Souverain, mais néanmoins durable

Ophélie Mortier, DPAM

3 minutes de lecture

Les emprunts d’Etat sont en mesure de répondre aux objectifs et contraintes des portefeuilles durables.

Nul ne peut nier l'importance des obligations souveraines dans la construction d’un portefeuille équilibré. Pourtant, malgré le rôle central que les emprunts d’Etat sont susceptibles de jouer dans le financement d’une croissance durable et inclusive, le régulateur européen ne s’y intéresse guère. Pour quelles raisons?

Une approche durable qui exclurait les emprunts d’Etat ne paraît guère admissible et l’absence de réglementation précise et détaillée à leur propos ne doit pas être une excuse pour s’en tenir au statu quo. Ces constats plaident plutôt en faveur d’une stratégie rigoureuse et crédible qui permette de replacer les émetteurs souverains au sein de l’ensemble des participants au développement durable, au même titre que les émetteurs privés. La classification des emprunts d’Etat en fonction des critères ESG établis par la Commission européenne fait actuellement l’objet d’un vif débat.

Du difficilement mesurable

En premier lieu, il s’agit d’évaluer dans quelle mesure ces emprunts présentent des caractéristiques ESG, favorisent le développement d’une économie durable, voire affichent explicitement des objectifs environnementaux ou sociétaux. En effet, les obligations souveraines se situant hors du champ d’application de la taxonomie européenne, elles ne peuvent pas, d’un point de vue purement technique, prétendre viser les objectifs définis par cette taxonomie.

Par ailleurs, les «principales incidences négatives»(1) applicables aux emprunts d’Etat sont en nombre limité (sur les 16 indicateurs obligatoires, deux seulement sont spécifiquement applicables aux actifs souverains et supranationaux) et sujets à interprétation (concernant le sociétal, on peut lire: «pays d’investissement soumis à des violations sociales»).

Enfin, pour les investisseurs soumis à la directive MIFID, comment sont-ils susceptibles d’exprimer leurs préférences en matière de durabilité? Bien que, pour une multitude de raisons, les emprunts d’Etats doivent être reconnus à part entière comme des instruments de financement d’une économie durable et inclusive, il paraît difficile de distinguer et mesurer les objectifs environnementaux et sociétaux d’un pays, sans même parler de définir les KPI idoines.

Mais des états néanmoins engagés

En tant que classe d’actifs, les emprunts d’Etat restent un pilier essentiel des portefeuilles institutionnels.  De plus, si dans le cadre des Objectifs de Développement Durable (ODD) puis à leur suite dans celui des objectifs du développement pour le millénaire (OMD), le secteur privé a été appelé à compléter les financements publics, il en ira de même pour le développement durable où privé et public doivent être reconnus comme des contributeurs à part entière à cette cause. Le secteur privé serait en effet à lui seul dans l’incapacité de subvenir à tous les besoins de la durabilité.

Répartition des actifs liquides en volume (1000 milliards d’euros)

Source: Montants exprimés en 1000 milliards d’euros (au 30 juin 2022), calculés à partir de la valeur de de marché des indices suivants (sans ajustements) : Dow Jones US Total Stock Market Index, MSCI World Excluding United States Index, MSCI Emerging Markets Index, Global Global Inflation Linked Index, Bloomberg Barclays Global Aggregate Index, Bloomberg Barclays EM Local Currency Government Index, Bloomberg Barclays EM Hard Currency Aggregate Index, Bloomberg Barclays Global High Yield Index

 

Enfin, la majeure partie des Etats s’étant formellement engagés à satisfaire aux objectifs 2030, que ce soit au travers des 17 ODD des Nations Unies ou par la signature de l’Accord de Paris en faveur d’une transition équitable vers une économie bas carbone, il paraît tout à fait naturel que ces Etats adaptent leurs émissions obligataires en conséquence.

Les outils d’une construction durable

Un portefeuille d’emprunts d’Etats constitué sur la base d’une approche rigoureuse de l’investissement responsable peut et doit donc servir à promouvoir durablement les objectifs environnementaux et sociétaux. Mais comment construire un tel portefeuille?

L’évaluation de l’état d’avancement des différents pays peut être effectuée par le biais d’un modèle d’analyse robuste et celle des forces et des faiblesses de chacun d’entre eux ainsi que de leurs progrès résulte de l’engagement et du dialogue. De plus, dès lors que les 17 ODD sont intégrés en amont du processus d’investissement, le portefeuille est «naturellement» appelé à s’aligner sur les objectifs de développement durable des Nations Unies.

Des critères mesurables et de l’engagement

Au niveau du portefeuille, la définition précise de critères environnementaux, sociétaux ou de gouvernance permettra d’évaluer l’impact des décisions d’investissement. Ces critères devront être mesurables, comme par exemple au titre de l’environnement, l’empreinte carbone ou les efforts de décarbonisation d’un pays, au titre sociétal, les efforts fournis pour encourager le respect des droits de l’homme ou du droit du travail, ou encore au titre de la gouvernance, les efforts de lutte contre la corruption ou en faveur du respect des droits civils et des libertés individuelles.

Les obligations vertes et instruments assimilés sont bien évidemment dédiés à la promotion d'objectifs environnementaux ou sociétaux. Ces derniers sont clairement définis et la progression dans leur direction peut être suivie pas à pas, de l’émission de l’obligation et jusqu’à son échéance, du moins lorsqu’il s’agit d’un titre qui répond effectivement à tous les critères d’un emprunt vert, y compris une définition claire de l’utilisation des produits de l’émission (critères d’éligibilité des affectations, processus de décision), transparence et régularité de l’information, attestation de seconde opinion et certification de bonne allocation des flux.

Il convient enfin de mentionner l’engagement, une pratique qui se situe au cœur de l'investissement durable. C'est en effet au travers de l'engagement que les échanges sur les meilleures pratiques ont lieu. C'est également par l'engagement que les gouvernements sont sensibilisés aux questions de durabilité. Il est essentiel que les investisseurs en dette souveraine démontrent à quel point les critères ESG sont essentiels pour attirer les investissements.

 

 

(1) Au sein de la réglementation SFDR qui vise à améliorer la transparence des produits financiers sur le plan de la durabilité, les «principales incidences négatives» (PAI) cherchent à mesurer les éventuels impacts négatifs d’un investissement. Les PAI comptent 16 indicateurs dont les acteurs des marchés financiers sont tenus de rendre compte.

A lire aussi...