Un grand nombre de process d’allocation d’actifs reposent sur une approche cyclique. Pour schématiser: «Dis-moi dans quelle phase du cycle économique nous sommes et je te dirai quels sont les actifs à surpondérer». Ainsi, il est classique de surpondérer les obligations en fin de cycle, à l’approche d’une récession et de surpondérer les actifs réels, dont les actions, en début et milieu de cycle.
Cela n’a bien sûr jamais été aussi facile à faire qu’à écrire. En particulier, identifier la phase cyclique d’une économie à un moment donné n’a jamais été simple. De plus, la valorisation des actifs financiers évolue indépendamment de la position cyclique, et la prise en compte de cet élément brouille souvent les pistes.
Il semble cependant qu’une série de difficultés supplémentaires majeures, sont venues s’ajouter à celles du passé:
- la coexistence de plusieurs cycles distincts au sein d’une même économie
- les divergences structurelles qui s’accentuent entre les grandes zones économiques
- la concentration des grands indices actions qui a pour conséquence que ceux-ci reflètent de moins en moins l’économie dans son ensemble.
Pour illustrer le premier point, prenons l’exemple de l’économie américaine de ces dernières années.
- Le cycle d’inflation a été déterminé par les restrictions d’offre provenant des difficultés des chaines d’approvisionnement pendant et après la pandémie
- Le cycle d’activité économique a été déterminé en large partie par les aides publiques
- Le cycle du marché de l’emploi a suivi une logique sanitaire et non économique
- Il n’y a pas eu de cycle de crédit. Le taux de défaut des entreprises étant reste globalement stable
- Il n’y pas eu véritablement de cycle de profits, les entreprises ayant réussi à compenser par leurs marges à la fois l’inflation et les fluctuations d’activité
- Le cycle monétaire était extrêmement inhabituel. Les grandes économies sortaient d’une période de taux zéro/négatifs avec une inflation que les banques centrales ont initialement considérée comme temporaire. Le resserrement monétaire n’a débuté que lorsque cette position n’était plus tenable. Il s’est poursuivi jusqu’à des niveaux de restriction monétaire extrêmes et ne s’est retourné que lorsque les indicateurs d’inflation étaient en baisse depuis plus de 12 mois. Il est impossible par conséquent de trouver une corrélation entre l’activité économique et l’inflation tout au long de ce cycle.
Il ne s’agit pas d’une réflexion historique. Le cycle d’assouplissement monétaire vient juste de débuter, et le «playbook» de ce cycle doit encore être écrit. Faut-il considérer que cet assouplissement présage un redémarrage de l’activité? Ou au contraire qu’il est le prélude à une récession? Ou peut-être s’agit-il d’un ajustement de milieu de cycle. Oui, mais de quel cycle?
Qu’on le veuille ou non, le cycle monétaire mondial est déterminé depuis des décennies par la politique de la Réserve fédérale. Par le passé, les autres zones économiques s’en accommodaient tant bien que mal. Cependant, les divergences structurelles entre zones ne font que s’accentuer. Entre une économie américaine dominée par les services, bénéficiant de gains de productivité et capable d’attirer les investissements nécessaires au financement de son déficit extérieur, une Chine affectée par un désendettement multi annuel et une crise de confiance de la consommation, et une Europe capable de maintenir demande intérieure mais devant revoir un modelé basé sur des exportations, que trouver de commun?
Pour compliquer encore la situation, relevons que la concentration des grands indices actions a pour conséquence que leur cycle de profit ne répond qu’indirectement à l’activité économique sous-jacente.
Comment manœuvrer dans un tel environnement. Sans avoir la réponse, il nous semble utile de renoncer à répondre aux questions simplificatrices du passé («quelle est la probabilité d’une récession»?) et plutôt d’affiner l’analyse par secteurs et géographie. Les banques centrales n’ont pas ce luxe, puisqu’elles doivent plaquer une seule politique monétaire à une série de réalités sous-jacentes très divergentes. Les investisseurs l’ont, a eux d’en tirer profit.