Fed et BCE: au coude à coude ou dos à dos?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Des enjeux différents

Quelle est la plus grande différence entre la Fed et la BCE dans ce contexte si particulier de reprise post-Covid? La banque centrale américaine doit composer avec la politique budgétaire et fiscale d’un seul gouvernement, en l’occurrence le tandem Biden-Yellen. La BCE est, par définition, la banque centrale de 19 pays qui présentent chacun des évolutions économiques et politiques qui leurs sont propres. En comptant la Commission Européenne qui essaie de mettre un peu de cohésion et de cohérence dans ce chantier immense, cela fait 20 interlocuteurs à gérer. Ensuite, se pose bien évidemment la question concernant le trio infernal croissance-inflation-chômage. Inutile d’évoquer pour la énième fois les différences flagrantes de scénario macro entre vieux et nouveau continent: les enjeux ne sont pas les mêmes. 

La BCE fait de son mieux pour accompagner la zone euro
dans sa sortie de crise mais le redémarrage est poussif.

Il ne s’agit donc pas d’entrer dans une compétition entre Fed et BCE puis qu’elles ne suivent ni la même règle du jeu ni le même parcours. La BCE fait de son mieux pour accompagner la zone euro dans sa sortie de crise mais le redémarrage est poussif. Alors qu’outre-Atlantique, sont évoqués hausses de taux et tapering, l’institution de Francfort ne laisse planer aucun doute: sa politique monétaire ne va pas changer de sitôt. Nous avons déjà évoqué le risque de voir une Fed un peu plus hawkish pour compenser une administration Biden-Yellen un peu trop dovish. Ce n’est pas le cas en Europe. Nous allons donc vivre encore un long moment avec les acronymes PSPP, CSPP ou TLTRO ainsi qu’avec les taux négatifs en zone euro et Madame Lagarde ne risque pas de nous prendre à revers avec un volte-face hawkish (nous serions tentés d’ajouter malheureusement). 

Aux Etats-Unis, la courbe s’aplatit car les taux courts jusqu’à 5 ans réagissent aux changements de politique monétaire – les dot plots tout simplement – tandis que la partie longue évalue le risque inflationniste sur le long terme. Ce risque est en train de baisser car la Fed répète que ce phénomène est temporaire. Si elle se trompe, c’est encore mieux pour les taux longs: la banque centrale se rendra compte de son erreur et réagira vivement. Dans ce deuxième scénario, la courbe pourrait s’aplatir encore plus voire s’inverser en cas d’inflation forte et de politique monétaire passant brutalement en mode très (trop?) restrictif. Mais nous n’en sommes pas là et pour l’instant, la Fed ne bouge pas le petit doigt. Rendez-vous à Jackson Hole pour en savoir plus.

Le TINA obligataire, tube de l’été

Dans un tel environnement, pas suffisamment favorable pour envisager un retour sur les emprunts gouvernementaux AAA, US Treasuries ou Bunds, quelques stratégies ont encore le vent en poupe dans l’univers des marchés de taux. Depuis plusieurs semaines, nous avons emprunté aux marchés actions le fameux TINA (There Is No Alternative) car parmi les différentes sous-classes d’actifs obligataires, certaines s’imposent car les choix sont limités. Sur le marché euro, nous continuons de faire confiance aux hybrides corporates non bancaires. Ces dettes subordonnées sont devenues chères mais elles n’ont pas encore livré tout leur potentiel. Après un coup de fatigue en mai, elles se sont rapidement relevées pour rattraper rapidement ce léger passage à vide. 

Les performances des portefeuilles Investment Grade
en dollars risquent de flirter avec 0% en fin d’année.

Depuis le début du mois, notre portefeuille investi en hybrides euro (et relativement prudent) affiche une performance de +0,75%. Le mois de juin n’est donc pas terminé mais la stratégie a bien fonctionné. Sur le marché en dollars, nous détenons également quelques hybrides mais la stratégie principale que nous appliquons depuis quelques semaines vise à accumuler des crédits notés BBB de maturité plus longue qu’à l’accoutumée. Il s’agit d’investir dans des maturités 8-10 ans, tout en ramenant leur duration aux alentours de 4-5 ans via une position short en contrats futures 10 ans US Treasury. Cette stratégie ancienne, que nous avions appliquée au milieu des années 2000, puis en 2010-2014, est remise au goût du jour car nous estimons qu’elle est tout à fait appropriée dans le contexte actuel. 

Les spreads corporates 4-5 ans, y compris BBB, sont très faibles et l’idée sous-jacente de notre stratégie et d’aller plus loin sur la courbe afin d’emmagasiner le plus de spread possible, quitte à réduire ensuite la duration globale avec un hedge en contrats à terme sur le T-note à 10 ans. Soyons clairs et honnêtes: il ne s’agit pas d’une formule magique qui délivrera des performances comparables aux trois années qui viennent de s’écouler. Le défi qui se présente à nous est plus modeste mais néanmoins très important. Les performances des portefeuilles Investment Grade en dollars risquent de flirter avec 0% en fin d’année et nous espérons qu’une telle stratégie nous permettra de terminer l’année en territoire positif. C’est tout le mal que nous nous souhaitons car cette année 2021, dont la moitié du parcours a déjà été effectuée, n’est pas un long fleuve tranquille.

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