Risque d’une baisse hawkish de la Fed

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

L’appétit pour le risque bondit

Octobre est (presque) derrière nous et le krach n’a pas eu lieu. Les Américains et Chinois devraient signer le premier volet de leur accord commercial dans les prochaines semaines et le Brexit est repoussé au 31 janvier avec une chance de parvenir à un deal acceptable. Le risque systémique est donc en nette baisse, en tout cas dans la perception qu’en ont les investisseurs et les marchés actions volent de record en record au cours d’une semaine marquée par la réunion de la Fed et la publication des résultats de 163 entreprises du S&P 500. 

Dans ce contexte, marqué par des statistiques macroéconomiques sans grande surprise d’un côté ou de l’autre, les marchés de taux ont poursuivi leur correction. Le 10 ans et le 30 ans US ont franchi respectivement les niveaux de 1,8% et 2,3% et le retour du 10 ans US vers 2% à court-terme évoqué la semaine dernière est de plus en plus envisageable. Nous continuons de penser que toute correction obligataire devrait être mise à profit pour rajouter un peu de duration en prévision d’un éventuel rally fin 2019 ou début 2020. 

Le trading des taux 30 ans réels/nominaux sera sans doute l’un de nos arbitrages
préférés d’ici la fin de cette année et tout au long de la prochaine.

Sur le marché des taux réels, les TIPS 30 ans (obligations du Trésor US indexées inflation) ont joué parfaitement leur rôle au cours de la correction du mois d’octobre. Leur rendement est passé de 0,53% à 0,59% (+6 points de base) depuis le 30 septembre tandis que leur homologue à taux nominal a beaucoup plus souffert. Le 30 ans Treasury a en effet vu son taux passer de 2,11% à 2,31% soit 20 points de base de correction. La conséquence immédiate de cette divergence de comportement est la remontée du breakeven d’inflation. Si ce dernier devait poursuivre son mouvement haussier, vers 1,85%-1,90%, nous serions tentés de prendre nos profits sur les TIPS et investir de nouveau dans les taux nominaux. 

Dans l’environnement actuel de taux faibles, la quête de performance passe par l’adoption de stratégies plus dynamiques que par le passé et le trading des taux 30 ans réels/nominaux sera sans doute l’un de nos arbitrages préférés d’ici la fin d’année et probablement tout au long de l’année 2020. Dans le même temps, le marché du repo est toujours sous tension. La Fed vient de faire passer ses interventions quotidiennes dans le marché monétaire overnight de 75 à 120 milliards. La taille de son bilan est déjà en légère augmentation à la faveur des 60 milliards par mois d’achats dans le cadre de son non-QE. 

Une troisième baisse de taux…et après?

Le suspens a disparu depuis longtemps: la troisième baisse de taux de la Fed depuis le début de l’année est envisagée par 92% du marché. En revanche, une quatrième baisse le 11 décembre, portant les Fed funds à 1,25%-1,50%, n’est anticipée que par 23% des intervenants. La probabilité monte timidement à 37% pour le FOMC du 29 janvier. Autant dire que le vrai enjeu du meeting de mercredi soir est de savoir si Monsieur Powell va laisser la porte ouverte à une quatrième baisse en décembre ou va la refermer en évoquant notamment la stabilisation du risque systémique mondial (guerre commerciale, Brexit…) et la bonne santé de l’économie américaine. 

Le scénario que nous redoutons serait l’annonce
d’une pause dans la politique de baisse de taux.

Il y a de grandes chances pour que ce quatrième assouplissement devienne «data dependant» et dans ces conditions, les marchés pourraient exprimer leur mécontentement face à ce «wait and see» qu’ils n’apprécient guère. Compte tenu de la correction récente des taux obligataires US, nous estimons qu’une telle déception est déjà pratiquement dans les prix tandis que les marchés actions pourraient glisser de leur piédestal (qui s’élevait à 3'040 lundi après-midi pour le S&P 500). Le patron de la Fed est donc attendu au tournant: le scénario que nous redoutons serait l’annonce d’une pause dans la politique de baisse de taux et l’affirmation que les dysfonctionnements du marché monétaire ne sont plus qu’un mauvais souvenir, la situation étant désormais soi-disant sous contrôle. 

Au revoir et merci Monsieur Draghi

Les querelles à propos de la trace que laissera Mario Draghi dans l’histoire seront sans doute sans fin mais vaines. Nous resterons à jamais redevables de son «whatever it takes» qui a sauvé l’euro et de son acharnement à limiter l’écartement des spreads des pays périphériques, épargnant à ces derniers une crise encore plus douloureuse. 

Nous ne pouvions donc décemment terminer cette chronique sans évoquer l’action de ce grand banquier central en souhaitant bon courage à Christine Lagarde et en espérant que, contrairement à son illustre prédécesseur, elle saura convaincre les gouvernements européens (les Allemands en particulier) de lui apporter leur aide via un plan de relance autant nécessaire que salutaire. La dégradation de l’économie allemande est sans doute, de ce point de vue, une nouvelle plutôt bonne pour la BCE puisqu’elle forcera peut-être les Allemands à abandonner une orthodoxie budgétaire qui asphyxie leur économie ainsi que celle de la zone euro toute entière.

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