Une économie de guerre – Prévisions de Saxo Bank pour 2023

Steen Jakobsen, Saxo Bank

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«Les Prévisions Choc de cette année défendent l’idée selon laquelle toute croyance dans un retour à la dynamique désinflationniste d’avant la pandémie est impossible», explique Steen Jakobsen.

Saxo, spécialiste du trading et de l’investissement en ligne, publie aujourd’hui ses 10 Prévisions Choc pour 2023. Celles-ci consistent en une série d’événements certes peu probables, mais sous-estimés, qui entraîneraient une onde de choc aussi bien sur les marchés financiers qu’au sein des cultures politiques et populaires s’ils venaient à se produire. Ces prédictions invitent à réfléchir sur l’ensemble des scénarios possibles (même les plus improbables), qui peuvent parfois se réaliser. Saxo a récemment publié sa liste des Prévisions Choc qui se sont révélées correctes, dont la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Si ces prévisions ne constituent pas celles sur lesquelles Saxo s’appuie pour 2023, toutes les évolutions importantes sur les marchés sont provoquées par un événement choc, aucune évolution d’ampleur ne s’y produisant sans surprise de taille. Dans un monde où les banques centrales et les gouvernements commencent à perdre leur lutte contre l’inflation, il existe un risque que les marchés soient plus propices aux chocs que jamais à partir de 2023.

Interrogé sur les Prévisions Choc pour cette année, Steen Jakobsen, Chief Investment Officer de Saxo, explique: «Les Prévisions Choc de cette année défendent l’idée selon laquelle toute croyance dans un retour à la dynamique désinflationniste d’avant la pandémie est impossible, car nous sommes entrés dans une économie de guerre mondiale, tous les grands pouvoirs à travers le monde consolidant désormais à la hâte leur sécurité nationale sur tous les fronts; que ce soit dans un sens purement militaire ou en raison des situations d’insécurité profondes liées aux chaînes d’approvisionnement et à l’énergie et même sur le plan financier que l’expérience de la pandémie et l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont révélé.»

Un monde en guerre

Les Prévisions Choc pour cette année s’inspirent des similarités existant entre l’Europe d’aujourd’hui et la situation du continent au début du XXe siècle. En 1910, Norman Angell écrit La Grande Illusion et argumente qu’il est impossible que l’Europe se laisse à nouveau entraîner dans une véritable guerre, car le commerce dont les fruits sont partagés s’est développé dans des proportions gigantesques au cours des précédentes décennies de paix prospère. Dix ans plus tard, l’Europe est en ruine après une horrible guerre d’usure sur des fronts stagnants.

Avançons jusqu’en 2022 avec une situation similaire, lorsque de nombreuses personnes ont été sidérées de voir la Russie envahir l’Ukraine. Rares sont ceux qui étaient en mesure de comprendre pourquoi Vladimir Poutine, le président russe, risquerait de laisser des morts sur le champ de bataille et de plomber l’économie de son pays après deux décennies commerciales florissantes et extrêmement bénéfiques tirées par les exportations, principalement dans les secteurs des matières premières extractives, avant tout avec les pays d’Europe de l’Ouest ainsi qu’avec le reste du monde.

L’invasion de l’Ukraine a insufflé en Europe un esprit d’économie de guerre à une échelle jamais atteinte depuis 1945. Et il n’est pas uniquement question des capacités militaires terriblement inadaptées de l’Europe de l’Ouest, mais aussi de ce modèle industriel centré sur l’Allemagne dont l’existence est remise en cause par la décision prise par l’Europe elle-même de se passer d’un pétrole et d’un gaz russes abondants et bon marché.

Trois des Prévisions Choc pour 2023 s’intéressent à la façon dont l’Europe pourrait répondre à cette situation complexe, une prévision examinant la mise en place de forces armées européennes, une autre mettant en lumière le dysfonctionnement politique se profilant en France et qui pourrait faire entrer l’UE plus rapidement que prévu dans une nouvelle crise existentielle. Enfin, le Royaume-Uni pourrait soudainement se trouver bien trop petit pour prétendre être en mesure de rester un acteur indépendant dans un monde devenu brusquement bien plus grand, et Saxo fait la Prévision Choc qu’un référendum se tiendra l’année prochaine pour revenir sur le Brexit.

Saxo prévoit que ces économies de guerre seront le point de mire des puissances mondiales. Aux États-Unis et en Chine, l’esprit d’économie de guerre se développe à mesure que la rivalité commerciale et technologique des deux pays s’intensifie. Les pays satellites auront probablement bien du mal à rester non alignés au milieu d’une «guerre froide commerciale». Depuis la réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il est clair que tout pays sans alliance militaire de longue date avec les États-Unis trouvera inacceptable de rester vulnérable à la militarisation du système dollar mondial. Saxo prévoit donc que ces puissances tiendront une conférence et conviendront d’une nouvelle devise de réserve pour se soustraire intégralement au système dollar.

