Le retour de l’Etat stratège

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

2 minutes de lecture

La crise du COVID signe le retour de l’Etat et même de l’Europe stratège. Est-ce une bonne nouvelle pour les investisseurs?


Il y a eu l’Airbus des airs, bienvenue à l’Airbus des batteries. L’Etat et l’Europe stratèges ne sont pas nés de la crise de la COVID. Elle va néanmoins leur donner un nouvel élan. La période s’y prête d’autant plus que l’intervention publique a déjà été considérable pour contrer les effets de la récession provoquée par le confinement. De ce point de vue, l’Europe de «l’Etat-providence» a plus que tenu ses promesses, même si l’on a bien constaté des écarts de performances entre pays-membres, et qu’il faudra y remédier chacun chez soi.

Au-delà de l’urgence, la période conjugue la nécessité d’assurer ses sources d’approvisionnement et de retrouver une certaine indépendance, avec la volonté de favoriser le redéploiement industriel européen vers la transformation digitale et l’économie – en l’occurrence la mobilité – verte, pour lui insuffler sa nouvelle dynamique.  

Nous avons salué l’initiative budgétaire européenne qui a abouti au vote en juillet dernier d’un plan de relance européen de plus de 500 milliards d’euros, et qui pourrait même être financé par des revenus propres. De plus, les lignes de forces qui s’en dégagent rejoignent à plus d’un titre les préoccupations des investisseurs, qui y trouveront sûrement matière à accompagner et même démultiplier les efforts entrepris. De l’amorçage en quelque sorte, où tout le monde – états, épargnants, investisseurs, travailleurs – trouvera son compte.

L’Europe a su progresser et s’unifier au fil de ses élargissements,
grâce à l’adoption d’une gouvernance commune.

Mais ces ambitions sont aussi louables que difficiles à équilibrer. Elles ne manqueront pas de faire ressurgir le débat entre économie «planifiée» et économie de marché. Pour l’économiste Hayek, l’état stratège n’est pas en mesure de découvrir ni de développer les activités d’avenir; d’autant moins que l’information pertinente pour guider sa stratégie est issue du marché et des prix. A l’appui de sa thèse, on avancerait volontiers le modèle de développement de la Silicon Valley aux Etats-Unis et à l’autre bout du monde, le développement des grands conglomérats dans l’électronique, l’automobile ou encore les batteries au silicium. En fait, ces développements sont loin d’avoir été obtenus en dehors de toute intervention ou de tout soutien public (concentrations industrielles et commandes publiques y ont eu leur part).

De son côté, l’Europe a su progresser et s’unifier au fil de ses élargissements, grâce à l’adoption d’une gouvernance commune et d’importants financements d’infrastructures dans les pays membres. La question est donc celle d’un juste équilibre et d’une combinaison optimale entre initiative privée et orientation publique.

Ainsi, la Commission européenne encadrera les projets nationaux autour de trois axes essentiels: tout d’abord les plans de développement iront vers la transformation digitale et l’économie verte. Elle veillera ensuite à ce que ces nouveaux moyens publics respectent les règles de concurrence équitable (level playing field) entre partenaires, membres de l’UE comme avec le reste du monde. Enfin, ces initiatives permettront de naviguer entre les deux écueils du «capitalisme sauvage» comme du «capitalisme dirigiste», deux modèles dont elle entend bien continuer de se démarquer. Pour l’UE il s’agit donc de promouvoir une croissance inclusive, protectrice de la vie privée, compétitive et durable1.

La crise du COVID a permis de mesurer combien la Commission
avait joué un rôle capital dans la dynamique collective.

Les objectifs sont désormais clairement énoncés, les moyens promis, l’effet d’entraînement possible. Pour cela il faudra également compter sur les Etats membres. C’est peut-être à ce niveau que s’annoncent les plus grandes difficultés. L’Etat n’est-il pas par définition monopolistique et protectionniste? Et au sein de l’Union, les tenants de tous les modèles se côtoient.

La crise du COVID a permis de mesurer combien la Commission, en transcendant les réflexes nationaux et territoriaux, et en préservant la circulation des biens et des services à l’intérieur de l’Union, avait joué un rôle capital dans la dynamique collective.

Son souci sera désormais d’éviter que la stratégie ne se transforme en gabegie.

 

1 Ces projets et ces annonces étaient au cœur des interventions et des débats menés lors de la Conférence Economique Annuelle de la Commission Européenne: Brussels Economic Forum 2020 (replay)

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