Tentée par le modèle allemand, la Chine veut un yuan fort

Wilfrid Galand, Montpensier Finance

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La hausse du Yuan permet à la Chine de faciliter la montée en gamme de son industrie, de redonner du pouvoir d’achat à la population… et de défier le dollar!

En mai dernier, devant le Politburo du Parti Communiste Chinois, le président Xi Jinping présentait pour la première fois sa nouvelle stratégie économique de «circulation duale». Sans renier les exportations, moteur historique de l’expansion chinoise (ou «circulation externe»), il souhaitait désormais mettre clairement l’accent sur le deuxième moteur, la consommation domestique (ou «circulation interne»).

Il poursuivait ainsi la voie indiquée en 2007 par le premier ministre de l’époque, Wen Jiabao, qui insistait déjà sur la nécessité de rééquilibrer la croissance de l’Empire du Milieu pour laisser place à une consommation intérieure plus dynamique. Il actait également l’échec – relatif – de cette stratégie depuis treize ans: bien que la part de la consommation dans le PIB chinois ne cesse de monter, elle est encore loin des quelques 70% enregistrés aux Etats-Unis et dans la plupart des pays développés.

Mais plus que le volet «consommation» de l’activité, ce qui fait l’originalité de la «circulation duale» de Xi Jinping c’est l’insistance sur la nécessité de faire monter en gamme l’industrie et surtout la technologie chinoise afin de renforcer l’indépendance effective du pays face aux pressions américaines.

La forte montée du Yuan depuis quelques mois pourrait bien faciliter les deux volets de cette stratégie. La monnaie chinoise, au-delà de 7,15 Yuans pour un dollar fin mai, s’échange désormais à des niveaux proches de 6,5 Yuans pour un dollar, au plus haut depuis juin 2018. La PBOC ne cesse d’ailleurs depuis l’été d’accompagner ce mouvement en donnant des gages de «neutralité» monétaire, à l’opposé de la politique très expansionniste de la quasi-totalité de ses homologues internationales.

Alors que certains analystes interprètent cette évolution comme un simple gage de bonne volonté donné à Washington, toujours prêt à accuser Pékin de «manipulation monétaire», le Yuan fort vient en appui de la volonté de la Chine de créer un circuit financier indépendant du dollar, lui permettant d’être à l’abri de la portée extraterritoriale des sanctions économiques américaines.

L’appréciation du Yuan face à l’ensemble des monnaies est en outre un moyen pour les autorités du pays d’atteindre plusieurs buts à la fois, dans le cadre de la «double circulation». Industriellement, elle pousse le tissu économique du pays à faire croitre sa productivité pour augmenter sa compétitivité et son poids sur l’échiquier mondial et faire monter la valeur perçue du «made in China»; socialement, elle permet d’augmenter le pouvoir d’achat de la population, sans bouleverser le partage de la valeur ajoutée dans les entreprises chinoises; stratégiquement enfin, elle devient un vecteur de la puissance retrouvée de l’Empire du Milieu, dont les capacités d’importation de matières premières se trouvent accrues et dont le poids financier international progresse.

Cette configuration n’est pas sans rappeler la façon dont l’Allemagne est revenue au centre du jeu économique après la deuxième guerre mondiale. Elle rappelle aussi, plusieurs décennies auparavant, la capacité du Reich de Guillaume II à tirer profit de la force du mark pour bâtir la puissance industrielle allemande et transformer le «Made in Germany» d’une marque d’infamie imposée par les britanniques vers un label de qualité.

La force renouvelée du Yuan est donc indissociable de la montée en puissance géostratégique de la Chine. L’Amérique de Joe Biden devra relever ce défi… sans perturber les plans de la Fed qui entend bien maintenir un support monétaire fort pour une économie affaiblie par la pandémie. Les marchés seront attentifs à cet équilibre, essentiel pour la bonne tenue des indices en 2021!

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