SPAC-taculaire – Weekly Note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

7 minutes de lecture

L’année dernière, les nouveaux chouchous des places boursières américaines se sont emparés du marché des capitaux en un rien de temps.

Les SPAC, ou sociétés «blancs seings», ont pris d’assaut le marché des introductions en bourse (IPO). Ces «Special Purpose Acquisition Compagnies» (sociétés d’acquisition à vocation spécifique) représentent près de 70% des IPO aux États-Unis cette année. D’où vient ce succès? Et qu’est-ce qu’il signifie pour les investisseurs? Nous exposons ce qui intéresse bon nombre d’entre eux actuellement et constatons que les SPAC stimulent également l’essor des placements thématiques. C’est donc à point nommé que mes collègues ont procédé, cette semaine, à une vaste mise à jour de notre évaluation stratégique des investissements dans le cadre des Supertrends que nous suivons depuis 2017.

1. Boom des SPAC: raisons de leur succès

Un nombre croissant d’investisseurs se demandent avec étonnement d’où vient le succès de ces entreprises. L’année dernière, les nouveaux chouchous des places boursières américaines se sont emparés du marché des capitaux en un rien de temps. Leur part insignifiante de 5% dans les introductions en bourse américaine a atteint plus de 50% en moins de six ans. Depuis le début de 2021, les quelque 100 milliards de dollars de capitaux que ces entreprises ont levés avec 300 IPO ont déjà dépassé le volume total de 2020 ainsi que la valeur cumulée de toutes leurs introductions en bourse réalisées ces trente dernières années. Impressionnant (voir le graphique 1)! Mais d’aucuns se demandent si ce succès ne reflète pas avant tout la pénurie générale de placements, voire les prémices d’une bulle boursière. D’autres, au contraire, s’interrogent sur le fait que les SPAC pourraient constituer des  innovations financières durables, donner un accès plus efficace aux marchés boursiers et procurer une réelle valeur ajoutée aux investisseurs. Voilà de bonnes questions. Quoi qu’il en soit, une telle performance mérite d’être saluée.

Fonctionnement d’une SPAC

De manière imagée, une SPAC est comparable à un «porte-monnaie» gonflé par une introduction en bourse (Initial Public Offering, IPO), qui est coté à l’avance par un promoteur qualifié. Elle a pour objectif commercial de rechercher et d’acheter une société qui n’est pas identifiée au préalable ni cotée et de la rendre publiquement négociable grâce à son acquisition.

Voici une brève description des sept étapes types de l’évolution d’une SPAC:

  1. Un promoteur qualifié établit un prospectus dans lequel il décrit l’opportunité offerte par la stratégie de placement (p. ex. nouvelle niche de marché, innovation technologique ou percée d’un secteur par rapport à la concurrence). Sur la base de ce prospectus, la SPAC peut (en tant que porte-monnaie vide) demander une introduction en bourse facilitée tout en levant en parallèle des capitaux auprès d’investisseurs intéressés.
  2. En général, le promoteur dispose d’un délai de 18 à 24 mois après l’entrée en bourse pour identifier une société cible appropriée. Pendant cette période, le capital est conservé sur un compte bloqué. Il est restitué aux investisseurs si la recherche échoue.
  3. Une fois qu’une société cible a été identifiée, le promoteur mène avec celle-ci des négociations concernant le montant de l’investissement et le prix. Ces négociations requièrent au final l’approbation des investisseurs initiaux de la SPAC.
  4. Dans la plupart des cas, pour réaliser l’investissement ciblé, la SPAC a besoin de capitaux supplémentaires qu’elle lève généralement au moyen de PIPE, c’est-à-dire de «Private Investments in Public Equity». Elle peut par exemple le faire auprès de caisses de pension ou de fonds d’actions qui souhaitent «co-investir» une partie de leurs actifs dans de telles opérations de private equity peu avant l’introduction en bourse.
  5. Pour pouvoir conclure la transaction, la SPAC a besoin de l’approbation des investisseurs initiaux dans l’IPO (non des investisseurs dans les PIPE) et l’obtient dans la grande majorité des cas. En présence d’un refus, elle est contrainte de rechercher une nouvelle société cible ou de rembourser le capital aux investisseurs au prorata.
  6. Après avoir obtenu toutes les approbations nécessaires, la SPAC peut fusionner avec la société cible. En règle générale, le promoteur obtient un siège au conseil d’administration de cette entreprise, dans laquelle le capital levé est désormais investi en totalité. En outre, la SPAC adopte la raison sociale de son acquisition et adapte son code ticker en conséquence. La société cible est ainsi cotée en bourse et ses actions sont désormais librement négociables.

