Politique monétaire: en faire trop ou trop peu?

Bruno Cavalier et Fabien Bossy, ODDO BHF AM

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En l’absence de récession, les banques centrales n’ont pas de raison de faire machine arrière.

Quand l’économie mondiale a été frappée par une première vague d’inflation en 2021, les banques centrales, sauf rares exceptions, n’ont pas réagi car ce choc des prix était vu comme réversible par lui- même. Les confinements soudains, les réouvertures presque aussi rapides, les mesures d’aide aux ménages et aux entreprises, toutes ces perturbations associées à la pandémie n’avaient pas vocation à se prolonger mais au contraire à disparaître. De fait, on constate aujourd’hui que les délais de livraison des marchandises sont revenus à la normale, que les pénuries de tel ou tel bien sont en large partie surmontées et que les prix de matières premières sont pour la plupart redescendus de leur pic.

Toutefois, quand une deuxième vague d’inflation s’est profilée au début de 2022, les banques centrales ont presque toutes engagé un revirement rapide de leur politique monétaire. Ce deuxième choc de prix – se manifestant alors que le premier n’était pas encore résorbé – leur avait fait craindre que l’économie bascule dans un situation de spirale inflationniste comparable aux années 1970.

Tout au long de l’année 2022, les banques centrales des pays développés ont donc resserré leur politique à un rythme qu’on n'avait jamais (ou rarement) vu par le passé. Elles ont ralenti ces dernières semaines mais la tendance reste orientée vers le haut. Au total, en moins de douze mois, la Fed a relevé ses taux directeurs de 450 points de base, la BCE de 300 points de base, etc.

Il est temps pour les banques centrales de faire le point pour déterminer la suite de leurs actions. Ont-elles suffisamment pesé sur la demande pour calmer les tensions inflationnistes? Ont-elles trop durci leur politique au risque de provoquer une récession? Peut-on d’ailleurs réussir à maîtriser l’inflation sans casser la croissance? Telles sont les questions essentielles.

La Réserve fédérale américaine aborde les toutes dernières étapes de son cycle de resserrement.
Une phase critique

Dans l’ensemble, l’activité économique a mieux résisté que ce qu’on ne pouvait craindre. Les marchés du travail restent solides, affichant des taux de chômage au plus bas depuis des décennies. Les Etats-Unis ralentissent mais ne sont pas en récession. L’Europe est proche de la stagnation, mais en l’absence de blackouts cet hiver, il n’y a pas eu de sévère contraction de la production. Dernièrement, avec les espoirs que fait naître la réouverture de la Chine, il y a une petite éclaircie sur les perspectives.

En janvier, pour la première fois en un an, le FMI a ainsi rehaussé sa prévision de croissance mondiale. La révision est certes minime (+0,2 point en 2023, de 2,7% à 2,9%, après +3,4% en 2021) mais son sens est symbolique.

Concernant l’inflation, un mouvement de reflux est engagé depuis quelques mois dans de nombreux pays. Selon nos calculs, l’inflation mondiale avoisinait 8,5% sur un an à la fin 2022 après avoir franchi un pic à 9,5% l’automne dernier. La direction prise est la bonne, mais partant d’un niveau si élevé, les banques centrales ne peuvent s’en contenter. De surcroît, le recul de l’inflation n’est pas uniforme d’un pays à l’autre, ou d’une composante de prix à l’autre.

Dans ces conditions, les banques centrales abordent une phase critique où il faut mettre en balance le scénario d’un durcissement excessif, qui viendrait ruiner la résistance de l’économie, et le scénario d’un arrêt trop précoce, qui risquerait de raviver les tensions inflationnistes. Le problème ne se pose pas exactement dans les mêmes termes dans toutes les zones.

La Réserve fédérale américaine aborde les toutes dernières étapes de son cycle de resserrement. La vue médiane du comité de politique monétaire est qu’il reste encore deux hausses de taux de 25 points de base, avant de faire une pause, le temps de confirmer la convergence de l’inflation vers sa cible. En l’absence d’une récession, un assouplissement monétaire rapide paraît peu probable. C’est pourtant l’attente d’une large partie du marché. A l’opposé, si les tensions salariales restent vives, la Fed aurait toute raison de garder une politique restrictive, voire de la durcir davantage.

La Banque centrale européenne a beaucoup moins de motifs de satisfaction que la Fed. Le repli de l’inflation est plus récent qu’aux Etats-Unis. Il s’amorce depuis un niveau plus élevé. Il est surtout limité pour l’instant aux seuls prix de l’énergie, une composante qui ne dépend pas des décisions de la BCE. Le pic d’inflation n’est pas encore atteint en ce qui concerne les produits alimentaires, ni les biens manufacturés, les services ou les salaires. En zone euro, la désinflation est un espoir, une projection, pas encore une réalité. De ce fait, le ton de la BCE reste restrictif. Les hausses de taux vont se poursuivre à un rythme soutenu, et aucune pause ne se dessine avant la mi-année au plus tôt.

A l’exception du Japon, seul pays où la politique n’a pas été durcie l’an dernier, les autres pays développés approchent également de la fin du cycle de resserrement monétaire. Là encore, l’inflation reste éloignée de sa cible. En somme, au-delà des spécificités de chaque pays, le point commun est que les politiques monétaires sont désormais restrictives presque partout et vont le rester pour un bon bout de temps. C’est un changement d’ère. Depuis la crise financière de 2008, on était habitué à des politiques stimulantes ou ultra-stimulantes. Nulle part aujourd’hui, on ne sent un grand appétit pour faire machine arrière.

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