Si la thèse d’une économie de guerre posée par Saxo s’avère juste en 2023, il faut alors s’attendre à ce que l’inflation persiste. Si, à la fin de l’année prochaine, elle est ne serait-ce que légèrement au-dessus de la moitié du taux record de 2022, il est alors à peu près certain que cela aura des conséquences choc.

En 2023, il existe un risque que les investisseurs surestiment l’impact probablement positif de la récession sur l’inflation. Avec ou sans récession de l’immobilier et du crédit, la nécessité presque inépuisable des nations d’investir dans les nouvelles priorités de l’économie de guerre tendra à faire augmenter les risques d’inflation. De la garantie des approvisionnements en énergie à long terme à la relocalisation de la production pour mettre en place des chaînes d’approvisionnement locales pour les biens vitaux, en passant par l’extension des capacités militaires, tout ralentissement de la demande du secteur privé sera (au moins) compensé par les dépenses du secteur public.

Et alors même que les banques centrales prétendent tenter de lutter contre l’inflation, elles espèrent que leur action portera ses fruits, «mais pas trop». En effet, à terme, un État lourdement endetté préférera presque toujours laisser l’inflation ronger sa dette plutôt que recourir à l’austérité ou se trouver purement et simplement en défaut de paiement.

1. Des milliardaires se regroupent pour créer un projet Manhattan de l’énergie à mille milliards de dollars

En 2023, les propriétaires de géants technologiques et d’autres milliardaires technophiles finissent par s’impatienter devant le manque d’avancées dans le développement des infrastructures énergétiques nécessaires qui leur permettraient à la fois de poursuivre leurs rêves et d’apporter une réponse à la nécessité de réaliser la transition énergétique. Ils unissent alors leurs forces pour créer un consortium portant le nom de code Third Stone, et qui a pour objectif de lever plus de mille milliards de dollars pour investir dans des solutions énergétiques.

Il s’agira du plus important investissement dans la recherche et développement depuis le projet Manhattan initial qui a développé la première bombe atomique. Au-delà des investissements dans la recherche et développement à proprement parler visant à exploiter le potentiel des nouvelles technologies actuelles et révolutionnaires, le fonds se concentrera aussi amplement sur l’intégration ou la façon d’allier les sources de nouvelle génération avec des infrastructures de transmission de l’électricité et de stockage de l’énergie qui fournissent la charge de base, le talon d’Achille des solutions énergétiques alternatives actuelles.

Impact sur le marché: les sociétés partenaires du consortium Third Stone qui peuvent contribuer à faire de cette vision une réalité prennent de la valeur dans un environnement où l’investissement est sinon en berne.

2. En France, Emmanuel Macron démissionne

Depuis les élections législatives de juin 2022, le parti du président français Emmanuel Macron et ses alliés n’ont plus la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Confronté à la forte opposition de la NUPES à gauche et du Rassemblement national de Marine Le Pen à l’extrême droite, le gouvernement n’a d’autre choix que d’adopter les principales lois et le budget 2023 par une procédure accélérée en recourant à l’article 49.3 de la Constitution. Contourner le pouvoir législatif n’étant pas une manière de gouverner dans une démocratie, il comprend alors qu’il ne sera plus qu’un canard boiteux au cours des quatre prochaines années et qu’il ne sera pas en mesure de faire adopter son emblématique réforme des retraites. À l’instar du général de Gaulle en 1946 et 1969, Macron surprend tout le monde en décidant de démissionner début 2023.

Son départ ouvre les portes de l’Élysée à la leadeuse de l’opposition d’extrême droite Marine Le Pen, causant une vague de stupéfaction dans toute la France et ailleurs, et faisant entrer le projet européen dans une nouvelle crise existentielle avec ses fondations institutionnelles fragiles.