Points à prendre en compte

Pour la société cible, l’opération de prise de participation conclue avec une SPAC présente des avantages importants, dont profitent également les investisseurs de la SPAC bien sûr. Premièrement et deuxièmement, la société cible connaît à l’avance le prix et le montant de la souscription, ce qui n’est pas le cas avec une introduction en bourse, dans le cadre de laquelle ces deux chiffres ne sont fixés qu’ultérieurement. Troisièmement, une SPAC offre une plus grande sécurité et rapidité de transaction, car son «porte-monnaie» est bien garni. Quatrièmement, elle apporte souvent son expérience du secteur concerné. Cinquièmement, cette IPO indirecte via une fusion n’est pas exempte de formalités, mais elle est beaucoup plus simple à réaliser qu’une introduction en bourse directe, laquelle est soumise à de nombreuses réglementations et peut exiger des investisseurs un examen nettement plus fastidieux des différents paramètres à prendre en considération.

Comme les SPAC ne disposent pas encore d’une base de valorisation lors de leur introduction en bourse, leurs actions sont généralement émises au prix forfaitaire de dix dollars américains. Après l’IPO, le cours de celles-ci peut bien sûr s’écarter de leur valeur intrinsèque. Par exemple, après que le célèbre investisseur américain Bill Ackman a introduit une SPAC au Nasdaq, l’action de cette dernière s’est d’abord négociée 50% au-dessus de sa valeur intrinsèque. Par la suite, cette prime s’est presque entièrement résorbée. Actuellement, deux tiers des SPAC non investies affichent même un cours inférieur à dix dollars, car la décision concernant la société cible est encore en suspens. Les investisseurs doivent donc également tenir compte du risque de fluctuation du cours en lien avec la prime et la décote.

Précisons en outre que les SPAC sont cotées principalement (mais pas exclusivement) aux États-Unis, le marché des capitaux le plus important et le plus axé sur l’innovation au monde. En Europe, les places de Londres et d’Amsterdam ont admis avec succès plusieurs SPAC à la cote, tandis qu’en Asie, les marchés boursiers de Hong Kong, de Singapour et de Tokyo, en particulier, s’efforcent de rattraper leur retard en ce qui concerne la cotation des SPAC.

La fusion récemment annoncée de «Grab»1 (société créée en 2012 en Asie du Sud-Est et homologue de l’entreprise américaine de covoiturage Uber) avec la SPAC de la société spécialisée américaine de private equity Altimeter Growth Corp. constitue peutêtre un exemple du genre.

Avec le soutien d’autres investisseurs PIPE, Altimeter Growth Corp. a l’intention d’investir un montant total de 4,5 milliards de dollars dans Grab d’ici à juillet 2021, la valorisation de cette société devant s’élever à quelque 40 milliards de dollars, un montant 40 fois supérieur environ à son chiffre d’affaires de 2020. Les deux entreprises ont approuvé la transaction2. 500 millions de dollars seront versés par la SPAC en question et quatre milliards proviendront des fonds privés du promoteur et d’un petit nombre de grands fonds «PIPE» qui ont souscrit des actions à 10 dollars l’unité. Le titre de la SPAC, qui sera négocié sous le code ticker «GRAB» une fois la fusion achevée, a déjà progressé de quelque 40% depuis l’annonce de la transaction, une hausse considérable en un rien de temps, ce qui devrait nous rappeler que les gros gains s’accompagnent toujours des risques correspondants.

