boursier. Comment l’appréhendez-vous?
Les grands groupes de défense se sont nettement appréciés, mais nettement moins les small caps du secteur. C’est une opportunité. Nous avons investi dans Kitron, en Norvège, qui fournit des services de fabrication électronique. Les grands groupes de défense externalisent la fabrication de leurs produits, par exemple de missiles. Kitron est l’un de leurs sous-traitants. En Suisse, Cicor est un autre bénéficiaire de cette tendance.