Inflation: le sparadrap du capitaine Haddock-Powell
La Fed est face à un dilemme. Pour certains, sa politique monétaire n’est toujours pas assez accommodante tandis que pour d’autres, elle l’est déjà trop. Pour ces derniers, ce ne sont pas les taux actuels qui sont trop bas mais plutôt ceux qui ressortent des projections illustrées par les dot plots du FOMC. Les premiers mettent en avant le risque de ralentissement prononcé si une détente monétaire de plus grande ampleur n’est pas rapidement mise en place. Pour eux, le risque de récession est toujours présent en filigrane et ils font preuve d’inquiétude lorsque les jobless claims du jeudi sont en hausse. Leur hantise reste une Fed «behind the curve» au moment où l’inflation ne doit plus être le sujet principal de préoccupation.
Avant le début du mois de septembre, nous faisions partie de ce camp qui suppliait la Fed de passer rapidement en mode dovish. Nous avons changé d’opinion pour deux raisons majeures. Premièrement, la Fed a déjà baissé ses taux de 50bp au lieu de 25bp, montrant aux marchés qu’elle avait conscience du risque de se trouver en effet behind the curve. Ensuite, l’inflation n’est pas morte et l’enterrer trop rapidement serait une erreur potentiellement funeste. Certes, l’inflation globale poursuit sa décrue mais l’inflation core ne faiblit plus. Pire, elle remonte! Pendant plusieurs mois les marchés de taux ont critiqué la Fed qui, selon eux oubliait son double mandat en restant obnubilée par l’inflation. Aujourd’hui, la banque centrale américaine agit en ce sens mais avec retard. Pas de chance, c’est pile à ce moment-là que l’inflation refait surface. Pour combien de temps? Jusqu’à quel niveau? Comme si l’équation n’était pas assez compliquée à résoudre, la variable Chine est venue s’inviter en dernière minute.
En évitant de commettre une erreur de politique monétaire, la Fed a sonné le glas (en tout cas provisoire) des taux longs inférieurs à 3,5%.
Le steepening n’est pas terminé
Les marchés obligataires ne sont pas fous. Si le 10 ans et les 30 ans sont passés respectivement de 3,6% à 4,1% et de 3,9% à 4,4% en un mois, c’est parce qu’en quelques semaines, le paysage a évolué suffisamment pour justifier un tel rebond de 50bp. Le «jumbo rate cut» a déclenché les hostilités. Les chiffres macroéconomiques ne vont pas tous dans le même sens mais les plus décevants ne sont pas alarmants. Les taux longs auraient pu poursuivre leur détente mais pour cela, il aurait fallu que le risque de récession s’amplifie avec une Fed amorphe qui ne baisse pratiquement pas ses taux en 2024… pour mieux les baisser en 2025-2026 jusqu’à des niveaux inenvisageables par la Fed (2% voire plus bas si nécessaire). En évitant de commettre une erreur de politique monétaire, la Fed a sonné le glas (en tout cas provisoire) des taux longs inférieurs à 3,5%.
Après cette correction d’un demi pourcent, faut-il alors remettre de la duration? Nous nous sommes posés la question mais pour l’instant nous estimons que ce serait prématuré. Les taux longs, après avoir connu une détente inespérée entre fin avril et mi-septembre, vont sans doute poursuivre leur phase de correction. Surtout que d’autres critères entrent en ligne de compte en dehors du triptyque Fed-inflation-croissance. Le poids insoutenable de la dette qui augmente inexorablement, la possible victoire de Trump qui remonte dans les sondages et la concurrence de stratégies obligataires plus attrayantes ne sont pas des points positifs pour le long bond.
En ce qui concerne Donald Trump, rappelons que ce n’est pas lui mais son programme qui est censé provoquer des tensions sur les taux longs (à travers notamment un peu plus d’inflation). En imaginant Trump victorieux à la présidentielle mais avec un congrès Démocrate, son programme ne serait plus appliqué à 100%. Rappelons donc une évidence trop souvent occultée par les commentateurs: pour les marchés, la couleur du sénat et celle de la chambre des représentants sont aussi importantes, sinon plus pour les taux longs, que le vainqueur de la présidentielle. Pour revenir à notre stratégie de duration, dans ce contexte, nous pourrions songer à la rallonger mais sur des niveaux se rapprochant un peu plus de ceux d’avril dernier. L’ampleur de la prochaine baisse de taux de la Fed le 7 novembre (soit deux jours après la présidentielle) sera un bon test.