Sans précédent – Weekly note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

7 minutes de lecture

Tsunami boursier: ce qui rend la crise si complexe. Récession: quelle aide attendre des mesures budgétaires? Confiance: facteurs favorables à une reprise rapide.

Le coronavirus a infecté les marchés financiers du monde entier, y déclenchant un tsunami sans précédent. Il est tristement ironique que l’économie mondiale, qui se portait relativement bien avant la situation d’urgence déclenchée par la pandémie, semble à présent dépendre des perfusions et des appareils respiratoires de la politique monétaire et budgétaire. Néanmoins, elle pourra puiser dans sa santé antérieure les forces qui lui permettront de récupérer dès que l’état d’urgence sera levé et l’épidémie jugulée. Tout investisseur faisant preuve d’endurance aujourd’hui en tirera profit demain. En effet, malgré le raz-de-marée de mauvaises nouvelles, il existe des facteurs favorables à une reprise. Les tourmentes ont des répercussions étonnantes. En dehors d’une situation d’urgence, elles induisent aussi des phénomènes positifs: une solidarité, une estime et une flexibilité politique qui semblaient impensables auparavant. Et dans son heure la plus sombre, la crise actuelle – comme toutes les crises – va créer elle aussi des opportunités dont rêvent les investisseurs axés sur les titres de valeur. Mais d’ici là, les regards resteront rivés sur les taux de contamination.

Tsunami boursier: ce qui rend la crise si complexe

La situation actuelle sur les marchés financiers est sans précédent. Ce n’est pas un krach normal mais un tsunami de peur. Peur d’un virus contagieux qui est bénin dans la plupart des cas mais qui a induit la prise de mesures inédites et la déclaration de l’état d’urgence national, plongeant les pays occidentaux en territoire inconnu. Rien d’étonnant à ce que l’indice de volatilité (VIX) ait enregistré son plus haut historique cette semaine, sous l’effet d’un enchaînement complexe de réactions, de contre-réactions et de nombreux contrecoups. 

Il faudra qu’au moins l’un des trois agents incendiaires, à savoir 1) la peur, 2) les nouvelles contaminations et 3) l’urgence économique, baisse en puissance pour que les marchés boursiers trouvent un plancher, avec des sous-valorisations extrêmes. Personne ne peut dire avec précision quand cela se produira. Peut-être ce point est-il déjà atteint, peut-être le sera-t-il dans quelques jours ou dans plusieurs semaines seulement. C’est le flou total. Nous savons néanmoins que les responsables des politiques monétaire et budgétaire – en dehors des entreprises concernées elles-mêmes – vont mettre en œuvre des mesures de soutien sans précédent. Et il est également évident que l’état d’urgence ne sera levé que lorsque le taux de nouvelles contaminations reculera. La distanciation sociale et le fait de se laver les mains contribueront à cette évolution. La patience reste néanmoins de mise. Mais nous tiendrons le coup. Que faire d’autre?

Et pourtant, il y a également de bonnes nouvelles: par exemple, le secteur financier a relativement bien supporté jusqu’ici l’énorme pression qui pèse sur lui. A la différence de la crise financière de 2008, il ne constitue pas le problème mais une partie de sa solution. C’est ce que signalent les niveaux globalement faibles de ses risques de marché, ses importants volumes de fonds propres, ses réserves plutôt abondantes de liquidités et la continuité opérationnelle de ses activités, autant de facteurs positifs qui distinguent la situation actuelle de celle de l’époque. Ces derniers permettent d’espérer qu’une fois la pandémie endiguée, l’économie et les marchés boursiers pourront se redresser rapidement, en affichant une croissance en «V».

Récession: quelle aide attendre des mesures budgétaires?

