Réserve fédérale: le modèle Volcker ou la méthode Burns?

Wilfrid Galand, Montpensier Finance

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Arthur Burns, défenseur en 1969 - 1978 d’une coopération entre l’exécutif, le législatif et le monétaire, mérite d’être réhabilité. Il pourrait servir d’exemple à Jay Powell.

Paul Volcker est le modèle cité pour la Fed d’aujourd’hui. Mais Arthur Burns, défenseur en 1969 - 1978 d’une approche équilibrée et d’une coopération entre l’exécutif, le législatif et le monétaire, mérite d’être réhabilité. Il pourrait servir d’exemple à Jay Powell.

Arthur Burns, coincé entre deux présidents légendaires de la Fed, est souvent présenté comme un contre-modèle. Entre 1969 et 1978, il succède à William Mc Chesner Martin, l’homme du compromis entre la Fed et le Trésor américain au moment de la guerre de Corée permettant de mettre progressivement fin au financement monétaire de l’Etat mis en place au moment de la seconde guerre mondiale, et précède Paul Volcker, le héros de Jerome Powell, le guerrier ayant monté les taux des Fed Funds au-delà de 20% pour abattre l’inflation.

Entre les deux, Burns est accusé d’avoir régulièrement cédé aux pressions de Nixon, soucieux de pouvoir financer la guerre au Vietnam et d’éviter de tendre trop les conditions financières lors des échéances électorales. Leur proximité amicale non dissimulée, eux qui ont été tous les deux membres de l’administration Eisenhower – Nixon comme Vice-Président et Burns comme président du Conseil d’Analyse Economique - n’arrange rien à l’affaire.

L’affaire est plus complexe et l’analyse à la fois des actes de Burns lors des crises de Penn Central en 1970 et de Franklin Financial en 1974, ainsi que de ses discours, en particulier celui, prononcé au début de son mandat en décembre 1970 à l’université de Pepperdine en Californie, apporte des éclairages qui permettent non seulement de le réhabiliter mais d’en tirer des conclusions éclairantes sur les missions actuelles des banquiers centraux et les équilibres à trouver entre celles-ci.

Le 19 juin 1970, la compagnie ferroviaire Penn Central fait faillite. Cet événement menace de déstabiliser le marché des billets de trésorerie, dont Penn Central était un des acteurs majeurs. Face au risque de gel de ce marché essentiel au financement de l’économie américaine, la Fed suspend les limites de taux d’intérêt auquel les banques peuvent prêter, et parallèlement ouvre pour celles-ci un guichet de liquidités qui stabilise rapidement le système, sauvant ainsi des entreprises comme Chrysler d’un défaut de paiement imminent.

A l’époque, Burns a été critiqué car Penn Central était effectivement insolvable et la doctrine monétaire voulait que la Fed laisse le marché régler ce problème, sans intervenir. Bien avant Ben Bernanke, Arthur Burns avait intégré la stabilité du système financier dans ses paramètres d’action, une fragilité excessive menaçant de créer des dégâts irréparables – tel, à l’époque le défaut possible de Chrysler – faute d’action rapide du prêteur en dernier ressort.

Un peu plus loin dans son mandat, en juillet 1974, la crise d’une des vingt premières banques du pays, marque un nouveau tournant. Après avoir monté les taux plusieurs fois entre 1973 et 1974 pour contrer une inflation supérieure à 10%, la Fed doit sauver en urgence Franklin Financial, au bord du précipice après des positions désastreuses sur le marché des changes.

A la manière de l’opération «Bear Stearns» en mars 2008, rachetée par JP Morgan sous l’égide de la Fed, l’institution de Washington présidée par Arthur Burns transfère les actifs à risque directement sur son bilan via la Fed de New York et organise la vente des actifs restant, évitant une panique bancaire généralisée. Cette décision, qui peut être considérée comme l’ancêtre du «Greenspan put», ancre pour longtemps dans les missions non-écrites de la Fed, celle de veiller au bon fonctionnement des marchés financiers. Le «Fed put» était né.

Mais Arthur Burns ne considérait pas la Fed comme le seul instrument de stabilisation et était loin de sous-estimer les dangers de l’inflation. Dans son discours prononcé à l’université de Pepperdine, en Californie, en décembre 1970, il insiste au contraire sur la nécessité de coordonner les actions entre le Capitole, la Maison Blanche, et la Fed. Selon lui, seule l’articulation entre politiques fiscales, économiques et monétaires pouvait être réellement efficaces pour créer un environnement stable et propice à une croissance équilibrée. Il envoya d’ailleurs, à la fin de son mandat, une série de vingt propositions au nouveau président, Jimmy Carter, pour l’aiguillonner en ce sens.

A défaut, selon Burns, compter sur la seule politique monétaire pour contrer l’inflation faisait courir le risque d’aller trop loin, trop fort dans les hausses de taux, et de déstabiliser le système financier, générant ainsi la nécessité pour la Fed de recourir à des mesures exceptionnelles, simples pis-aller pour éviter la dislocation des circuits de financement.

Plus de quarante ans plus tard, la dernière référence des banquiers centraux modernes, Mario Draghi, en octobre 2019, lors de sa dernière intervention en tant que président de la BCE, appelait lui aussi les Etats de la zone euro à aider la politique monétaire en relançant leur économie. Un digne héritier du sous-estimé Arthur Burns.

Aux autorités politiques de prendre désormais leurs responsabilités, et de ne pas laisser les banquiers centraux seuls face à l’inflation. Sinon, les risques de payer un prix trop élevé sont trop grands. La récession «Volcker» de 1982-1983 l’a clairement démontré. Arthur Burns avait permis d’échapper à une grave crise financière dans une période aussi délicate qu’aujourd’hui.

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