Demain, jour de Fed

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Brexit et Chine…après la BCE

Les marchés de taux ont passé la semaine dernière à «digérer» les annonces de la BCE. Plus que les mesures annoncées, les révisions drastiques des prévisions de croissance et inflation avaient provoqué une onde de choc et la semaine dernière a rajouté deux couches d’incertitude et d’inquiétude. Tout d’abord, le Brexit a focalisé l’attention sur lui, Theresa May ne trouvant pas de solution satisfaisante afin de sortir de cette crise, si possible sans trop de dégâts. Ensuite, même si les négociations se poursuivent en coulisse, le sommet Chine-US censé avaliser un accord global sur le commerce n’en finit pas d’être repoussé, les américains menaçant de ne rien signer si l’accord n’est pas bon. 

Tout le monde attend fébrilement la réunion de la Fed demain soir
mais il ne faudra pas négliger la publication du ZEW en Allemagne.

Au niveau des statistiques macroéconomiques, les CPI allemand et US sont tous les deux sortis à 1,5%. L’Empire manufacturing de la Fed de New York, sorti vendredi après-midi, a dégringolé, passant de 8,8 à 3,7 alors que les marchés attendaient un léger rebond à 10,0. Aussi, lorsque l’indice de sentiment de l’Université du Michigan est sorti en hausse en fin d’après-midi (passant de 93,8 à 97,8 contre 95,6 attendu), le mal était fait. Par conséquent, la bonne tenue des marchés obligataires a perduré tout au long de la semaine avec un Bund oscillant entre 0,06% et 0,10% ainsi qu’un 10 ans et un 30 ans US proches de 2,6% et 3%. Symboliquement, le 10 ans repassait hier sous le niveau du Libor 3 mois (2,59% contre 2,62%). 

Dans cet environnement, les marchés actions ont toutefois continué à performer, persuadés que les banques centrales agiront pour favoriser un scénario Goldilocks, synonyme de poursuite du rally. Désormais, tout le monde attend fébrilement la réunion de la Fed demain soir. Toutefois, il ne faudra pas négliger la publication de l’indice ZEW en Allemagne ce matin à 11 heures, en attendant l’IFO lundi prochain.

Jay Powell et le QT

La Fed sera patiente, on l’a bien compris. Demain, 20 mars est une date importante: il y a encore trois ou quatre mois, cette date était cochée sur tous les agendas comme celle du premier relèvement de taux de la Fed en 2019. Que s’est-il passé pour que nous arrivions, à la veille de ce jour tant attendu, à songer à un scénario à l’opposé de celui qui aurait dû être annoncé demain soir? Certes, l’économie US donne quelques signes d’affaiblissement mais pour l’instant les statistiques économiques sont encore bonnes voire excellentes. La Fed a pointé des risques extérieurs (croissances chinoise et européenne, Brexit, marchés émergents). Donald Trump a vitupéré contre les banquiers centraux de Washington en les suppliant de ne pas monter les taux. 

Mais ce qui a changé depuis fin novembre, c’est le formidable plongeon des marchés actions en fin d’année, le S&P 500 passant par exemple de 2'800 début décembre à 2'346 au plus bas au lendemain de Noël. La Fed a dû faire machine arrière pour enrayer la chute et elle s’est bien débrouillé puisqu’aujourd’hui nous semblons nous diriger tout droit vers un retour à 2'900. La Fed avait été trop hawkish fin 2018 car elle ne voulait pas admettre que son programme de réduction de taille de son bilan était trop ambitieux. 

Si la Fed maintient son QT en l’état, les marchés estimeront qu’elle mène
une politique trop restrictive à un moment où il faudrait plutôt lâcher du lest.

Rappelons que le Quantitative Tightening s’élève à 50 milliards de dollars par mois, soit 600 milliards à la fin de l’année 2019 et que Wall Street estimait que ce programme correspondait à trois hausses de taux. Avec les deux hausses attendues pour 2019 (une le 20 mars a priori, puis une deuxième en septembre ou en fin d’année), nous arrivions à l’équivalent de cinq hausses au moment où les premiers signes de ralentissement devraient apparaître. Voilà pourquoi la Fed a fait machine arrière. 

Mais maintenant, il va falloir confirmer les bonnes intentions et nous estimons que Jay Powell va devoir dévoiler la stratégie du FOMC concernant ce sujet épineux. Il y a un risque de fragilisation des marchés car si la Fed maintient son QT en l’état («sur pilote automatique» comme l’avait maladroitement qualifié Jay Powell), même en annonçant qu’il n’y aura plus de hausse des Fed Funds, les marchés estimeront que la Fed mène une politique trop restrictive à un moment où il faudrait plutôt lâcher du lest. 

Il n’y a aucune urgence à diminuer drastiquement la taille du bilan de la banque centrale, la Fed peut très facilement étaler dans le temps sa politique, sans changer d’objectif. Il en va de la stabilité des marchés financiers qui demeurent très fragiles et qui n’attendent qu’une mauvaise nouvelle pour reproduire le scénario de décembre dernier. Finalement nous avons tous eu raison de cocher la date du 20 mars dans nos agendas. Il n’y aura pas de hausse de taux mais il y aura quelque chose d’encore plus important: la Fed va jouer sa crédibilité et nous saurons si elle est capable de provoquer elle-même une récession en commettant une erreur de politique monétaire.

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