Y avez-vous déjà pensé? C’est aujourd’hui, vendredi 20 mars, que débute officiellement le printemps. Le jour est à nouveau aussi long que la nuit, et sera même plus long très bientôt. Et c’est précisément pendant la semaine de décret de l’état d’urgence en Suisse que le soleil nous a réconfortés de ses rayons presque partout. Malheureusement, l’ambiance générale n’est pas celle de l’éveil du printemps, bien au contraire. La pression que subissent le système de santé et la société ainsi que la fermeture de nombreuses entreprises représentent une menace et se transforment déjà en catastrophe pour certains. Les investisseurs se posent bien entendu toutes sortes de questions: quel abîme attend encore les marchés boursiers? Quand et sous quelle forme peut-on espérer une reprise? Combien de temps faudra-t-il pour surmonter ou compenser les dommages économiques? Comment les investisseurs doivent-ils se comporter?

J’aimerais exposer quelques réflexions à ce sujet, sachant bien sûr qu’elles n’apportent pas des réponses capables de dissiper tous les doutes. 

La peur remédie-t-elle à la peur?

C’est ce qu’il semble, car sans crainte de la contamination, notre comportement individuel et social ne s’adapterait que lentement. A présent, tous sont vigilants, observent les distances prescrites ou travaillent à domicile dans la mesure du possible. C’est le premier pas important vers la stabilisation des taux de contamination. Dès que la courbe de ceux-ci s’aplatira, les marchés boursiers pourraient ressentir l’éveil du printemps. C’est une réflexion plausible, mais qui soulève la question de l’évolution de la pandémie.

Comment la pandémie va-t-elle évoluer?

En dépit de toutes les mesures de précaution, le COVID-19 semble continuer à se propager rapidement, un phénomène auquel il fallait bien sûr s’attendre étant donné la longue période d’incubation d’une à deux semaines. D’aucuns affirment que l’Italie a pris une avance involontaire de dix à quinze jours sur le reste de l’Europe et sur les Etats-Unis, nous montrant ainsi ce qu’il est susceptible de se produire ou ce que nous pouvons encore prévenir. La nouvelle réconfortante, c’est que les récentes mesures mises en place en Suisse et dans l’UE ont été prises de manière relativement précoce. Elles contribuent à gagner du temps et il faut espérer qu’elles permettront d’éviter une surcharge similaire du système de santé.

En Chine, à Singapour et en Corée du Sud, le taux de contamination a été inférieur à 1% de la population, les symptômes de la maladie se sont révélés modérés dans plus de 80% des cas, et les décès sont restés inférieurs à 2%, concernant presque exclusivement les groupes à risque. En Europe et aux Etats-Unis, les gouvernements s’attendent à des taux de contamination nettement supérieurs et estiment qu’un recul de leur progression interviendra dans un à deux mois, tandis que la mortalité pourrait atteindre 2%, se limitant principalement aux groupes à risque. Les systèmes de santé nationaux sont préparés de manières très variables à la situation (la Suisse semblant relativement bien parée), mais la crainte de devoir faire face à une détresse comme celle qui frappe l’Italie actuellement induit la prise de mesures de prévention sans précédent à l’échelle mondiale.

Certains virologues supposent que c’est dans l’hémisphère nord, entre les 30e et 50e parallèles, et par temps froid que le virus trouve les conditions «idéales» pour se propager. Cette hypothèse est néanmoins controversée. Si elle s’avérait, le printemps qui débute aujourd’hui devrait favoriser l’endiguement de la pandémie. Mais cela reviendrait à prendre nos désirs pour des réalités.

Et l’économie?

Il serait insensé de vouloir établir des prévisions ponctuelles étant donné la confusion qui règne entre l’état d’urgence national, le krach boursier et le manque de liquidités se profilant à l’horizon pour certaines entreprises. Il semble en revanche plus judicieux de réfléchir sur la base de scénarios. Il ne fait ainsi guère de doute que l’état d’urgence et l’immobilisation de l’économie européenne et américaine correspondent à une récession. 