En quoi les promoteurs de SPAC performants se distinguent-ils?

Les exemples montrent que le promoteur de la SPAC est crucial pour le succès de l’opération. Au final, une telle transaction se révèle être également une «affaire de personnes». Certains promoteurs sont des investisseurs professionnels en private equity, d’autres sont d’anciens cadres dirigeants disposant d’une grande expérience. Ce qui distingue les promoteurs performants, ce sont peut-être cinq qualités bien spécifiques: ils peuvent accéder de manière indépendante à des opérations intéressantes, ils possèdent souvent une expérience approfondie du secteur concerné, ils bénéficient d’une grande crédibilité et d’un profil apprécié, ils connaissent bien le marché des capitaux et ils entretiennent de bonnes relations avec des investisseurs de premier ordre.

Dans quels secteurs les SPAC investissent-elles?

Une étude de l’affiliation sectorielle des SPAC met d’emblée en évidence que bon nombre d’entre elles investissent actuellement dans des modèles commerciaux disruptifs ou numériques des secteurs de l’informatique, de l’électromobilité, des technologies de la santé ou encore des technologies financières (voir le graphique 3).

Du «boom» à «l’éclatement»?

Des succès mais aussi des échecs parmi les SPACS attirent actuellement l’attention. Ces entreprises revêtent des risques particuliers, non seulement en raison de réglementations moins strictes en matière de transparence, mais aussi en raison de la stratégie disruptive de certaines sociétés cibles. Lorsqu’une entreprise relativement jeune vient défier un concurrent bien établi, elle peut soit «crever le plafond», soit «foncer dans le mur». En d’autres termes, personne ne peut prédire quel challenger réalisera réellement ses ambitieux objectifs commerciaux. La diversification offre la meilleure protection contre de tels risques.

Le magazine The Economist a récemment comparé les business plans de 50 sociétés qui ont annoncé ou réalisé une fusion avec des SPAC3. Ces entreprises, dont près de la moitié sont encore déficitaires, génèrent au total un bénéfice d’environ un milliard de dollars américains. Si l’on en croit leurs estimations de bénéfices, ceux-ci devraient être multipliés par 15 au cours des deux prochaines années pour atteindre 15 milliards de dollars. Faut-il prendre ici ses désirs pour des réalités? Probablement, du moins dans certains cas. Autre exemple: que devons-nous penser lorsque cinq des huit entreprises de mobilité électrique qui fusionnent actuellement avec des SPAC prévoient chacune de faire passer leur chiffre d’affaires de zéro à plus de 10 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années? Il n’est pas étonnant que, selon le Wall Street Journal, la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis ait récemment demandé à un producteur de solutions de conduite autonome (Ouster Inc.) comment il comptait élever son chiffre d’affaires prévisionnel de 12,5 millions de dollars actuellement à près de 1,6 milliard d’ici à 2025.4

Bien que ces exemples ne permettent pas de généralisation, ils montrent que le point de bascule entre le succès et l’échec des SPAC peut être infime. Même les recommandations de placement de personnalités renommées ne sont pas un gage de performance, cela va de soi. Le 10 mars 2021 pourtant, la SEC a estimé nécessaire de prévenir les investisseurs qu’ils ne devaient pas suivre sans réfléchir les recommandations de célébrités telles que des stars de cinéma, des musiciens ou des athlètes5. Le document précise textuellement: «It is never a good idea to invest in a SPAC just because someone famous sponsors or invests in it or says it is a good investment.» (Il n’est jamais judicieux d’investir dans une SPAC simplement parce qu’une personne célèbre la parraine, y investit ou dit qu’il s’agit d’un bon placement.)