3. Les banques centrales ne parviennent pas à lutter contre l’inflation et l’or s’envole à 3000 dollars

En 2023, l’or finit par reprendre pied après une année 2022 difficile, durant laquelle il a laissé nombre d’investisseurs sur leur faim du fait de son incapacité à repartir, alors même que l’inflation atteignait son plus haut niveau depuis 40 ans. C’est en 2023 que le marché intègre enfin que l’inflation est partie pour rester élevée dans l’immédiat. Le resserrement de la politique monétaire et le durcissement quantitatif de la Fed viennent à nouveau enrailler les marchés des titres du Trésor américain, forçant à mettre en oeuvre de nouvelles «mesures» sournoises visant à contenir la volatilité sur ces marchés, qui reviennent dans les faits à refaire du quantitative easing. Le printemps approchant, la Chine décide aussi de tourner plus fermement le dos à sa politique zéro COVID en promouvant un traitement efficace et peut-être même un nouveau vaccin. La demande chinoise à nouveau débridée entraîne une nouvelle hausse profonde des prix des matières premières, qui fait grimper l’inflation, notamment avec un dollar toujours plus faible du fait d’une Fed qui pénalise le billet vert en assouplissant sa position. Sous-représenté dans les portefeuilles, l’or s’envole avec le réajustement profond quant à ce qu’implique ce nouveau contexte pour les taux d’intérêt réels à terme.

En 2023, trois facteurs viennent un peu plus porter les monnaies les plus fortes. Premièrement, le contexte géopolitique toujours plus guidé par un esprit d’économie de guerre privilégiant l’autonomie et la réduction des réserves de change, au profit de l’or. Deuxièmement, l’investissement massif dans de nouvelles priorités de sécurité nationale, dont les sources d’énergie, la transition énergétique et les chaînes d’approvisionnement. Troisièmement, la liquidité croissante à l’échelle mondiale, à mesure que les décideurs politiques agissent pour éviter une débâcle sur les marchés des titres de dette, alors que l’on enregistre une légère décélération de la croissance réelle. L’or fend le double top à près de 2075 dollars comme si de rien n’était et monte en flèche au-dessus des 3000 dollars l’année suivante.

4. Création des Forces armées européennes

L’invasion de l’Ukraine par la Russie fait vivre à l’Europe sa plus grande «guerre chaude» depuis 1945 et les midterms 2022 aux États-Unis ont vu la représentation de la droite populiste du parti républicain au congrès fortement augmenter, l’ancien président Donald Trump s’étant alors déclaré candidat à l’élection présidentielle de 2024. En 2023, il devient plus évident que jamais que l’Europe a besoin de mettre de l’ordre dans la position défensive de l’UE, moins à même de se fier à un cycle politique américain de moins en moins constant et confrontée au risque de voir les États-Unis mettre définitivement un terme à leur engagement pourtant ancien envers l’Europe, peut-être après la signature de l’armistice entre l’Ukraine et la Russie. Dans un élan spectaculaire, tous les membres de l’UE allient leurs efforts pour créer les Forces armées européennes avant 2028, avec pour objectif de posséder des forces opérationnelles terrestres, navales, aériennes et spatiales dotées d’effectifs au complet et entièrement déployables. Il est prévu de leur affecter 10 mille milliards d’euros de dépenses, décalées sur 20 ans. Le financement des nouvelles Forces armées européennes doit être assuré par l’émission d’euro-obligations, consolidées sur la base des clés du PIB de chaque État membre. Cela élargit nettement le marché des dettes souveraines européennes, entraînant un solide redressement de l’euro avec la stimulation massive de l’investissement.

5. Un pays accepte d’interdire toute production carnée d’ici 2030

Afin d’atteindre l’objectif du zéro émission nette d’ici 2050, un rapport estime que la consommation de viande doit être réduite à 24 kg par personne par an, alors qu’elle est d’environ 70 kg en moyenne au sein des pays de l’OCDE. Les pays les plus à même de considérer l’angle alimentaire pour répondre au changement climatique sont ceux qui sont soumis à des objectifs légalement contraignants pour parvenir au zéro émission nette. La Suède s’est engagée à atteindre la neutralité carbone d’ici 2045, tandis que d’autres pays, tels que le Royaume-Uni, la France ou le Danemark, se sont fixés 2050. L’approche du bâton et de la carotte faisant cependant rarement ses preuves, en 2023, au moins un pays espère devancer les autres en cherchant à se positionner en tête de la course à la politique climatique la plus ambitieuse et se tourne vers une lourde taxe sur la viande qui augmentera progressivement à partir de 2025. Il annonce par ailleurs prévoir d’interdire entièrement à l’horizon 2030 toute viande provenant d’animaux vivants produite sur son territoire, en comptant sur l’amélioration des viandes artificielles d’origine végétale et sur des technologies destinées à la viande développées en laboratoire toujours plus intensives en main-d’oeuvre et moins en émissions pour satisfaire les appétits et contribuer ainsi à sauver l’environnement et le climat.