Reste à savoir quelle sera la durée du choc économique et à quelle rapidité l’économie pourra se redresser une fois que la vie sociale se sera normalisée. Réponse: ça dépend. Bien des choses seront conditionnées par l’efficacité du soutien budgétaire apporté aux entreprises souffrant d’un manque de liquidités. Selon le consensus du marché, la croissance pourrait se contracter de 4 à 6% (sur une base annualisée) au deuxième trimestre. Dans l’idéal, l’économie redémarrera à partir de l’été déjà. Cette année, les bénéfices des entreprises pourraient reculer de 15 à 20% en moyenne. Mais les écarts sont susceptibles d’être gigantesques entre la moyenne et les cas individuels. C’est pourquoi une bonne diversification restera indispensable pendant la phase de reprise également.

En outre, il est fort probable que les mesures de restructuration prises actuellement par les entreprises en raison de la crise renforceront leur productivité en 2021.

Confiance: facteurs favorables à une reprise rapide

En dépit du tsunami actuel sur les marchés boursiers, n’oublions pas qu’il existe des facteurs très favorables à un redressement conjoncturel dès l’été, à condition que la pandémie soit réellement endiguée:

  1. Malgré l’effondrement de la bourse, le secteur financier – contrairement à 2008 – se profile en pôle de stabilité. Il constituera probablement même une partie de la solution permettant de surmonter la récession, non le problème. Il s’agit là d’une différence capitale par rapport à l’époque. Le fait qu’il ait pu gérer la pression des récents dégagements sans instabilité systémique démontre sa résistance. Rien d’étonnant à cela puisqu’il s’est préparé pendant les onze dernières années à une crise de ce genre. Les banques disposent de volumes records de fonds propres et d’importantes réserves de liquidités. En outre, elles ont considérablement réduit leurs risques de marché directs depuis 2008 et amélioré leurs garanties de crédit. La forte pression subie actuellement par leurs actions s’explique – à la différence de l’époque – non par un manque de solvabilité, mais par les préoccupations quant à leur rentabilité en période de taux d’intérêt négatifs. Mais si notre vie revient à la normale, les taux extrêmes devraient se normaliser eux aussi.
  2. Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, la politique monétaire dispose d’«armes» en quantité suffisante, même dans un environnement de taux négatifs. En comparaison de l’importance de leurs économies nationales respectives, la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) affichent un bilan correspondant au maximum au tiers de la taille relative de celui de la Banque nationale suisse ou de la Banque du Japon. Ce seul fait explique pourquoi la Fed et la BCE disposent de ressources théoriquement presque illimitées leur permettant, en dernier recours, de briser la spirale de la peur par des achats d’obligations ou d’actions.
  3. L’ironie de la situation est indéniable: en effet, la plupart des banques centrales ont été créées en vue de financer les guerres. Or, selon les propos tenus par le président français Emmanuel Macron, nous livrons aujourd’hui la guerre à la pandémie. C’est également dans ce sens que va le «Programme d’achat d’urgence en cas de pandémie» récemment annoncé par la BCE, lequel pourrait indirectement inciter des Etats et des entreprises à émettre des «emprunts de pandémie» (à l’instar des «emprunts de guerre» de jadis). De telles déclarations montrent que l’actuelle politique budgétaire est prête et disposée à faire tandem avec les banques centrales, ce qui constitue une différence appréciable par rapport à la crise de 2008. A l’époque, les banques faisaient office de boucs émissaires. Voilà pourquoi les mesures budgétaires avaient été décorrélées autant que faire se peut des mesures monétaires. Les moyens mis en œuvre pour surmonter cette crise financière avaient été fortement controversés sur le plan politique. Ce n’est pas le cas aujourd’hui dans la lutte contre la pandémie et l’urgence économique. C’est pourquoi il faut s’attendre à une réponse budgétaire beaucoup plus énergique qu’à l’époque.
