Un chemin escarpé vers de plus verts pâturages

Ophélie Mortier, DPAM

3 minutes de lecture

Malgré un début d’année difficile pour l’investissement durable, l’avenir ne semble pas être aussi négatif.

©Keystone

L’investissement durable a connu un début d'année particulièrement rude. Que ce soit le conflit russo-ukrainien, le super cycle de l'énergie ou encore la taxonomie verte, ces facteurs ont tous ont exercé une pression considérable sur le secteur. Pourtant, tout n'est pas négatif. De multiples taxonomies mettent en place de nouveaux cadres permettant de définir et réglementer les activités durables; le nombre d’acteurs qui s'engagent en faveur du «Net Zero» continue de grandir; et un ensemble d'engagements et désinvestissements pourrait guider efficacement les plus gros émetteurs vers des pratiques plus vertes. La question est de savoir ce que nous réserve le reste de l’année.

Une régulation ambitieuse

Au cours des deux dernières années, la réglementation en matière de durabilité a connu une véritable révolution. L'Europe, en particulier, a pris les devants avec l’«EU Green Deal» et a introduit une série de propositions pour une transition durable. Si cette pression juridique accrue peut sembler complexe, voire carrément déroutante par moments, elle n'en reste pas moins l'un des outils les plus efficaces pour réorienter les flux de capitaux vers une croissance durable et inclusive.

Les taxonomies existantes et celles à venir couvriront bientôt près de la moitié du globe; une véritable «taxonomania».

Au cœur de cet ensemble de règlementations, la «taxonomie européenne» précise quels investissements sont écologiquement durables. Bien qu'elle figure parmi les exemples les plus connus aujourd'hui, cette «taxonomie durable» n’en est qu’une parmi tant d’autres. En fait, les taxonomies existantes et celles à venir couvriront bientôt près de la moitié du globe; une véritable «taxonomania».

Toutefois, une réglementation efficace doit aller de pair avec des «données claires, de qualité et comparables». Les objectifs durables sont souvent de nature qualitative et difficilement mesurables. Aujourd'hui, la grande diversité d’étalons, d'objectifs et de définitions ne fait qu'ajouter de la confusion à un sujet déjà complexe, constituant une entrave majeure. Il est clair que le manque croissant de conformité et la complexité en matière de données est un phénomène à surveiller, car il pourrait facilement être exploité pour promouvoir l'écoblanchiment. Néanmoins, la directive sur les rapports de durabilité des entreprises - un amendement à la directive sur les rapports non financiers déjà existante - contribuera à relever ces défis en matière de données. De plus, le Conseil international des normes de durabilité fournira une base mondiale de normes de publication liées à la durabilité et offrira des informations objectives sur les risques liés à la durabilité des entreprises.

La fin du super cycle de l’énergie

Selon le dernier rapport du GIEC, les émissions de gaz à effet de serre n'ont pas encore diminué, bien au contraire. Et si les énergies renouvelables ont connu une croissance considérable ces dernières années, la demande mondiale d'énergie reste supérieure à l'offre totale d'énergie renouvelable aujourd’hui.

Heureusement, la récente hausse des prix de l'énergie a été une excellente incitation à accélérer davantage la transition vers des sources d'énergie renouvelables. De plus, la pression croissante de la réglementation et des exigences en matière de rapports continuera également à stimuler cette transformation verte. En outre, sur le long terme, alors qu'une part toujours plus grande du monde s'engage en faveur du «Net Zero», l'industrie des combustibles fossiles devra s’adapter ou disparaître complètement.

Désinvestissement contre engagement: le faux dilemme

Mais alors comment réduire au mieux la dépendance aux énergies à forte intensité carbone? Nombreux sont ceux qui sont favorables à la suppression pure et simple du soutien financier des entreprises par le biais du désinvestissement. D'autres préfèrent une méthode plus engagée, afin de guider ces fournisseurs d'énergie vers une production plus durable et limiter le risque d'actifs non performants. Si les deux parties semblent avoir des points de vue fondamentalement opposés, un terrain d'entente n'est pas si difficile à trouver. Avec un juste milieu entre les deux, et en s'appuyant sur une combinaison de désinvestissement et d'engagement, nous pouvons potentiellement avoir le meilleur des deux mondes.

Les données ESG ont une tendance à se focaliser sur les développements antérieurs sans tenir suffisamment compte du potentiel et de la dynamique future.

De plus, les entreprises à combustibles fossiles ne sont pas restées inactives. Elles préparent leur propre transition depuis un certain temps déjà. Ainsi TotalEnergies, auparavant connue comme un titan du pétrole et du gaz, a décidé de revoir entièrement son modèle économique. Elle a réorganisé sa stratégie, ses projets et ses activités futures pour s'assurer que le développement durable soit au cœur de son métier. De sorte que l’entreprise est déjà devenue l'un des acteurs majeurs au monde dans le domaine de l’énergie solaire.

Toutefois, selon l'organisation internationale «Transition Path Initiative», seuls trois grands fournisseurs d'énergie (TotalEnergies, ENI et Occidental) sont actuellement alignés sur un scénario de 1,5°C tel que défini par les Accords de Paris. Même si TotalEnergies semble aller dans la bonne direction, sa stratégie actuelle ne prend pas en compte les émissions dites «Scope 3» - c'est-à-dire les conséquences des activités de l'entreprise qui proviennent de sources qu'elle ne possède ou ne contrôle pas. Cette lacune a suscité une vive réaction de la part des investisseurs institutionnels lors de la dernière assemblée générale de l'entreprise. Il est clair qu’il faut continuer à rester sélectifs et critiques lorsqu'il s'agit de grandes promesses issues des compagnies pétrolières.

Au-delà des données, un engagement actif

La soi-disant «prime verte» désigne le coût supplémentaire à payer pour une technologie propre par rapport à une technologie qui émet une plus grande quantité de gaz à effet de serre. Elle peut également être le résultat d'une réglementation qui cherche à orienter les investissements vers des entreprises de secteurs traditionnellement verts. Toutefois, à mesure que la taxonomie européenne élargira son champ d'application et inclura d'autres objectifs, l'univers de possibilités d’investissement augmentera également, diminuant ainsi biais sectoriels et primes vertes.

Pour limiter l'impact de la prime verte et aller au-delà des secteurs habituels, il est essentiel de regarder «au-delà des données». Les données ESG, en particulier, ont une tendance à se focaliser sur les développements antérieurs sans tenir suffisamment compte du potentiel et de la dynamique future. Cela peut être partiellement compensé en prenant compte de mesures telles que les dépenses d'investissement de capital, qui sont davantage tournées vers l'avenir.

En somme, la combinaison d'un engagement actif auprès des entreprises ou des gouvernements et d'une recherche qualitative et fondamentale est essentielle pour tout investisseur qui souhaite aller au-delà des secteurs verts les plus classiques.

A lire aussi...