Plus dovish que la BCE, tu meurs!

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

2 minutes de lecture

Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Mario Draghi. ©Keystone
Monsieur «whatever it takes» est de retour

Nous nous attendions à une réunion de la BCE dominée par la prudence et par la crainte d’un ralentissement plus sévère qu’attendu. Nous avons été servis. Trois mesures phares ont été dévoilées par Mario Draghi: pas de hausse de taux en 2019, réinvestissement de la totalité des tombées dans le portefeuille QE et enfin TLTRO III (à partir de septembre). Les deux premières annonces tombaient sous le sens et une autre stratégie aurait été suicidaire. Le TLTRO III tant attendu n’a cependant pas fait l’unanimité. Les conditions sont moins avantageuses que celles de ses prédécesseurs et le succès pourrait ne pas être au rendez-vous. Certaines banques pourraient même se financer à des conditions plus avantageuses sur le marché des covered bonds (obligations sécurisées). 

La situation intérieure (récession en Italie, baisse des exportations allemandes, gilets jaunes en France…) est préoccupante et l’environnement international (protectionnisme, ralentissement chinois, marchés émergents, possible ralentissement US, Brexit) rajoute de nombreuses incertitudes. 

«Nous avons surtout été surpris par l’ampleur
des révisions des projections économiques.»

Au-delà de ces décisions, prises à l’unanimité et qui donnent un ton plus accommodant à la politique monétaire de la BCE, nous avons surtout été surpris par l’ampleur des révisions des projections économiques de la banque centrale de Francfort. 2019 sera une année très compliquée: 1,1% de croissance (au lieu de 1,7%) et 1,2% d’inflation (contre 1,6%). 2020 et 2021 ont été révisés également à la baisse mais dans une moindre ampleur. Ces projections sont très pessimistes et nous sommes en droit de nous demander si les annonces de Super-Mario seront suffisantes. 

Avoir tiré trois grosses cartouches le même jour est plutôt anxiogène, les marchés se demandant à juste titre si la situation réelle n’est pas pire encore que ce que nous dit la BCE. En tout cas, le prochain geste de Mario Draghi, l’homme qui n’aura jamais monté les taux durant son mandat, sera sans doute l’annonce d’un inévitable QE2. Le sujet n’a pas été débattu la semaine dernière mais il reviendra sur le tapis tôt ou tard. Le Bund a ainsi progressé et son taux s’est détendu jusqu’à 0,06%. Il s’est permis de voler la vedette à son homologue américain en devenant la référence sur les marchés obligataires mondiaux. 

Le BTP italien, soulagé par l’annonce du TLTRO (imparfait mais suffisant pour aider le secteur bancaire italien) est passé de 2,79% lundi 4 mars à 2,47% jeudi soir après la fin de la conférence de Presse de la BCE. Nous maintenons notre conviction que le taux allemand à 10 ans devrait redescendre à zéro voire en-dessous. Les crédits européens (hors risque idiosyncrasique comme par exemple Auchan ou Anheuser-Busch Inbev) devraient voir décroître leur volatilité au fur et à mesure que les marchés estimeront qu’une liste CSPP2 sera dévoilée. Aussi, l’attrait pour les émetteurs US, très présents sur le marché primaire en euro récemment, devrait diminuer dans les prochains mois.

Les chiffres de l’emploi américain ont été étonnants.

Les taux longs US auront donc connu une fausse alerte début mars lorsque le 30 ans est passé brièvement au-dessus de 3,11% ouvrant la porte à une correction de plus grande ampleur vers 3,17% voire 3,24%. Les Treasuries longues avaient entamé leur processus de légère détente avant la BCE jeudi. Mais après l’intervention de Mario Draghi, les taux US se sont engouffrés derrière le rally du Bund. Mais pour se maintenir sur ces niveaux, il fallait que les chiffres de l’emploi sortis vendredi après-midi ne soient pas trop vigoureux. 

Le nombre de créations d’emplois est ressorti à 20'000 au lieu de 180'000 attendues. C’est très peu et les marchés ont réagi comme il se doit. Mais en regardant les statistiques de plus près, ces 20'000créations d’emplois sont aussi atypiques que les 311'000 du mois précédent et sur deux mois, cela fait une moyenne de 165'000 pas si loin des 180'000 traditionnellement anticipées. Le taux de chômage est passé de 4% à 3,8% et l’inflation salariale (average hourly earnings) a bondi de 0,4% faisant passer le rythme annuel à 3,4%. 

Il y a fort à parier que si Mario Draghi n’avait pas été aussi pessimiste la veille (il a d’ailleurs cité trois fois un possible ralentissement US), la lecture des statistiques de l’emploi US par les marchés aurait été fort différente. Aujourd’hui nous nous retrouvons avec des taux 2-5 ans inversés et tous deux sous la barre des 2,5% (Fed Funds) ainsi que des taux longs à 10 et 30 ans qui n’attendent qu’un petit signal (léger tassement de Wall Street par exemple) pour redescendre sous 2,6% et 3% respectivement. Nous favorisons toujours cette partie de la courbe des Treasuries et si les rendements ne baissent pas autant que sur la partie courte, ils baissent tout de même et avec des durations comprises entre 8 et 19, les performances sont au rendez-vous, en tout cas pour l’instant (car tout bouge à vitesse grand V désormais).  

A lire aussi...