Protection est le mot d’ordre

Salima Barragan

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Le contexte actuel n’a plus rien à voir avec celui des quinze dernières années, prévient Alexandre Tavazzi de Pictet WM.

Hausses de taux agressives, inflation persistante, géopolitique explosive: la Banque Pictet a pris les devants en misant sur la protection des portefeuilles. «Nous avons tactiquement sous-pondéré les actions dans l'ensemble, étant donné les défis auxquels sont confrontés les marchés, dont la poursuite des hausses de taux en l'Europe et aux États-Unis à court terme», explique le responsable du CIO Office et de la recherche macroéconomique Alexandre Tavazzi, pour qui le grand défi des investisseurs consistera à se souvenir du contexte financier antérieur à 2008: un monde qui tournait sans les généreuses mannes de liquidités des banques centrales.

Réévaluation de la politique «quoi qu’il en coûte» des banquiers centraux

Si l'allocation d'actifs fut compliquée en raison de la corrélation de plus en plus positive entre les obligations et les actions, -ce qui signifie que les deux classes ont offert des rendements totaux négatifs depuis le début de l'année-, le marché oscille entre la peur des tensions sur les prix ou de la récession. «Pour l'instant, il s'agit de choisir le moindre des deux maux, mais la réévaluation de la situation est préoccupante, car les banques centrales ont commencé leur cycle de resserrement en retard sur l’inflation qui ne s’avère pas transitoire. Elles ont clairement indiqué que le renchérissement est devenu leur ennemi numéro un, d’où nous pouvons imaginer qu’elles veuillent casser la demande et la croissance économique pour ramener l’inflation à leur cible de 2%, quitte à tout sacrifier», commente Alexandre Tavazzi.

En conséquence, la banque Pictet abaisse ses prévisions annuelles de la croissance mondiale de 3,3 à 2,9% et s’attend à une légère récession aux États-Unis, dont l’évolution du PIB ne devrait pas dépasser 0,8% cette année, avec comme scénario central une Réserve fédérale qui cessera de resserrer sa politique lorsque son taux directeur atteindra une fourchette comprise entre 3 et 3,25%. «L'affaiblissement de l'activité conjoncturelle va atténuer les pressions inflationnistes: nous avons réduit nos perspectives sur le pétrole Brent à 100 dollars US pour la fin de l’année», ajoute-t-il

Convictions pour le deuxième semestre dans un contexte monétaire différent

Après quinze ans de taux d’intérêt bas et de liquidités abondantes depuis la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, le retournement des programmes monétaires conduira à la dévaluation des actifs financiers. «La baisse du coût du financement avait contribué à la bonne tenue des marges financières et de la croissance bénéficiaire, qui a gonflé la rentabilité des actifs», explique Alexandre Tavazzi qui sous-pondère les actions dont l’évolution des bénéfices sera revue à la baisse en 2023. «Les valorisations vont s’ajuster, notamment aux États-Unis où les titres se traitent à 14x les bénéfices, alors que le P/E se situe à 11x en l’Europe. Les primes de rendement vis-à-vis des obligations sont actuellement trop basses, d’environ 2,5% alors qu’elles se situent historiquement à 4%», précise-t-il.

Du côté des obligations, l’établissement genevois relève sa position de sous-pondéré à neutre, car les hausses d’intérêts ont fait bondir les rendements des titres d’émetteurs de qualité à 4 - 5% sur les échéances courtes.

La protection des portefeuilles en plusieurs mesures

Parce que la volatilité des marchés demeure globalement élevée, Pictet l’intègre en tant que classe d'actifs. En d’autres termes, la banque se protège et prend également des positions tactiques sur le marché des options afin d’exploiter les fluctuations des niveaux de volatilité. «Nous avons acheté des put lorsque la volatilité était basse, juste avant le meeting de la Fed à Jackson Hole où nous attendions un discours particulièrement «hawkish», afin de couvrir les portefeuilles, puis avons récolté les fruits de la revente de ces instruments lors de la correction des marchés boursiers», explique le spécialiste.

Les options de ventes ne sont pas les seuls moyens mis en œuvre par Pictet pour défendre les portefeuilles de sa clientèle. Face au programme agressif de la Fed, «nous avons une exposition aux obligations souveraines en deçà de notre exposition neutre avec des émissions de courte maturité de 3 ans; d’une part parce que cette échéance est la plus rémunératrice, et d’autre part parce que les taux longs pourraient monter», estime-t-il alors que la duration moyenne du marché se situe à 7 ans.

Sur la partie actions, l’établissement genevois sélectionne les entreprises qui ont la faculté de naviguer sur la remontée des taux; c’est-à-dire des candidats financièrement autosuffisants, dans la mesure où la charge de la dette s’alourdit lors de chaque nouveau financement. Mais aussi des firmes qui ont la capacité de reporter l’augmentation des coûts (salaires, énergie et matières premières) sur les prix de vente de leurs produits ou services. «Il s’agit de sociétés qui jouissent d’une image de marque forte, dotées d’une grande compétitivité afin de conserver leurs marges bénéficiaires».

Enfin, le 3e volet de la stratégie se décline avec une ligne de 3% sur la valeur refuge ultime: l’or.

La Suisse, un ilot de stabilité au sein d’une Europe chahutée

Au vu des qualités requises pour composer la poche d’actions, les valeurs suisses sont les premiers candidats en lice. «Le marché recèle de sociétés très rentables dans la consommation et la pharma, avec de faibles leviers financiers, souligne Alexandre Tavazzi. Avec son bêta qui de 0,6, la cote helvétique est aussi moins sensible aux fluctuations des bourses mondiales.

Par ailleurs, la Banque nationale suisse (BNS), qui vise dorénavant une monnaie forte pour compenser l'inflation importée, poursuit son resserrement monétaire, ce qui signifie que la devise nationale sera moins pénalisée qu'auparavant par l'écart des taux d'intérêt avec les autres monnaies. En résumé, les actions suisses offrent un excellent rendement du risque compte tenu de leur nature défensive.

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