Vendre à découvert une start-up, c’est possible!

Charles-Henry Monchau, Banque Syz

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Le capital-risque a connu un boom sans précédent ces dernières années. Certaines «licornes» ont d’ailleurs atteint des niveaux d’évaluation qui semblent déraisonnables.

Les produits dérivés synthétiques sur les start-up

Grâce aux produits dérivés synthétiques, il est possible d’investir dans le marché des start-up sans détenir physiquement l’actif sous-jacent. Pourtant, ce nouveau marché a connu plusieurs faux départs. En effet, la SEC (Securities Exchange Commission) a dû interrompre ce type de transactions à deux reprises. En 2015, Sand Hill Exchange avait dû faire amende honorable après avoir proposé des produits dérivés illégaux à des investisseurs particuliers. En 2016, la société Equidate (aujourd'hui Forge Global) proposait un service offrant des swaps sur des start-up en phase «pré-IPO». Ces swaps permettaient aux employés de sociétés privées d’obtenir des liquidités avant que leur employeur ne soit coté en bourse. Ces swaps étant non-enregistrés avec la SEC, Equidate avait dû se résoudre à fermer cette offre de service.

Aujourd’hui, des courtiers tels que Caplight proposent des options pour lesquelles la réglementation est différente de celle des  swaps. Ces options ne sont proposées que sous la forme de placements privés entre des investisseurs institutionnels dont la taille est d'au moins 100 millions de dollars.

Les acheteurs de ce type de produit synthétique sont les hedge funds, les family office et les fonds souverains. Les entreprises sur lesquelles les options sont émises ne sont pas affectées et leurs actions ne sont pas touchées. De même les droits d'information et de gouvernance (exemple: droit de vote) ne sont pas affectés. Ce marché intéresse les investisseurs ne souhaitant pas s’exposer à long-terme sur les perspectives de la start-up.

Mais depuis l’éclatement de la bulle technologique à la fin de 2021, le marché des options sur start-up a vu son activité fortement ralentir. Les spécialistes ne s’attendent pas à une reprise avant que les perspectives d'introduction en bourse ne reviennent.

Cependant, ce marché des options synthétiques sur start-up est en train d’attirer de nouveaux types de transactions: celles qui permettent de se positionner à la baisse sur certaines start-up (les options put). En effet, grâce aux produits dérivés synthétiques, les hedge funds peuvent parier à la baisse sur le prix d'une start-up et les fonds de capital-risque peuvent utiliser ces options pour réduire le risque de leurs positions existantes.

Il s'agit d'une opération risquée, qui implique des stratégies d'investissement complexes et nécessite des garanties (collatéraux). Mais cette opération est réalisée en grande partie par des investisseurs institutionnels sophistiqués.

Pourquoi certains investisseurs se positionnent à la baisse sur les start-ups?

Les valorisations des start-up se sont envolées ces dernières années. Mais depuis fin 2021, la valeur de marché agrégée de sociétés de Venture Capital s’est effondrée comme le montre le graphique ci-dessous.  

La plupart des hedge funds ont une stratégie d’investissement qui consiste à prendre à la fois des positions longues et des positions courtes sur différentes classes d’actifs. L’éclatement de la bulle du capital-risque a bien entendu retenu leur attention. D’autant plus que le taux d’échec des start-up sur le long-terme est relativement élevé (il est estimé que 90% des start-up sont vouées à ne pas survivre).  

Mais contrairement au marché des actions côtées, le positionnement “short” sur des start-up est beaucoup plus compliqué. En effet, pour vendre à découvert une société, il faut généralement emprunter l'action, la vendre, puis la racheter à un prix inférieur. C'est presque impossible à appliquer aux start-up tout d’abord parce que les titres ne sont pas cotés mais aussi parce que les sociétés privées peuvent bloquer les ventes.

Les produits dérivés synthétiques tels que les options mentionnées ci-avant permettent de répliquer l'équivalent d'une vente à découvert (position «short»).

Les hedge funds ne sont pas les seuls à être intéressés par ces «short» (ou option Put). En effet, les fonds de capital-risque ou les détenteurs de positions longues (par exemple ceux qui sont employés de start-up et qui détiennent des actions) utilisent ces options pour couvrir les actions détenues.

Pour les courtiers qui offrent ces produits synthétiques l'intérêt a fortement penché du côté de la vente à découvert ces derniers temps. Le courtier spécialisé Caplight a ainsi déclaré que l'intérêt pour la vente est passé à 80% de l'intérêt des ordres ouverts, tandis que l'intérêt pour l'achat a chuté à 20%. Auparavant, la répartition était relativement équilibrée. Un retournement de marché qui a également été confirmé par Apeira Capital, un autre spécialiste du secteur.

Les start-up qui génèrent le plus d'intérêts «short» sont d’ailleurs des sociétés privées bien connues qui ont atteint le statut de licorne. Leur valeur estimée est souvent égale ou supérieure à 10 milliards de dollars. Les «short» ont donc des caractéristiques différentes des positions longues puisque ces dernières portent généralement leur dévolu sur des sociétés moins matures et dont la valeur estimée est en moyenne proche du milliard de dollars.

Les récents déboires de la Silicon Valley Bank ont peut-être porté un coup de grâce supplémentaire aux start-up californiennes. De quoi multiplier les opérations «short» sur les start-up?

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