Trop tôt pour s’intéresser au crédit?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Vent de panique

Drôle de surprise hier matin en allumant nos écrans: 0,80% sur le 30 ans US nominal et -0,60% sur le taux réel, le 10 ans à 0,40%, le Bund à -0,90%... C’est à croire que la fin du monde est proche. Les marchés actions, qui ont pris avec retard la mesure du risque global sont en train de basculer dans l’excès et l’or atteint 1'700 dollars lorsqu’au même moment le baril de brut atteint 30 dollars en plein bras de fer Poutine-Opep. S’il fallait ne retenir qu’une illustration de ce que nous sommes en train de vivre, ce serait sans doute le VIX, symbole tout puissant de la panique environnante. 

Il devient très difficile voire impossible de bâtir des scénarios et stratégies de gestion de la duration. Les mêmes experts qui nous prenaient pour des illuminés lorsque nous évoquions un 10 ans US à 1% voire 0,75% nous affirment aujourd’hui qu’il va aller jusqu’à 0% voire en territoire négatif. Sur les niveaux actuels, nous prenons quelques profits sur les emprunts d’états, sachant qu’ils peuvent toutefois poursuivre leur détente d’ici la prochaine réunion de la Fed dans huit jours. Ce FOMC est déjà dans tous les esprits. 

Il y a fort à parier que toute intervention classique
des banques centrales ne sera pas d’un grand secours.

Si une baisse de taux supplémentaire de 50 bp est anticipée par 100% des intervenants, il faudra sans doute attendre la prise de parole de Jerome Powell pour savoir si d’autres modes d’intervention ont été envisagés ou même mis en place. Nous pensons notamment aux propos tenus par Eric Rosengren, président de la Fed de Boston (qui n’est pas membre du Comité de la Fed en 2020) vendredi soir. Persuadé que les taux négatifs ne sont pas une bonne idée et que le QE «classique» de la Fed implémenté après la crise de 2008 ne sera guère efficace dans les circonstances actuelles, il évoque la possibilité de changer les règles pour que la Réserve fédérale puisse élargir la liste de classes d’actifs éligibles dans un programme d’achats futur. Cela pourrait aller jusqu’à l’éventuel achat d’actions puisque Monsieur Rosengren envisage l’alignement de la Fed sur ses homologues européen (la BEC achète du crédit) et japonais (la BoJ achète des actions via des ETF) dans ce domaine. Il y a fort à parier que le patron de la Fed de Boston soit dans le vrai et que toute intervention classique des banques centrales ne sera pas d’un grand secours. 

Du côté de la BCE, un élargissement du QE2 est vraisemblable mais le plus évident serait un «méga TLTRO» qui forcerait les banques à prêter à taux négatif aux entreprises les plus touchées par le COVID-19. Comme le mentionne également Eric Rosengren, les politiques fiscales des gouvernements seraient les bienvenues pour prendre le relais des banques centrales, surtout les plus démunies.

Bain de sang sur les spreads

Comme il fallait s’y attendre, les spreads de crédit n’apprécient pas du tout la situation actuelle. L’ampleur des dégâts est somme toute mesurée mais dans un marché très peu liquide, la réalité est sans doute pire que ce que les indices peuvent montrer. Tout intervenant sur ce marché sait de quoi l’on parle: si telle obligation cote 92 sur votre écran, il n’est pas exclu que le véritable prix avoisine 88 voire qu’il n’y ait pas de bid du tout! La lourde responsabilité du marché des ETF évoquée dans ces mêmes colonnes la semaine dernière pourrait nous emmener tester des niveaux d’écartement de spreads encore jamais vus. Aussi, il faut rester très prudents: le CDX high yield, qui oscillait entre 275 et 300 en janvier-février s’approche des 600 bp mais il pourrait dans un scénario catastrophe aller tester les niveaux de 800-1'000 qui devraient être les siens dans de telles circonstances. 

Il est temps de rebalancer le risque de nos portefeuilles
en réduisant le risque de duration au profit du risque de crédit.

En Europe, l’iTraxx x-over est passé de 220 à 490 bp. Nous avons toujours privilégié la dette subordonnée d’entreprise de haute qualité et depuis hier, nous tentons d’accumuler quelques obligations hybrides corporates que nous suivons depuis quelques mois. En début d’année, elles étaient très chères et quasi introuvables («bid only») pour certaines d’entre elles. Ce n’est plus le cas et nous estimons qu’il est temps pour nous de rebalancer le risque de nos portefeuilles en réduisant le risque de duration au profit du risque de crédit. 

Comme nul ne peut prédire si le bain de sang sur les spreads n’en est qu’à ses débuts ou si nous sommes proches des niveaux de stress les plus élevés, nous allons investir par petites touches. Il s’agit d’accumuler du spread de crédit afin de construire notre track record futur. D’ici quelques mois, peut-être en 2021, le crédit prendra sans doute le relais de la duration en tant que moteur de performance. Il s’agit donc de prendre date, tout en gardant un œil sur les courbes de taux gouvernementales car en effet, le 10 ans US peut très bien descendre à 0%.

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