La prime aux pirates

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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La stratégie du pirate, dans laquelle Boris Johnson semble vouloir entraîner le Royaume-Uni, vaut-elle la peine d’être suivie?

Les relations internationales et commerciales n’ont jamais été «un dîner de gala1», c’est un fait. Mais le projet de loi, voté par la Chambre des Communes la semaine passée, a retenti comme un coup de semonce au Royaume-Uni, en Europe et au-delà. Tout en présentant son texte comme une garantie pour la préservation de la paix en Irlande, le gouvernement Britannique revient en fait sur les accords de sortie signés il y a moins d’un an.  Il révèle ainsi sa ferme intention de s’affranchir de toute contrainte européenne, notamment en matière d’aides publiques.

Poussé par les plus radicaux des «Brexiters», adeptes du «no-deal» qui leur laisserait les mains totalement libres, Boris Johnson n’hésite pas à pratiquer la menace et le chantage. Le calcul tactique est assez clair:  obtenir de l’Union Européenne les concessions et les aménagements désirés dans la négociation en cours, tout en se débarrassant de tout contrôle de la part de Bruxelles sur le maintien de conditions de concurrence équitables.

Avec la crise de la Covid, il n’est pas absurde de penser que cette doctrine et cette volonté se sont muées en nécessité urgente pour les dirigeants Britanniques. Le bilan sanitaire et économique, pour le moins désastreux du gouvernement, impose de mettre en œuvre au plus vite une politique d’attractivité, en se permettant toutes les mesures de subventions – sous forme de baisses d’impôts, de modifications du code du travail etc – propres à séduire les plus audacieux… ou les moins scrupuleux.

Le gouvernement Johnson ne renonce pas à donner l’exemple
à l’extérieur, et espère bien rallier certains à sa cause.

Dans cette partie de billard à plusieurs bandes, comment résister à la tentation d’opposer la «liberté et l’appel du grand large» de l’Angleterre, modèle du libre-échange, à la rigidité injuste, technocratique et arbitraire de l’Union Européenne? Sir Francis Drake, corsaire de la Reine, ne fut-il pas en son temps le vainqueur de l’Invincible Armada? La tentation doit être grande de masquer cette fuite en avant sous des dehors romantiques d’aventurier au grand cœur.

Ce faisant, le gouvernement Johnson ne renonce pas à donner l’exemple à l’extérieur, et espère bien rallier certains à sa cause. Risquer la rupture pour obtenir des concessions, ou gagner la nation et de futurs partenaires commerciaux à ses vues, n’est-ce pas le meilleur pari pour un Premier Ministre en perte de vitesse dans l’opinion?

Cette proposition n’en est pas moins à double, et même à multiples tranchants. Sur le plan intérieur, le détachement de facto de l’Irlande du Nord de l’UE, le risque de voir l’Ecosse se rebiffer contre les contraintes de Londres et le démantèlement de la protection sociale, pourraient aboutir à plus de divisions, sinon de partitions. Substituer aux liens continentaux l’implantation massive d’investissements étrangers et des coopérations plus ou moins forcées, garantira-t-il l’indépendance et la souveraineté recherchés? Sur le plan extérieur, en se permettant de passer outre la prééminence du droit et de la parole donnée, le gouvernement Britannique ne peut qu’accroître la méfiance de ses partenaires potentiels ou pire même, les inciter à user des mêmes méthodes à son encontre. Car en agissant ainsi, Boris Johnson, Premier Ministre de la Nation symbole de la défense de la primauté du Droit, contribue à éloigner un peu plus les relations commerciales internationales du mode coopératif, pour les placer exclusivement sur le plan du rapport de force.

Et les investisseurs? Beaucoup seront tentés de trouver dans une nouvelle «zone franche» d’intéressantes opportunités. Mais à quel prix, et pour quelles garanties? Le monde des capitaux flottants est par définition volatil.

Transformer le «Singapour sur Tamise» en Ile de la Tortue, n’est sûrement pas le meilleur moyen d’assurer la prospérité à long terme d’une nation.

 

1 En référence à «La diplomatie n’est pas un dîner de gala, mémoires d’un ambassadeur» Claude Martin ed L’aube

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