La hausse des prix du mois dernier est largement le fait d’un effet de base, de la distribution de chèques généreux par le gouvernement américain.
Nul ne peut contester que la hausse des rendements à dix ans, spécialement aux Etats-Unis, est un facteur déterminant du comportement des marchés financiers en 2021. Qu’il s’agisse de la reprise de la devise américaine au premier trimestre, de la baisse marquée de l’or sur les premiers mois de l’année, des mouvements de rotation sectorielle sur les bourses ou encore de la sous-performance de la poche obligataire d’un portefeuille on est en droit de considérer que la tension abrupte sur les rendements est pour le moins une explication importante de ces phénomènes.
Certes, une forme de normalisation du mouvement marqué sur les taux sans risque s’est manifestée avec l’entrée dans le second semestre. Cependant, les récents chiffres de l’inflation américaine ont redonné la main aux investisseurs les plus négatifs sur les marchés obligataires, qui annoncent le début de la seconde phase de tension vers l’objectif, si souvent mentionné, des 2% sur le bon du trésor américain à dix ans.
Il faut bien avouer que si nous étions dans le camp de ceux qui pensaient que le coût du capital se tendrait en 2021, dans le sillage d’un scénario de reprise forte de la conjoncture que nous avons défendu depuis des mois, la rapidité du décrochage sur les marchés obligataires nous a surpris. Dans un tel contexte, voir les chiffres de l’indice des prix américains ressortir à des niveaux trois fois plus élevés que ce qui était attendu pour avril et s’établir à 4,2% en variation annuelle peut inquiéter. Le retour le la volatilité sur les bourses depuis une quinzaine de jours n’en a été qu’accru, démontrant d’une certaine manière la «stupeur» des investisseurs face à de tels chiffres; il est vrai qu’une inflation annuelle aussi élevée n’avait plus été observée aux USA depuis 2008! Le choc peut paraître énorme et les pourfendeurs d’une Réserve Fédérale qui aurait, selon eux, totalement perdu le contrôle de la hausse des prix peuvent se sentir légitimés. A ceci près que, malgré son caractère étonnamment fort, la hausse des prix du mois dernier est largement le fait d’un effet de base, de la distribution de chèques généreux par le gouvernement américain et donc d’une reprise de la croissance américaine qui se confirme (heureusement) dans un contexte économique qui est encore loin d’être totalement revenu à la normale, en raison des perturbations sur certaines chaînes d’approvisionnement.
Tout cela pour dire qu’il faut aussi mettre les choses dans leur contexte: une résurgence de l’inflation était probable, puisque la baisse cumulée des prix sur la période de mars à mai 2020 avait atteint 1,1%, au moment du premier choc de la covid-19! En revanche, il est intéressant de constater que sur la période de juin à août l’année dernière, la hausse cumulée du même indice de prix a atteint 1,4%! Certes, il ne faudrait pas que la progression mensuelle de 0,9%, enregistrée en avril 2021, devienne la règle mais il n’y a pas de raison de l’anticiper. En économie, déduire une tendance d’un ou deux chiffres n’est souvent pas très opportun.
Nous restons convaincus que la hausse importante des prix qui se manifeste aujourd’hui relève largement d’un effet de base et qu’une normalisation se produira sur le moyen terme. Au demeurant, l’évolution des salaires nous semble un indicateur plus important que la seule hausse des prix à la consommation pour jauger du risque inflationniste.
Alors non, nous ne pensons pas que la banque centrale américaine a perdu le contrôle de l’inflation, d’autant plus qu’elle a largement parlé de «sa reprise temporaire» au cours des derniers mois.
Pour autant, est-il temps de résister aux sirènes de ceux qui annoncent une seconde vague de correction sur les marchés obligataires? La réponse est négative, tout en y ajoutant une caractérisation importante. Le mouvement vers les 2% est probable mais d’ci la fin de l’année et de manière plus ordonnée que ce qui s’est produit au cours du premier trimestre 2021. Au regard d’une croissance économique mondiale qui va se confirmer, sous l’effet de l’accélération en cours de la conjoncture US et d’un rattrapage de l’Europe, avec les déconfinements et la généralisation de la vaccination, il n’y a rien d’anormal à ce que les taux à dix ans se redressent. Moins en raison de l’inflation que du fait d’une activité vigoureuse.
Le mouvement plus ordonné que nous attendons n’en demeure pas moins un élément qui justifie de conserver une approche défensive sur la poche obligataire d’une portefeuille diversifié. Enfin, un dernier point qu’il faut garder à l’esprit: l’activisme de l’administration Biden sur le plan des programmes budgétaires de relance est indéniable, mais les 4 trillions de dépenses récemment annoncés (infrastructures et familles) n’ont pas encore été votés! Partir du principe que tout cela passera comme une lettre à la poste au Congrès est une postulat que je me garderais bien de faire. De l’ampleur de la stimulation budgétaire qui sera finalement adoptée dépendent beaucoup de choses, à commencer par la vigueur de la croissance américaine à moyen terme, la réalité du risque inflationniste et en fin de compte l’ampleur de l’ajustement des taux longs!