De la sélection des valeurs de substance

Laurent Van Tuyckom, DPAM

3 minutes de lecture

Le marché actions reste un terreau fertile pour une sélection de valeurs de substance et à dividendes élevés.

En janvier dernier, le consensus estimait que les perspectives de croissance étaient meilleures qu'elles ne l'avaient été depuis longtemps en Europe: les taux de chômage étaient particulièrement bas, les entreprises s’apprêtaient à augmenter leurs dépenses d’investissement et, au niveau de l’UE, les politiques des pouvoirs publics étaient généralement bien orientées, notamment sur les fronts du numérique et du changement climatique. Dans les pays occidentaux, la fin de la plupart des restrictions liées à la covid et l’accumulation de l’épargne des consommateurs devaient induire un rattrapage rapide de la demande de services. En outre, le rééquilibrage entre mesures monétaires et fiscales était censé favoriser la réduction des inégalités. Ce «cocktail» aurait dû être particulièrement favorable aux titres cycliques et aux titres «value». Aussi pouvait-on sans surprise constater fin février qu’un vaste mouvement de rotation vers ces titres s’était produit.

Après avoir connu une forte progression, le secteur pharmaceutique affiche une prime record par rapport au marché européen en matière de valorisation.

Cependant, quelques semaines plus tard, l'invasion de l'Ukraine par la Russie ainsi que les annonces et mesures restrictives des banques centrales ont modifié la donne. Quelles informations tirer des données des marchés actions?

La performance du secteur pharmaceutique, généralement le secteur plus négativement corrélé à l’indice ISM des nouvelles commandes manufacturières, est fréquemment considérée comme un bon indicateur du stress du marché. Or, après avoir connu une forte progression, ce secteur affiche une prime record par rapport au marché européen en matière de valorisation. A première vue, cela fait déjà un certain temps que l’on observe une amélioration des fondamentaux d’un certain nombre d’entreprises pharmaceutiques. Cependant, la récente réévaluation du secteur résulte de la conjonction de différents événements d’ordre macroéconomique.

Par ailleurs, la plupart des cycliques aux caractéristiques «value» à l’exception des matières premières, ont fortement corrigé, certaines d’entre elles s’échangeant à des cours proches des plus bas atteints durant la pandémie. Dans le secteur industriel, certains titres «value» souvent plus sensible aux variations du cycle économique se sont même rapprochés de leur plus bas historique, malgré le fait que les entreprises bénéficient d’une amélioration structurelle de leur mix d’activités (augmentation de la contribution au chiffre d’affaires d’activités de service récurrentes et plus rentables qui remplacent la fourniture d’équipements plus volatile et moins intéressante sur le plan des marges) ainsi que de courants favorables sur le plan des revenus (dépenses d’investissements liées à la numérisation et au changement climatique). En Europe, les performances des valeurs cycliques non financières évoluent dans l’ensemble en ligne avec celle de l’indice ISM augurant d’une récession. Enfin, comme le montrent les contrats à terme sur dividendes, un certain nombre d’investisseurs institutionnels commencent à s'interroger sur le caractère durable des projections de dividendes des entreprises cotées sur le marché européen.

Que s'est-il passé et quel sens donner à ces évolutions?

Il est indéniable que l’invasion russe a contribué à attiser une inflation déjà bien présente, notamment dans les secteurs miniers et des engrais ainsi qu’au niveau des chaînes d’approvisionnement. C’est également un fait avéré qu’en Europe en particulier, la croissance est fortement dépendante de l'approvisionnement en gaz russe. La confiance des agents économiques ayant été ébranlée, il convient donc de s'attendre à une décélération de la croissance du PIB dans le courant de l’année 2022.

Un nombre tout à fait décent de titres du segment à dividende élevé paraissent bien positionnés (bilans et marges saines et ratios de distribution raisonnables) pour faire face à des scénarios difficiles.

De plus, venant s’ajouter aux difficultés d’approvisionnement, aux pressions inflationnistes induites par les hausses des matières premières et bientôt celles des coûts du travail, le durcissement quasi général des conditions de crédit contribuera à la compression de la rentabilité des entreprises et à un recul de la demande au cours des trimestres à venir. Cela finira par amener à réviser à la baisse les perspectives de bénéfices des titres les plus cycliques. Cependant, à l’heure actuelle, il n’est guère question de procéder à de telles révisions: la publication des résultats du premier trimestre qui vient de démarrer semble en effet confirmer la robustesse des bénéfices (hors matières premières où les révisions positives des bénéfices a été particulièrement favorable).

Cependant, en dépit d’une faible visibilité sur le plan macroéconomique et de nouvelles turbulences qui pourraient affecter le marché et en particulier les valeurs cycliques, il convient de garder à l’esprit que les occasions les plus intéressantes se présentent toujours à un moment où l’incertitude atteint son apogée (souvenons-nous des mois de mars 2009 et 2020). Encore faut-il avoir préalablement procédé à une analyse minutieuse des fondamentaux des entreprises, la solidité des bilans et la capacité à générer de la trésorerie de manière pérenne étant des facteurs essentiels en phase de stress. En Europe, pour autant que des risques extrêmes ne viennent pas se concrétiser (pensons par exemple à un scénario de rationnement du gaz), une récession paraît improbable à court terme. En revanche, un ralentissement économique semble plausible. Certains titres des secteurs industriels et des matériaux aux valorisations proches de leurs plus bas historiques semblent déjà tenir compte de ces perspectives plutôt sombres. Il en résulte une asymétrie intéressante.

Plutôt que de tenter d'anticiper l’évolution de l’économie, le gérant centré sur les titres à dividendes élevés devrait se focaliser sur le réexamen et la validation des fondamentaux des entreprises cycliques dont les valorisations sont proches de leur point bas et qui intègrent déjà dans leurs cours des perspectives bénéficiaires moins favorables. Le but d’un tel exercice est de s'assurer que, dans la majorité des scénarios, la capacité à verser des dividendes pourra être préservée. De ce point de vue, il y a quelques bonnes nouvelles : un nombre tout à fait décent de titres de ce segment à dividende élevé paraissent bien positionnés (bilans et marges saines et ratios de distribution raisonnables) pour faire face à des scénarios difficiles.

Parce qu’ils n’aiment pas l’incertitude, les marchés sont enclins à passer rapidement d’un extrême à l’autre sur le plan des valorisations. Cependant, une valorisation attrayante ne suffit pas à faire un bon investissement. En revanche, une approche de sélection de titres s’appuyant sur une analyse détaillée des fondamentaux combinée à une discipline stricte en matière de valorisation est susceptible de mettre en évidence un rapport risque/rendement intéressant à moyen terme, à savoir un potentiel de hausse de cours asymétrique, en particulier pour les segments de marché affectés par un pic d’incertitude.

A lire aussi...