6. Le Royaume-Uni organise un référendum pour revenir sur le Brexit

En 2023, Rishi Sunak et Jeremy Hunt ont fait le nécessaire pour conduire les tories à un niveau d’impopularité record. En effet, leur politique fiscale brutale conduit le Royaume-Uni droit vers une terrible récession, avec une augmentation à la fois du chômage et, ironiquement, des déficits du fait de l’assèchement des rentrées fiscales. Les gens descendent dans la rue pour demander à Rishi Sunak d’organiser rapidement des élections, faute de disposer d’un mandat populaire. Devant la tragédie économique, les sondages font état de doutes sur la sagesse du Brexit, y compris en Angleterre et au Pays de Galles. Rishi Sunak finit par céder et annonce la tenue d’élections. Il démissionne pour permettre à un nouveau profil de tories de prendre les rênes d’un parti en miettes. Le leader du Labour, Keir Starmer, constatant le soutien populaire à un second référendum sur le Brexit et la percée dans les sondages des libéraux-démocrates qui réclament un nouveau référendum, défend un programme de non-alignement sur la question du Brexit, mais soutient un second référendum pour réintégrer l’UE à l’instar de l’accord conclu par David Cameron avant le référendum initial de 2016. Un gouvernement travailliste arrive au pouvoir au troisième trimestre, promettant la tenue d’un référendum pour décider s’il faut revenir sur le Brexit le 1er novembre 2023. Le vote ReJoin l’emporte.

Impact sur le marché: après de mauvaises performances début 2022, la livre reprend 10% par rapport à l’euro et 15% par rapport au franc suisse du fait de l’anticipation d’un redémarrage du secteur des services financiers londonien.

7. De vastes contrôles des prix sont introduits pour fixer une limite à l’inflation officielle

Il sera difficile de contrôler l’inflation tant que la mondialisation continuera de faire marche arrière et que la question des besoins énergétiques à long terme ne sera pas réglée.

Presque toutes les guerres ont conduit à des contrôles des prix et un rationnement, apparemment aussi inévitables que les pertes humaines au combat. Très tôt, des initiatives manquant de cohérence ont été prises en 2022 pour juguler l’inflation. Les taxes sur les bénéfices exceptionnels des énergéticiens font fureur, alors que les gouvernements ne parviennent pas à recourir à l’outil classique du rationnement des approvisionnements. À la place, ils subventionnent activement la demande excessive en plafonnant les prix du chauffage et de l’électricité pour les consommateurs. En France, cela signifie tout simplement la faillite et la nécessaire nationalisation des services publics. La facture est reportée sur le gouvernement, puis sur la monnaie via l’inflation, et vient alors l’intervention, probablement vouée à l’échec, des fonctionnaires occidentaux qui entendent plafonner les prix de l’énergie russe à compter du 5 décembre. L’idée consiste à priver la Russie de ses revenus en espérant également faire baisser partout les cours à l’exportation du pétrole brut, mais il est probable que cela ne produise aucun des deux effets escomptés.

Dans une économie de guerre, l’influence des gouvernements va s’étendre impitoyablement aussi longtemps que les pressions sur les prix menaceront la stabilité. L’idée est répandue parmi les décideurs politiques que l’augmentation des prix indique d’une manière ou d’une autre que le marché ne fonctionne pas correctement et qu’une intervention plus poussée est nécessaire pour éviter que l’inflation ne déstabilise l’économie, voire la société. En 2023, il faut s’attendre à des contrôles des prix, voire des salaires, plus larges, et même peut-être à la mise en place de quelque chose qui pourrait ressembler à un nouveau Conseil national des prix et des revenus au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Le résultat sera pourtant le même que pour à peu près toutes les politiques publiques: la loi des conséquences imprévues. Contrôler les prix sans résoudre le problème sous-jacent va non seulement générer plus d’inflation, mais également faire courir un risque de déchirement du tissu social au travers de la baisse des niveaux de vie en raison des désincitations à produire, ainsi que de la mauvaise allocation des ressources et de l’investissement. Seuls les prix fixés par le marché peuvent conduire à l’amélioration de la productivité et de l’efficacité par l’investissement.

Impact sur le marché: voir la Prévision Choc sur l’envolée de l’or à 3000 dollars.

8. L’OPEP+, la Chine et l’Inde sortent du FMI et s’accordent pour commercer avec un nouvel actif de réserve

Constatant que le gouvernement américain est en train de militariser le dollar, les pays non alliés des États-Unis tournent le dos au billet vert et au FMI pour créer une union de compensation internationale (ICU) et un nouvel actif de réserve, le Bancor (code monnaie KEY), en mettant en pratique l’idée originale de Keynes d’avant Bretton Woods pour faire un pied de nez aux pratiques des États-Unis qui tirent parti de leur pouvoir sur le système monétaire international.

