Fed «behind the curve», avantages et inconvénients

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

«Data dependent», oui mais desquelles?

La Fed a commis deux erreurs majeures qui ont provoqué la situation actuelle. Tout d’abord, elle a complètement sous-estimé l’effet retard de ses hausses de taux passées. Cet effet retard se manifeste au pire moment, celui au cours duquel l’économie américaine commence à donner des signes inquiétants de ralentissement. La seconde erreur, c’est de s’être proclamée «data dependent» mais en restant obnubilée par les chiffres d’inflation au détriment des autres. Elle a oublié qu’elle était investie d’un «dual mandate» et s’en est souvenue trop tard.

Lorsque Jay Powell a reconnu, en conclusion du FOMC du 31 juillet, que la Fed doit désormais se focaliser un peu moins sur l’inflation et un peu plus sur la situation de l’emploi, tous les yeux étaient évidemment braqués sur les chiffres des Non-Farm Payrolls vendredi 2 août. Et comme ils ont été exécrables, il n’en a pas plus fallu pour que la machine s’emballe. Nous sommes également «data dependent» et nous constatons depuis environ deux mois que le ralentissement de l’économie est de plus en plus préoccupant. Et lorsque la macro est rejointe par la micro (c’est-à-dire les publications de résultats des entreprises), le doute n’est pas permis ou, en tout cas, il se réduit sensiblement. Combien de preuves avons-nous reçues depuis une dizaine de jours? Coca-Cola, Starbucks, McDonalds, WalMart (pour ne citer que les plus emblématiques) disent tous la même chose: ça plonge d’un coup. C’est la raison pour laquelle, comme dans de rares cas, les marchés actions réagissent aussi vite, sinon plus vite, que les marchés obligataires.    

La Fed va réussir son défi, ramener l’inflation à 2%

S’il faut vraiment trouver un avantage à être «behind the curve», c’est celui-là. La Fed a réussi un travail magnifique en faisant chuter violemment l’inflation de plus de 9% en juin 2022 à 3% aujourd’hui mais s’est retrouvée récemment impuissante face au fameux «last mile» (le dernier point de pourcentage pour passer de 3% à 2%) très difficile à combattre. Le seul moyen efficace: une erreur de politique monétaire qui fait plonger l’économie. Ils vont y arriver! Nous avons donc vu défiler sur les plateaux des chaînes spécialisées anglo-saxonnes les experts qui ne juraient que par le soft landing il y a encore deux mois nous expliquer que la Fed va baisser ses taux de 50bp deux fois avant la fin de l’année.

Bye bye soft landing, le hard landing était dans les prix en fin de semaine dernière et depuis lundi, c’est la récession qui s’invite de nouveau.

Finalement, les marchés obligataires ont eu tort en novembre-décembre 2023 car dans notre activité avoir raison trop tôt, c’est avoir tort. Les cinq à six baisses de taux anticipées en fin d’année dernière vont finalement se matérialiser fin 2024 et en 2025. Par conséquent, il est logique que les taux US, surtout les longs qui nous ont tant fait souffrir au cours du premier trimestre, retrouvent leurs niveaux de décembre 2023 dans un premier temps pour tenter une incursion vers des niveaux inférieurs. Bye bye soft landing, le hard landing était dans les prix en fin de semaine dernière et depuis lundi, c’est la récession qui s’invite de nouveau.

Que faire dans de telles circonstances? Prendre une partie substantielle de ses profits sur la partie longue de la courbe si on a eu la sagesse (et la bravoure en avril) d’en conserver. La courbe US est en plein bullish steepening et c’est tout à fait normal. Deux constats s’imposent: tout d’abord ce steepening ne se fait pas au détriment de la partie longue. Il fallait donc de la duration pour gagner de l’argent. En effet, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que dans un mouvement de steepening, même violent, tant que les taux longs baissent légèrement, c’est là où il faut être. Depuis fin avril, le 2 ans s’est détendu de 109bp, le 10 ans de 86bp et le 30 ans de «seulement» 58bp. Mais avec une duration de 16,5 (contre respectivement 1,9 pour le 2 ans et 7,9 pour le 10 ans), c’est bien le long bond qu’il fallait détenir puisqu’il délivre une performance proche de 10% depuis fin avril, soit pour booster la performance d’un portefeuille obligataire, soit pour jouer enfin le rôle de hedge naturel des actions dans un portefeuille diversifié.

Le deuxième constat, c’est que le 2 ans n’est pas resté très longtemps au-dessous du 10 ans. La courbe pourrait donc s’inverser de nouveau si jamais les taux longs anticipent beaucoup plus de baisses de taux que la partie courte. En revanche, les moins expérimentés d’entre nous auront découvert à cette occasion que la duration d’un crédit high beta n’est pas comparable à celle d’un emprunt d’état. Nos hybrides, qui par définition détiennent un «equity content» de 50%, n’ont absolument pas profité de ces détentes de taux exceptionnelles: elles ont même baissé dans le sillage des actions. Cela signifie qu’il va falloir être attentifs car s’il semble ridicule de rallonger les durations pures aujourd’hui, il serait judicieux de procéder à des duration extension trades (vendre de la dette à maturité courte d’un émetteur pour réinvestir dans des maturités plus longues de ce même émetteur) dans les crédits high beta et notamment les hybrides lorsque les marchés actions seront près de leur point bas. Identifier ce point bas, c’est le défi que nous devrons relever au cours des prochains jours.     

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