Pour la Fed, la communication est impossible

Bastien Drut, CPR AM

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Trois incertitudes économiques majeures se dressent: Reprise de l'épidémie ou pas? Surchauffe ou pas? Si surchauffe, inflation ou pas?

Le moins que l’on puisse dire est que les dernières interventions publiques des membres de la Fed n’ont pas été limpides, que celles-ci portent sur les perspectives économiques, la conduite de la politique monétaire ou l’évolution du marché obligataire. En réalité, les circonstances actuelles (pandémie, soutien budgétaire d’une ampleur inhabituelle, retour des pressions inflationnistes) sont exceptionnelles et rendent la communication de la Fed impossible, puisque cette dernière se doit d’envisager des risques contradictoires. Par ailleurs, le brouillage des lignes entre politiques monétaire et budgétaire nuit à la clarté du message.

La Fed est confrontée à trois incertitudes économiques majeures
  • Reprise de l'épidémie ou pas? Dans leurs projections économiques, les membres du FOMC ne peuvent exclure l’hypothèse d’une mutation du virus, qui induirait un nouveau choc pour l'économie, et se trouvent dans la quasi-obligation de considérer un scénario «baissier».  
  • Surchauffe ou pas? Après les 4'000 milliards de dollars de soutien budgétaire votés en 2020, le plan Biden de 1’900 milliards de dollars, en train d’être adopté, emmènera le PIB au-dessus de son potentiel en 2021, mais personne ne sait réellement avec quelle amplitude il le dépassera. La mobilisation lors de la réouverture de l’économie de l’excès d’épargne constitué en 2020 pourrait donner un coup de fouet supplémentaire à l’économie. Les membres du FOMC doivent donc considérer un risque «haussier» pour la croissance, avec une surchauffe potentiellement inédite.
  • Si surchauffe, inflation ou pas? Plusieurs phénomènes en sommeil depuis plusieurs décennies sont de nouveau en mouvement (progression de la masse monétaire de plus de 25% sur un an, désorganisation des chaînes de production et pénuries de certains produits ou matières premières, volonté de relocaliser certains segments, discussions sur une hausse du salaire minimum qui vont se poursuivre) et une éventuelle surchauffe de l’économie pourrait théoriquement provoquer un changement de régime, qui mettrait un terme à quatre décennies d'inflation faible (The Great Moderation). Les membres du FOMC vont prendre soin d’isoler les effets temporaires dans l’accélération prochaine de l’inflation (essentiellement des effets de base liés au prix du pétrole), tout en affichant qu’ils surveillent de près des signaux indiquant un changement de régime.

La multiplicité des scénarios économiques implique que la Fed doit envisager des scénarios de politique monétaire radicalement différents (acheter plus de titres, acheter moins de titres, acheter des titres de maturité plus longue, procéder rapidement à des hausses de taux directeur) et qu’il s’ensuit une cacophonie plus forte que d’habitude, chacun des 6 membres du Board et des 12 présidents de Fed régionales mettant l’accent sur l’un des scénarios en fonction de ses convictions personnelles. Même au niveau individuel, la communication est parfois peu limpide : le 4 mars, Jerome Powell lui-même a indiqué que les conditions permettant un ‘tapering’ étaient proches mais qu’il faudrait communiquer sur celui-ci ‘bien en amont’, tout en disant que les conditions n’étaient pas réunies…

Les lignes délimitant politiques monétaire et budgétaire plus brouillées que jamais

La communication de la Fed est perturbée car elle doit non seulement prendre en compte des éléments économiques (cf les trois incertitudes majeures mentionnées ci-dessus) mais aussi veiller au bon fonctionnement du marché des titres du Trésor.On aurait clairement tort de sous-estimer ce point: la principale raison pour laquelle la Fed a acheté près de 2’400 milliards de dollars de titres du Trésor en 2020 a trait à ce point plus qu’à des raisons purement économiques.

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