Stress test du consommateur

Bruno Cavalier, ODDO BHF

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La désépargne des ménages et l’expansion des marges des entreprises ne sont plus extrapolables.

L’économie mondiale a entamé l’année 2023 mieux que prévu. Le durcissement monétaire de la Fed, bien qu’exceptionnel, n’a toujours pas causé de récession aux Etats-Unis. La crise énergétique, qui menaçait l’Europe de graves pénuries l’hiver dernier, est à peu près oubliée. La reprise économique en Chine paraît assez poussive, mais ce faisant, elle ne provoque pas de sursaut des prix de matières premières. Les tensions d’inflation continuent de se modérer à l’échelle globale. La crainte d’une crise bancaire systémique qui avait apparu après la faillite de SVB s’est évanouie. Alors, tout va bien?

Jusqu’à présent, les consommateurs ont bien surmonté les chocs adverses car, au sortir de la pandémie, ils disposaient de liquidités très importantes et profitaient de conditions d’emploi rarement vues depuis des décennies. Ces soutiens n’ont pas disparu mais s’atténuent, tandis que des forces récessives tendent au contraire à s’amplifier. Dans les prochains trimestres, la résistance du consommateur sera mise à rude épreuve. Primo, l’excès d’épargne se normalise rapidement. Secundo, avec des marges qui donnent des signes de plafonnement, il est improbable que les entreprises restent aussi généreuses en termes d’emploi ou de salaires. Tertio, l’accès au crédit se tarit. Après le durcissement monétaire, c’est au tour de la politique budgétaire de commencer à prendre un virage restrictif.

Une résistance dû à la pandémie

On a coutume de dire qu’aux Etats-Unis, les phases d’expansion ont toutes été assassinées par la Fed. Dans chaque reprise, arrive toujours un moment où les signes de surchauffe se multiplient obligeant la banque centrale à durcir la politique monétaire. L’expansion qui a suivi la récession mondiale de 2020 avait tout pour être un nouvel exemple. On avait d’abord eu un fort stimulus budgétaire et monétaire. Avait suivi une inflation galopante. Enfin, les banquiers centraux avaient un peu partout relevé leurs taux directeurs à un rythme effréné. Mais de récession, point – du moins à ce jour. Certainement, les rythmes de croissance ont ralenti. Au premier trimestre 2023, le PIB réel mondial affichait un gain de 2,4% sur un an, ce qui est une valeur plutôt faible. La moyenne de 2015 à 2019 était de 3,6% par an. Dans les grandes zones, la croissance est tombée sous sa tendance prépandémie mais ce tassement n’a provoqué à ce jour ni destructions d’emploi, ni chute des profits, choses qu’on observe dans les phases de récession.

Les pressions en amont de la chaîne des prix ont disparu.

La résistance simultanée de l’emploi, des marges et de la demande tient aux perturbations consécutives à la pandémie. Ainsi, sont apparues des pénuries de main-d’œuvre. Ces derniers mois, les difficultés de recrutement ont baissé mais restent fortes. Les taux de chômage sont bas, les gains salariaux plus forts. Au même moment, les entreprises ont fait face à des chocs de demande positifs. Au début de la pandémie, tout le monde voulait des biens manufacturés, mettant sous tension l’appareil industriel. Dans la phase de réouverture, tout le monde voulait se rattraper sur les services de loisirs et de restauration. La répétition de ces chocs a rendu la demande moins élastique à la hausse des prix. Autrement dit, le pouvoir de fixation des prix des entreprises s’est accru. Enfin, les ménages ayant accumulé une épargne liquide quand leur mobilité était entravée, cela a servi d’amortisseur.

Un réalignement à venir

Désormais, les programmes ad hoc de soutien du revenu étant épuisés, la désépargne des ménages et l’expansion des marges des entreprises ne sont plus extrapolables indéfiniment. La tendance de la consommation devra alors se réaligner sur celle des revenus. Les pénuries d’offre et les goulets d’étranglements dans le transport, la logistique et même l’énergie sont surmontées. De ce fait, les pressions en amont de la chaîne des prix ont disparu. Dans une phase de normalisation de la profitabilité, il serait étonnant que les entreprises ne modèrent pas leurs dépenses. Avec une croissance économique sous son potentiel, un redressement des taux de chômage est probable. Enfin, les conditions de crédit n’ont cessé de se durcir depuis le virage restrictif des politiques monétaires.

Que peuvent faire les responsables de politique économique? Dans le champ budgétaire, la remontée des taux d’intérêt a ravivé les interrogations sur la dynamique de la dette. En Europe, en prévision de la remise en place l’an prochain de critères budgétaires, les gouvernements affichent une programmation budgétaire plus restrictive à moyen terme. Selon la Commission européenne, l’effort budgétaire approcherait presque un point de PIB en 2024.

Compte tenu des longs délais de transmission sur l’économie réelle, l’effet restrictif des politiques monétaires continue de croître. Il est convenu de reprocher aux banquiers centraux d’avoir tardé à réagir à la poussée d’inflation qui s’amorçait en 2021. Ne risquent-ils pas de faire l’erreur inverse en 2023? Constatant que la désinflation est moins rapide et homogène que souhaité, beaucoup d’entre eux sont désormais obsédés par l’inflation sous-jacente. Les indicateurs de ce type ont, il est vrai, peu reflué aux Etats-Unis, et même pas du tout en zone euro. Ils ont toutefois un caractère retardé. En faire l’alpha et l’oméga des choix futurs, c’est risquer d’avoir une politique monétaire trop restrictive alors que d’autres indicateurs plus avancés, tels les prix à la production ou les perspectives de prix de vente des firmes, sont en fort recul.

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