Le nouveau président de la SEC, Gary Gensler, qui s’est déjà fait un nom en tant que président de l’autorité américaine de régulation du commerce des matières premières, a également souligné l’importance d’un cadre réglementaire strict. Dans un document de base très remarqué sur la récente vague  d’introductions de SPAC en bourse, la SEC a insisté sur le fait qu’elle ne prenait position ni pour ni contre ces entreprises, rappelant que les facteurs déterminants étaient plutôt la transparence, l’application de règles identiques à des transactions comparables et l’information des investisseurs6.

2. Placements thématiques: leur lien avec les SPAC

La progression des SPAC reflète en fin de compte l’importance croissante accordée aux placements thématiques dans l’allocation stratégique des actifs. C’est peut-être là que réside la plus grande différence entre les décisions d’investissement prises avant et après la crise. La pandémie, qui a affecté et continue d’affecter presque tous les aspects de l’économie, de la politique, de la société, de l’environnement, de la nature et de la vie privée, constitue un catalyseur de poids pour les placements thématiques. Certains Supertrends, comme la numérisation de l’économie, les conséquences du changement climatique ou le développement des infrastructures à l’échelle mondiale, dépassent généralement le cadre des secteurs d’activité ou des pays individuels. Et ce sont également eux qui suscitent un intérêt grandissant pour les SPAC. En effet, la plupart des entreprises ciblées par ces dernières se servent elles aussi d’idées commerciales innovantes pour transcender les frontières nationales et sectorielles.

Caveat emptor

Quoi qu’il en soit, il n’y a pas de «repas gratuit» sur les marchés boursiers. Deux aspects sont généralement déterminants pour un placement: le prix et le succès commercial de la société cible. Tout investisseur conscient des risques doit examiner ces deux facteurs clés. Au final, l’expression juridique romaine «caveat emptor» (que l’acheteur soit vigilant) décrit également la bonne manière d’aborder les SPAC.

Cette maxime est d’ailleurs particulièrement vraie dans leur cas. En effet, les SPAC, en tant que placements individuels, revêtent souvent des risques similaires à ceux des options, lesquelles obéissent au principe du «tout ou rien». Ces entreprises sont sans aucun doute susceptibles d’améliorer la diversification des actifs, mais ne peuvent pas la remplacer. En d’autres termes, il est possible de leur faire jouer le rôle de «satellites» dans une approche «core-satellite».

Les investisseurs pourront néanmoins effectuer des placements plus durables et peut-être plus performants avec des solutions collectives et thématiques telles que les fonds à thème dans le cadre de Supertrends, comme nous les recommandons depuis plusieurs années.

Précieuse innovation financière

Si elles sont bien conçues, les SPAC constituent de fait une précieuse innovation financière. Grâce au prix ferme, à la rapidité et à la flexibilité entrepreneuriale qu’elles offrent, elles stimulent la concurrence sur le marché des capitaux et procurent des opportunités aux investisseurs, autant de facteurs qui sont favorables pour la compétitivité d’un pays, de son économie et de sa société.

3. Investissements performants: les Supertrends plus importants que jamais

Cette semaine, ma collègue Nannette Hechler-Fayd’herbe et son équipe ont actualisé l’analyse stratégique des investissements des six Supertrends que nous suivons de manière attentive depuis 2017. Je vous recommande vivement la lecture de cette importante publication7. Elle explique de façon convaincante et fondée pourquoi bon nombre de ces placements thématiques procurent non seulement des avantages financiers, mais créent une valeur ajoutée à la fois supérieure et durable pour la société et les générations futures. Tout en espérant que de nombreuses SPAC ouvrent des portes à de jeunes entreprises respectables qui contribuent à rendre l’économie plus compétitive et plus durable, nous réitérons notre recommandation de base aux investisseurs suisses: à savoir opter pour des placements thématiques stimulés par des Supertrends.

À présent, je prends congé de vous pour une semaine. En raison de la fête de l’Ascension, la prochaine lettre d’information paraîtra le vendredi 21 mai.

 

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