Un atterrissage en douceur possible, moins sûr pour les salariés

Anne Barrat

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Les experts de Candriam (Florence Pisani en photo) privilégient une sortie de l’inflation aux Etats-Unis et en Europe sans récession. Mais au prix de la hausse des salaires.

Réunis la semaine dernière à Genève pour leurs prévisions sur le second semestre de l’année, les experts du gérant d’actifs Candriam – pour «Conviction and Responsibility in Asset Management»– ont présenté un scénario qu’ils ont eux-mêmes qualifié de plutôt optimiste. Rassurants, ils sont revenus sur les spécificités de l’environnement inflationniste actuel et de l’allocation d’actifs qui en découle. Explications.

Où que se porte le regard, à l’Est, à l’Ouest ou en Europe, les raisons de penser que le semestre à venir verra une normalisation sans récession dominent.

Un constat commun en dépit de situations très hétérogènes

En Chine d’abord, la trajectoire de 5,5% de croissance attendue de longue date ne devrait pas être remise en cause par la politique de zéro COVID qui touche à sa fin. Le gouvernement chinois, qui pousse les collectivités locales à accroître leurs investissements en infrastructures pour éviter un trop fort ralentissement économique induit par le frein mis sur les crédits aux ménages et aux crédits hypothécaires, bénéficiera de la détente sur les matières premières.

Aux Etats-Unis ensuite. L’inflation spectaculaire d’aujourd’hui se compare aux grands épisodes d’inflation d’avant la Seconde Guerre mondiale ou de ceux connus au moment des chocs pétroliers. L’expérience de ces cent dernières années a montré que chacun de ces pics a appelé une réponse ferme de la Fed, observe Anton Brender, Chef économiste de Candriam. Lequel souligne que la banque centrale américaine est cette fois confrontée à un cas nouveau où monter ses taux directeurs ne résoudra pas tout: cela ne lèvera ni les tensions sur les approvisionnements, ni celles sur les matières premières. Le principal effet de l’augmentation de 300 points de base se portera sur le pouvoir d’achat des ménages américains. Les crédits à la consommation et à l’immobilier, dans un environnement qui a vu les biens prendre 20% en un an, deviennent prohibitifs, freinant leur demande. Même si le revenu disponible nominal est aujourd’hui supérieur à celui d’avant la pandémie de COVID, le revenu disponible réel est au même niveau. Et ce, alors même que les évolutions des marchés boursiers depuis le début de l’année ont fait fondre les économies réalisées pendant le confinement et que le dollar fort renchérit le coût des exportations, deux facteurs peu favorables à la consommation, ni à l’économie dans son ensemble. Pour autant, leur combinaison permet d’entrevoir un atterrissage en douceur du PIB américain à 2,5% en 2022 et 1,7% en 2023.

En Europe enfin. Revenue au niveau de décembre 2019 dans l’ensemble, avec des disparités importantes entre l’Espagne (-3,5%) ou l’Allemagne (-0,9%) et le Bénélux (+3%), la zone euro devrait surmonter la crise énergétique liée aux sanctions sur les importations de gaz et de pétrole russe – qui touche là encore différemment les pays membres: 0,8 point de PIB en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas contre 0,2 en Espagne ou en France – pour terminer l’année 2022 sur un PIB de 2,7%. Ce scénario central n’exclut pas, pour Florence Pisani, Directrice de la recherche économique de Candriam, une variante plus sombre, en cas d’arrêt pur et simple des importations russes: il induirait une récession, dont l’ampleur dépendrait du moment où il interviendrait – entre -0,8 et -1,1%.

Et l’emploi dans tout ça?

Les Etats-Unis connaissaient avant la pandémie une situation proche du plein emploi, qui se traduisait par un taux de chômage d’environ 3,5% de la population active. Ce qui a changé est que ce plein emploi d’alors ne s’accompagnait pas de la même hausse des salaires. Pourquoi? Parce que depuis, non seulement le taux d’emploi est plus bas, un nombre important de gens s’étant retirés du marché du travail, mais aussi le taux de démission est plus élevé que jamais. « L’objectif traditionnel de plein emploi de la Fed a cédé le pas à celui d’emploi maximum. La différence n’est pas neutre, explique Anton Brender, chef économiste de Candriam: il ne suffit pas que le niveau de chômage soit bas. Il faut aussi qu’il le soit pour les différentes « communautés » (blancs, noirs, hispaniques, hommes, femmes…) et aussi que les salaires montent de façon relativement homogène. La pandémie a conduit à une situation inédite: alors même que les différents taux de chômage n’ont fait que revenir là où ils étaient il y deux ans, le redémarrage exceptionnellement rapide de l’activité dans les secteurs qui avaient été les plus touchés – tourisme, hôtellerie, restauration, notamment – s’est accompagné d’une explosion des offres d’emplois et des démissions volontaires et l’impact sur les salaires notamment les plus bas a été important… La Fed se donne maintenant quelques trimestres pour écarter le risque d’une spirale prix / salaires par une politique relativement agressive visant à freiner la croissance et à éviter un dérapage des anticipations d’inflation. Nous continuons de penser qu’elle a des chances d’y parvenir sans provoquer de récession ». Si ce n'était pas le cas,, la hausse des salaires ne résisterait pas.

Les salariés européens ne connaitraient pas un meilleur sort, qui commencent tout juste à bénéficier d’une revalorisation des salaires sur fonds d’amélioration de la situation de l’emploi, en ordre dispersé dans la zone euro, si les interventions de la BCE tuaient le mouvement haussier en cours. «Tout autant que l’inflation, le marché de travail de plus en plus tendu en Europe retient aussi l’attention de la BCE. Le taux de chômage de la zone euro est passé sous la barre des 7%, le plus bas niveau enregistré depuis la création de l’euro. Beaucoup de secteurs manquent de main d’œuvre. Ceci dit, pour l’instant la hausse des salaires est inférieure à 3%, ce qui est nettement plus faible qu’aux Etats-Unis. La BCE n’hésitera toutefois pas à agir pour éviter qu’une boucle prix-salaires ne se mette en place.»

Ne pas rater un retour prudent sur les marchés

«C’est la première fois depuis 1973, en 50 ans donc, que les deux classes d’actifs affichent une performance négative en même temps. Autrement dit, la partie obligataire ne peut plus jouer le rôle de protection qu’elle a traditionnellement dans un portefeuille 60/40. Une allocation défensive a notre préférence – qui passe par la sélection de titres dans des secteurs comme ceux de la santé et de la consommation non cyclique et par un allongement de la duration de la dette, principalement aux Etats-Unis. Attentistes, nous nous tenons prêts à rentrer sur les marchés, qui ont déjà intégré l’ensemble des nombreuses mauvaises nouvelles et devraient présenter des points d’entrée intéressants sous peu, y compris dans le domaine des Tech, conclut Nadège Défossé, Responsable de l'allocation d'actifs chez Candriam.»

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