Qu’est ce qui fera vaciller le marché?

Christopher Smart, Barings

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Même les scénarios les plus conservateurs ne semblent pas encore prêts à se concrétiser à court terme.

©Keystone

Ces temps, les marchés ont du mal à supporter les mauvaises nouvelles. Pour illustration, les spreads Investment Grade n’ont jamais été aussi resserrés depuis 2005 et l’indice S&P500 se négocie à un ratio cours/bénéfices supérieur à 20. Si les valorisations en sont arrivées là, c’est probablement parce que les risques demeurent faibles pour le moment. La croissance est forte, l’inflation paraît encore temporaire et le soutien de la Fed est garanti. Dans ce contexte solide, sept facteurs pourraient cependant être capables de faire chuter les marchés. 

Le premier risque est celui de l’inflation, et plus spécifiquement celui d’une contraction de l’offre. Voilà des décennies que la globalisation modère les pressions tarifaires, grâce aux vastes réserves de travailleurs qui arrivent régulièrement sur le marché, et que les technologies élargissent l’offre des biens, du pétrole aux chaussures en passant par les services de télécommunication. Du côté de la main d’œuvre, la pandémie aura-t-elle poussé cette génération des baby-boomers vers la retraite ou une réévaluation de leur carrière, ce qui entraînerait une réduction de l’offre globale en travailleurs et une augmentation généralisée des salaires? C’est possible, mais il serait étonnant que les boomers aient quitté la population active pour de bon. Et en ce qui concerne les marchandises, le désir d’avoir des chaînes de valeur plus résilientes et plus locales pourrait faire flamber les coûts, mais seulement dans le cas de certaines fournitures médicales essentielles. Une relocalisation de la production de meubles ou de jouets paraît en revanche peu probable.

La plus grande différence entre les économies d’avant- et d’après-pandémie réside dans les niveaux de dépense des gouvernements.

Le deuxième risque est aussi celui de l’inflation, mais provoquée cette fois par un renforcement de la demande. La plus grande différence entre les économies d’avant- et d’après-pandémie réside dans les niveaux de dépense des gouvernements. Est-il encore imaginable pour un futur candidat présidentiel américain de mobiliser les masses sans promettre des milliers de milliards de dollars pour telle ou telle cause ou priorité? S’il y a bien une chose sur laquelle les gouvernements du G7 sont tombés d’accord lors de leur dernier sommet, c’est sur la nécessité de dépenser plus: pour renforcer les infrastructures, pour lutter contre le changement climatique, et pour réduire les inégalités. Ce dernier point sera particulièrement important à surveiller, parce que des transferts plus importants vers les ménages les plus pauvres créeront nécessairement un renforcement de la demande et cela pourrait suffire à alimenter une hausse persistante des prix. Mais cela ne dépendra pas uniquement du programme d’investissement dans les infrastructures actuellement sous examen à Washington; il faudra regarder dans la direction des transferts sociaux destinés à l’éducation, au logement et à la santé, qui vont s’intégrer au système et qu’aucun des deux partis n’aura le courage de supprimer. 

Une erreur de politique monétaire constitue un autre danger potentiel. Malgré toutes les discussions autour de l’inflation, les craintes d’une déflation persistent. Même la plus infime des indications d’une normalisation de la politique de la Fed aura suffi à provoquer une baisse des rendements la semaine dernière. Il est cependant difficile de croire qu’un resserrement soit aujourd’hui prématuré, avec des données aussi solides et des perspectives budgétaires aussi généreuses.

Nous ne sommes également pas à l’abri d’excès financiers. Les exemples se sont certainement multipliés ces derniers temps: Archegos, Greensill, GameStop… Mais il est encore difficile d’imaginer un évènement de cette ampleur se répercuter sur un système bancaire bien mieux capitalisé et règlementé qu’auparavant. Il est évident que les nombreuses interconnexions au sein du système non bancaire pourraient propager les risques, et que la récente réponse politique ne manquera pas d’avoir potentiellement des conséquences fâcheuses. Il est néanmoins peu probable (pour l’instant) que ces risques se propagent à travers des entreprises et des ménages dont les bilans sont généralement solides.  

La crise géopolitique n’est pas non plus une possibilité à écarter.

Les nouveaux variants du Covid sont également des sources d’inquiétude, mais le déploiement des campagnes de vaccination est impressionnant, et de nouvelles périodes de confinement généralisé ne semblent possibles désormais que dans des circonstances extrêmes. 

La crise géopolitique n’est pas non plus une possibilité à écarter: les tensions qui montent au Moyen Orient, les essais balistiques en Corée du Nord, ou n’importe quelle autre situation potentiellement explosive quelque part dans le monde… De fait, les tensions entre les Etats-Unis et la Chine semblent destinées à empirer en cas de nouvelles sanctions, de nouveaux contrôles aux exportations et de nouvelles déclarations musclées. Mais bien souvent, après une ou deux semaines d’anxiété, les investisseurs constatent que leurs flux de capitaux sont encore bien à l’abri. 

Enfin, et peut-être la plus grande menace de toutes, serait celle d’une cyberattaque. Un virus menaçant les plus grandes entreprises mondiales et leurs données serait l’équivalent digital du COVID-19. Dès lors, comment avoir la certitude, la certitude absolue, que son investissement est sûr? Aussi effrayante que puisse être cette perspective, elle reste encore trop théorique pour que les marchés puissent véritablement l’intégrer. 

Tous ces dangers sont bien réels et la liste n’est certainement pas exhaustive. Mais si les marchés sont si bien valorisés aujourd’hui, c’est parce qu’il reste difficile dans la dynamique économique actuelle d’envisager une dégradation de la situation pour l’année en cours ou les deux années à venir. Donc, pour le moment, il s’agit de rester vigilant et de profiter de ce qui s’annonce comme une reprise durable et généralisée.

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