Feu vert pour l’Investment Grade, feu rouge pour le High Yield

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Les banques centrales achètent (et vont acheter)

La semaine dernière, la Fed nous a dévoilé son programme tous azimuts composé de sept nouveaux acronymes, dont les fameux PMCCF et SMCCF pour Primary Market (et Secondary Market) Corporate Credit Facility qui vont lui permettre d’acheter de la dette corporate, ce que le QE lui interdit. La BCE se retrouvait un peu timorée après cette annonce mais c’était sans compter sur l’annonce des contours exacts de son programme PEPP (Pandemic Emergency Purchase Program). Dans les grandes lignes, le PEPP est confirmé à 750 milliards mais le montant peut être révisé à tout moment. Il est censé se terminer fin 2020 mais sa durée peut être également rallongée si besoin. Il inclut des achats de titres à maturités plus courtes allant jusqu’à 70 jours minimum. Enfin, le fameux plafond de 33% de la dette d’un émetteur a disparu purement et simplement. En d’autres termes, la BCE nous annonce qu’elle peut, si nécessaire, utiliser ce PEPP pour racheter par exemple toute la dette italienne, surtout sur les maturités courtes. C’est la version post-mea culpa de Madame Lagarde du «whatever it takes» de Mario Draghi. 

C’est le TIPS 30 ans qui a tiré les marrons du feu.

Sur le marché US, avant que le SMCCF débute, la Fed a dû réparer les dysfonctionnements qui s’étaient immiscés jusque dans le marché des Treasuries. Mission accomplie! Les bid-offer spreads se sont détendus et les taux longs US sont revenus dans une fourchette qui correspond à leur fair value actuelle (avec toutes les précautions d’usage car qui peut se targuer aujourd’hui d’évaluer le juste prix d’un actif financier?), soit environ 0,75% pour le 10 ans (0,60% hier après-midi) et 1,25% pour le 30 ans. Comme nous l’avions mentionné à maintes reprises, c’est le TIPS 30 ans qui a tiré les marrons du feu. Après avoir été malmené violemment pendant trois jours, le TIPS 2050, qui est descendu à 86 le 18 mars, est remonté à pratiquement 112 hier après-midi. Les Treasuries indexées inflation traitent toutes en territoire négatif (rendement réel), y compris le 30 ans dont le rendement atteignait -0,33% le 26 mars et -0,12% hier après-midi.

L’Investment Grade reprend des couleurs

Nous l’évoquions déjà la semaine dernière et c’est encore plus flagrant aujourd’hui: il y a désormais deux marchés de crédits bien distincts qui vont prendre des trajectoires divergentes. D’un côté, le high yield (le «vrai», dont les notations sont inférieures à BB) va devoir faire des concessions plus généreuses en termes de spread pour attirer les investisseurs. La liquidité va encore diminuer, certains secteurs seront sinistrés (le shale US avec un baril à 19 dollars par exemple) et les downgrades et premiers défauts vont apparaitre au cours du printemps. D’un autre côté, les crédits de bonne qualité, qui seront achetés par la Fed ou la BCE, dont les spreads se sont déjà bien écartés, se révèlent déjà comme une opportunité d’achat. 

La dette subordonnée va sans doute
faire parler d’elle dans les jours qui viennent.

Depuis huit jours, le marché primaire symbolise l’engouement du public pour l’Investment Grade et permet une certaine stabilisation des spreads. Sont venus en dollars des émetteurs comme notamment Oracle, Viacom CBS, Home Depot, Autozone, 3M, McDonalds et Pfizer. L’euro n’a pas été en reste avec, entre autres, AB Inbev, Unilever, Saint Gobain, Air Liquide, Heineken, Philips et Engie. Est-ce trop tôt pour investir en Investment Grade? Les spreads risquent-ils de repartir à la hausse? Tout d’abord, les banques centrales vont commencer à acheter massivement, il ne faut peut-être pas trop attendre. Ensuite, afin de ne pas perturber des marchés déjà ébranlés par cette crise majeure et d’un genre nouveau, certains indices obligataires ont décidé de repousser à fin avril le rebalancement de fin mars (ICE et Russell notamment). 

Enfin, les agences de notation ont l’air de ne pas vouloir jeter de l’huile sur le feu avec des downgrades massifs et brutaux sauf lorsque la situation l’exige dans des secteurs comme la banque, l’automobile ou le pétrole. Elles semblent pour l’instant jongler avec une certaine réussite entre leur sens des responsabilités et leur crainte d’apparaitre trop laxistes une fois la crise passée. Ces agences sont sans doute encore traumatisées par la vindicte post-2008 qui les accusait d’avoir amplifié la crise en notant AAA avec trop de complaisance des CDO et autres produits liés aux subprimes. La dette subordonnée va sans doute faire parler d’elle dans les jours qui viennent. Dans ce domaine, il y aura également deux catégories, la dette bancaire qui va souffrir (coupons non payés suite au non-paiement du dividende) et la dette corporate hybride qui sera épargnée ou qui souffrira également de manière injuste, offrant des opportunités d’investissement exceptionnelles. Les investisseurs seraient bien inspirés de relire les multiples pièces de recherche qui identifient les différences entre dette bancaire AT1/CoCo et hybrides corporates. Ils pourraient ainsi déceler des idées de stratégie très intéressantes à horizon 12-18 mois.

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