Aux Etats-Unis, l’inflation a passé un premier pic et l’activité ralentit. Pourtant, la Fed poursuit sa rhétorique agressive, afin que les marchés ne viennent pas trop vite entraver son action. Elle alterne ainsi temps et contretemps.
A 7,7% en octobre, l’inflation (PCI) aux Etats-Unis a clairement passé un pic. Depuis les 9,1% de juin, la décélération est désormais nette. Certes, la cible des 2% est encore lointaine puisqu’il faudrait une progression quasiment nulle des prix sur les douze mois qui viennent pour rejoindre l’objectif de la Fed au dernier trimestre 2023 mais la dynamique est là.
En outre, les indicateurs avancés vont également dans le sens d’un fort ralentissement des prix dans les prochains mois. C’est le cas des enquêtes sur le moral et les intentions des acteurs économiques. L’indice du Michigan de sentiment du consommateur a ainsi enchainé sept mois consécutifs sous la marque des 60 points, une première depuis ses débuts en 1952.
Du côté des entreprises, la composante «nouvelles commandes» de l’ISM Manufacturier, sous les 50 pour le mois d’octobre, montre que le secteur industriel, traditionnel signal avancé de l’économie, anticipe une contraction de l’activité. Et la composante «prix payés» de cet indicateur, à 46,6, vient même alimenter les perspectives d’une baisse prochaine des prix.
Les indicateurs «durs», fondés non sur des sondages mais sur des données réelles d’activité vont dans le même sens. Les prix à la production en Chine sont en baisse, exportant donc une tendance déflationniste. Le brut léger américain, sous 80$ le baril, suit la même tendance. Et d’importantes composantes de l’inflation américaine, à l’image des coûts liés à l’immobilier sur le territoire ou du prix des voitures d’occasion dans le «hub» de Manheim en Pennsylvanie, sont également désormais en baisse marquée.
La situation semble propice pour préparer le marché à une pause de la Fed dans son processus de normalisation monétaire. C’est d’ailleurs ce que semblait indiquer le communiqué publié après la réunion du FOMC le 2 novembre dernier: pour ses prochaines décisions, la Fed allait prendre en compte le resserrement déjà effectué, le délai avec lequel les effets de la politique monétaire se concrétisent dans l’économie, et les conditions d’évolution de l’activité.
Mais depuis, les investisseurs ont l’impression que Jerome Powell – dès sa conférence de presse 30 minutes après publication du communiqué – et nombre de ses collègues, ne cessent de repousser l’évidence au travers de déclarations très martiales sur la nécessité de poursuivre avec détermination et vigueur les hausses de taux, bien au-dessus de la cible actuelle de 5%, déjà élevée et intégrée par les marchés, et de les maintenir longtemps en territoire restrictif.
Alors la Fed a-t-elle perdu la raison en même temps que sa boussole? ou souhaite-t-elle réellement plonger le pays dans une récession profonde, au prétexte, selon les mots mêmes de son président «qu’elle a les outils pour relancer le cas échéant l’activité»?
La réalité est très probablement plus prosaïque, et d’une certaine façon plus rassurante. Depuis le début de son chemin de hausse de taux, en mars, l’objectif avoué de l’institution de Washington est de refroidir l’activité pour éviter que les anticipations d’inflation ne dérapent. Pour cela, la politique monétaire ne peut agir que sur le seul levier des conditions financières.
Il s’agit alors de durcir celles-ci de telle sorte que les coûts de financement de l’économie remontent rapidement, et viennent ainsi ralentir les dynamiques d’activité, en particulier celles du marché de l’emploi, afin d’empêcher la mise en place d’une boucle-prix salaires susceptible d’ancrer l’inflation dans les comportements des acteurs.
Or les marchés, devant les signaux de plus en plus clairs de ralentissement de l’inflation, font bouger rapidement ces conditions financières et allègent de fait les coûts de financement en faisant baisser les taux sur les marchés obligataires et en pesant sur le niveau du dollar.
La Fed, en organisant un tir de barrage nourri contre ces anticipations de marchés, n’annonce pas un resserrement mortifère pour l’économie américaine, mais cherche tout simplement à protéger son action et à éviter qu’elle ne soit ralentie par les comportements des investisseurs. En agissant ainsi Jerome Powell et ses confrères préservent l’avenir et ne font qu’imiter la danse des analystes et des relations investisseurs des géants de Wall Street, pour piloter aux mieux les prévisions de bénéfices et faciliter une progression régulière des cours de bourse et des indices actions.
Les enjeux sont néanmoins bien plus importants car il faut naviguer sur les marchés obligataires entre deux écueils: la spirale inflationniste par complaisance et l’accident financier par excès de zèle. Dur mais nécessaire chemin. Espérons qu’elle choisira le bon tempo!