Yoshihide Suga, de l’ombre à la lumière

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Désormais sous le feu des projecteurs, saura-t-il s’affirmer comme le réformateur qu’il ambitionne d’être?

Depuis son précédent poste de Chef de Cabinet, jusqu’à sa nomination à l’issue de tractations internes au Parti Libéral Démocrate (PLD), en passant par la composition de son gouvernement et ses premières déclarations publiques, absolument tout place le nouveau Premier Ministre japonais Yoshihide Suga dans la stricte continuité de Shinzo Abe.

Contrairement à son ancien patron, il ne descend pas d’une des grandes dynasties politiques du pays. Administrateur avant tout, il n’est pas non plus un cacique du PLD. En retrait sur les questions de politique étrangère, il s’est même adjoint le frère cadet de Shinzo Abe comme Ministre de la Défense – au grand déplaisir de la Chine semble-t-il. A croire qu’il n’occupe ce poste que pour «expédier les affaires courantes», en attendant que les factions du Parti s’accordent sur leur nouveau champion – et donc futur Premier Ministre – dans un an.

Mais ce «pape de transition» pourrait bien s’avérer plus ambitieux et volontaire qu’il n’y paraît. Ses marges de manœuvre sur le plan extérieur restent limitées. Sa première visite à l’étranger sera pour le Président américain, tandis qu’il devra naviguer entre coopération et tension avec les autorités chinoises, tout comme avec la Corée du Sud et l’ensemble de l’Asie.

C’est sur le plan intérieur qu’il pourrait faire bouger les lignes. Signal de cette ambition, le Ministre du METI, le puissant Ministère de l’Economie et de l’Industrie, n’a pas été renouvelé. Le Premier Ministre entend systématiser la digitalisation de l’Administration - une agence spéciale devrait voir le jour d’ici la fin de l’année -, casser le monopole de la médecine de ville par le recours à la téléconsultation, augmenter le salaire minimum, et réintroduire la concurrence dans la téléphonie mobile afin de faire baisser les prix.

Le redressement ne pourra s’opérer que si le gouvernement lui donne
une nouvelle impulsion, plus qualitative que quantitative.

Déjà en tant que Chef de Cabinet, Suga s’était déjà illustré auprès de l’Administration Centrale. Il est à l’origine de certaines réformes comme la loi assouplissant les conditions d’entrée des travailleurs étrangers au Japon, ou encore la promotion du tourisme.  La pandémie a mis à mal ces deux projets. Mais elle pourrait aussi lui fournir l’occasion d’accélérer certaines transformations. Fort de sa popularité nouvelle, il entend bien mettre aujourd’hui son autorité de Premier Ministre au service de l’habileté et des connaissances du technocrate d’hier. Ira-t-il jusqu’à provoquer des élections anticipées pour asseoir son pouvoir et pérenniser son action? Certains y pensent déjà.

Il reste que les plaies et les pesanteurs du pays sont immenses. Et à certains égards, la photo de son gouvernement en est le reflet: moyenne d’âge supérieure à 60 ans, deux femmes sur 21 ministres:  le chemin vers le renouveau semble interminable.

Le Banque du Japon, qui a bourse déliée depuis 2013, continuera à soutenir la politique économique du gouvernement. Mais on en connaît déjà les effets pervers: survivance d’entreprises zombies et thésaurisation. En plongeant le pays dans la récession, la crise de la COVID n’a fait qu’aggraver la situation. Le redressement ne pourra s’opérer que si le gouvernement lui donne une nouvelle impulsion, plus qualitative que quantitative. Car la troisième flèche des Abenomics est restée dans son carquois. Si le taux d’activité des femmes au Japon est un des plus élevé au monde, leur présence aux postes de décision et de responsabilité reste marginale. Le Premier Ministre Suga entend bien «faciliter» la vie des femmes dans la société japonaise. Mais cette approche pragmatique – la marque du Japon et son grand mérite – suffira-t-elle à changer les mentalités et les organisations?

En 2019, Yoshihide Suga présentait à la télévision les idéogrammes de Reiwa1, la nouvelle ère impériale. Il lui revient désormais d’en prendre la direction.

 

1 Voir l’édito du 29 avril 2019 «Reiwa, la promesse d’une nouvelle ère»

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