  4. Le fait que l’Allemagne, un pays conservateur en matière de politique financière, puisse débloquer des aides d’urgence monumentales de 550 milliards d’euros (soit presque un tiers de toutes les dettes des entreprises selon les chiffres du Fonds monétaire international (FMI)) a ouvert la voie pour les autres pays de l’UE. Et il ne fait aucun doute que les discussions vont bon train dans toutes les capitales à propos de thèmes tels que la poursuite du versement des salaires par l’État, les garanties de crédit pour les PME, la mise en place d’infrastructures pour le système de santé et l’économie numérique, sans oublier l’«hélicoptère monétaire». Des paquets de soutien suivant le principe «whatever it takes» (quoi qu’il en coûte) sont en préparation partout. Ils aideront très certainement l’économie à récupérer après l’endiguement de la pandémie.
  5. Comme les ménages étaient en bonne santé économique avant la crise, la consommation privée pourrait en principe se redresser rapidement dès que l’état d’urgence sera levé et que la vie reprendra son cours normal.
  6. L’effondrement du prix du pétrole constitue un choc pour le secteur de l’énergie et ses sous-traitants, mais il permet aux consommateurs (des ménages privés jusqu’aux compagnies aériennes) de faire une économie inespérée d’un milliard de francs par jour à travers le globe, selon les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie concernant la consommation mondiale de pétrole en 2020.
  7. La quote-part de l’Etat relativement élevée dans les pays européens et le poids du secteur des services vont absorber le choc économique. La quote-part officielle est de 32% seulement en Chine (un taux probablement sous-estimé). Selon les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement (OCDE), elle est de 34% en Suisse, 38% aux Etats-Unis, 44% en Allemagne, 50% en Italie, 57% en France et 46% dans l’UE. Il est probable que les pays affichant une quote-part importante pourront plus aisément soutenir les pans de leur économie se trouvant en difficulté.
  8. La politique budgétaire est seulement exposée à des contraintes politiques, mais pas financières. Actuellement, (presque) tous les pays occidentaux peuvent se refinancer gratuitement pour ainsi dire. Il est probable que dans le cas d’une tourmente comme celle que nous traversons, chaque État dérogera à ses règles budgétaires, du moins temporairement, pour faire face à l’urgence, même s’il doit provoquer ainsi une surchauffe conjoncturelle après la crise. Il s’agit là d’un sacrifice bon marché lorsque les temps sont difficiles.
  9. D’extrêmes sous-valorisations créent un plancher en cas de krach. En l’espace de trois semaines, la plupart des indices directeurs ont perdu plus de 25% par rapport à leurs sommets. Aujourd’hui déjà, bon nombre d’entreprises cotent nettement en-dessous de la valeur de leurs actifs. Les dégagements massifs offrent un vaste choix aux investisseurs disposant de liquidités et axés sur les titres de valeur, car ceux-ci finiront tôt ou tard par trouver un plancher.
  10. Sur les marchés obligataires, les taux à long terme ont à nouveau augmenté ces derniers jours, passant de -1% à -0,4% selon Bloomberg. Ce phénomène a probablement deux causes. D’une part, il y a les ventes forcées, sachant que celles-ci n’émanent pas du secteur bancaire mais d’investisseurs non réglementés. D’autre part, et c’est encore plus important, les annonces d’énormes paquets d’aide ont immédiatement propulsé les rendements à long terme à la hausse. Est-ce que cela traduit l’espoir de voir poindre le printemps? Qui sait? Un contexte d’urgence peut en effet avoir des répercussions étonnantes.
  11. Enfin, une comparaison de tous les grands krachs de l’histoire (2008, 2001, 1987, 1974, 1949, 1929) met en évidence que la situation s’est nettement redressée dans les six à douze mois qui ont suivi, pratiquement sans exception. Cette étude des crises antérieures rappelle le bon mot d’Oscar Wilde: «A la fin de l’histoire, tout s’arrange. Si tout n’est pas arrangé, c’est que ce n’est pas encore la fin.»

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