Impact sur le marché: les banques centrales non alignées réduisent fortement leurs réserves de dollars, les rendements des obligations du Trésor américain s’envolent et le dollar perd 25% par rapport à un panier de monnaies recourant au nouvel actif KEY.

9. Le Japon fixe la parité USD/JPY à 200 pour réajuster son système financier

Alors que 2022 cède sa place à 2023, la pression sur le yen et le système financier japonais s’accentue encore avec la crise de liquidité mondiale déclenchée par le resserrement brutal de la politique de la Fed et l’augmentation des rendements des obligations du Trésor américain. Initialement, la BoJ et le Ministère des Finances répondent à la situation en ralentissant puis suspendant l’intervention monétaire après avoir identifié la menace pesant sur la survie des finances du pays, alors que plus de la moitié des réserves de la banque centrale ont été consumées. Tandis que le dollar atteint 160, puis 170 yens et que la levée de boucliers suscitée par l’inflation galopante dans l’opinion publique touche à son paroxysme, ils savent pourtant que la crise nécessite une nouvelle intervention audacieuse. Quand le dollar atteint 180 yens, le gouvernement et la banque centrale passent à l’action.

Premièrement, ils fixent un plancher au yen à 200 sur la parité USD/JPY, en annonçant qu’il ne s’agit que d’une mesure temporaire sans durée fixe destinée à permettre un réajustement du système financier japonais. Ce réajustement comprend la préparation d’une monétisation explicite de tous ses avoirs de dette par la BoJ, qui les élimine. Le QE avec la monétisation est étendu pour réduire encore davantage le fardeau de la dette publique japonaise, mais avec un plan dégressif prédéfini sur les 18 mois suivants.

L’intervention initie une diminution de la dette publique à 100% du PIB à la fin des opérations de la BoJ, soit à moins de la moitié de son niveau initial. La BoJ relève alors son taux directeur à 1% et élève le contrôle de l’ensemble de la courbe des taux, ce qui permet au taux à 10 ans de grimper à 2%. Les banques sont recapitalisées autant que nécessaire pour éviter l’insolvabilité et des incitations fiscales au rapatriement de la gigantesque épargne japonaise détenue à l’étranger permet de faire revenir des milliers de milliards au Japon, aussi alors que les exportations japonaises sont toujours florissantes.

Résultat: le PIB japonais réel diminue de 8% avec une réduction du pouvoir d’achat, bien que le PIB nominal augmente de 5% en raison des augmentations du coût de la vie, mais ce réajustement remet le Japon sur des rails stables et définit un modèle de réponse aux crises intéressant, alors qu’une crise similaire va inévitablement toucher l’Europe et même, à terme, les États-Unis.

Impact sur le marché: la parité USD/JPY s’est établie à 200, mais est bien partie pour diminuer d’ici la fin de l’année.

10. L’interdiction des paradis fiscaux sonne le glas du capital-investissement

En 2016, l’UE a introduit une liste noire européenne des paradis fiscaux identifiant les pays ou juridictions jugés «non coopératifs», car ils incitent à pratiquer l’évasion et la planification fiscales de manière agressive. Il s’agissait là d’une réponse à la fuite des Panama Papers, une mine de millions de documents qui révélaient que des personnes fortunées, dont des personnalités politiques et de grands sportifs, fraudaient le fisc. Avec le renforcement d’un esprit d’économie de guerre en 2023, les perspectives en matière de sécurité nationale se replient de manière croissante sur les politiques industrielles et la protection des industries domestiques. Les dépenses de défense, la relocalisation et les investissements dans la transition énergétique coûtent cher, les gouvernements étudient toutes les sources de rentrées fiscales potentielles et n’ont plus qu’à cueillir les paradis fiscaux qui permettent la fraude fiscale. On estime que les paradis fiscaux font perdre chaque année aux gouvernements entre 500 et 600 milliards de dollars d’impôt sur les sociétés.

En 2023, l’OCDE introduit une interdiction complète des plus grands paradis fiscaux dans le monde. Aux États-Unis, l’intéressement aux plus-values taxé comme une plus-value devient aussi un revenu ordinaire. L’interdiction des paradis fiscaux par l’UE et la modification de la règle de taxation de l’intéressement aux plus-values aux États-Unis secoue l’ensemble des secteurs du capital-investissement et du capital-risque. Une importante partie de l’écosystème met la clé sous la porte et les sociétés de capital-investissement cotés en bourse subissent une décote de 50%.

Impact sur le marché: iShares Listed Private Equity UCITS ETF perd 50%

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