Plus de questions que de réponses

Peter de Coensel, DPAM

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La réflexion ne doit pas porter sur le niveau des taux directeurs, mais plutôt sur leur durée.

Les taux des bunds à 10 ans ont atteint leur pic à 2,50% le 21 octobre, alors qu’ils avaient connu un creux juste en dessous de 0, 80% en début d’août, et qu’ils avaient commencé l’année à -0,18. Ce repère clef pour les taux à long terme de l’UE a clôturé à 1,92% vendredi dernier, soit une hausse de 2,10% en glissement annuel. De véritables montagnes russes. Quant aux taux américains à 10 ans ; ils ont suivi un parcours similaire. Ils avaient atteint un sommet à 4,25% fin octobre, alors qu’ils débutaient l’année à 1,51% avant de clôturer à 3,54% vendredi dernier. Là encore, une hausse presque similaire de 2,03% en glissement annuel. Le bêta entre les deux marchés sur le segment à 10 ans de la courbe des taux était presque égal à 1.

Il convient de réfléchir aux périodes où les marchés ont basculé à la hausse ou à la baisse, au cours de cette année si particulière. Il est primordial de réaliser que si les taux directeurs maximaux de 5,00% de la Fed ou de 3,00% de la BCE devaient rester en place au cours des dix prochaines années, les évaluations actuelles de 1,92% ou 3,54% pour les taux d’intérêt à 10 ans de l’Allemagne et des Etats-Unis ne collent pas. Tous deux se corrigeraient à la hausse, conformément à la théorie des anticipations, selon laquelle les taux à court terme se traduisent par des taux à plus long terme.

Les épisodes covid et post-covid se sont transformés en une hausse de l’épargne des ménages et des entreprises.

Pour être clair, un tel scénario entraînerait un autre ajustement douloureux, puisque les taux allemands à 10 ans augmenteraient de 1,08%, contre une hausse de 1,46% pour les taux américains à 10 ans, ce qui les porterait respectivement à 3,00% et 5,00%. Un exercice simple qui a son importance. Avec ce scénario, il faut se demander, encore et encore, si la vision que nous avons de l’inflation et de ses anticipations dans les économies occidentales correspond ou non au niveau historique de 2,00% visé actuellement par les banques centrales. L’inflation reviendra-t-elle à la fourchette pré-covidale d’environ 1,5% à 2,00% ou faudrait-il envisager une inflation comprise entre 3,00% et 4,00% au cours de la prochaine décennie? Dans le premier cas, le taux directeur de la BCE devrait se situer à des niveaux d’équilibre de 1,00% à 1,50% et le taux directeur «neutre» à long terme de la Fed à 2,50%.

Répondre à cette question revient à lancer le débat sur l’intensité de la spirale actuelle de l’inflation salariale. Est-elle persistante ou transitoire? Il y a environ un an, une telle discussion a été menée sur l’inflation globale. La conclusion était que les effets combinés et mutuellement renforcés de la pénurie d’énergie et des goulets d’étranglement de l’offre laissaient présager une inflation globale élevée. Alors que nous entrons dans les dernières semaines de 2022, faut-il attacher une plus grande probabilité au scénario qui conduit à une inflation persistante des salaires en 2023 et au-delà?

Un premier indice est donné par les marchés du travail européens et américains, qui restent tendus. D’une manière particulière, c’est comme si l’impact négatif de la hausse des taux directeurs sur l’immobilier, les ventes de voitures ou les revenus publicitaires numériques restait isolé. La demande globale demeure étonnamment robuste. Les épisodes covid et post-covid se sont transformés en une hausse de l’épargne des ménages et des entreprises. Les deux excédents continuent aujourd’hui à avoir un impact positif sur la consommation. Cela permet aux entreprises de proposer des salaires compétitifs afin d’attirer et de retenir les talents. La plupart des secteurs ont un pouvoir de fixation des prix, ce qui se traduit effectivement par des taux de croissance du PIB nominal à un voire deux chiffres. Seuls les gouvernements affichent des déficits persistants, étant donné qu’ils continuent de subventionner les ménages et certains secteurs privés pour contrer les difficultés liées à la crise énergétique. Les écarts de production positifs (demande globale supérieure à l’offre globale) restent en place, ce qui rend l’inflation de base persistante. Il faut donc surveiller, suivre et interpréter les lectures de l’inflation sous-jacente et se concentrer moins sur les chiffres volatils de l’inflation globale.

Plus les taux maximaux sont élevés et plus longtemps ils restent en place, plus les estimations des taux à 10 ans à long terme devraient être élevées.

En somme, la réflexion ne doit pas porter sur le niveau des taux directeurs (maximaux), mais plutôt sur la durée pendant laquelle les banques centrales pourraient être contraintes de maintenir les taux directeurs à ces niveaux maximaux. Quels que soient les résultats obtenus au cours des 12 prochains mois, plus les taux maximaux sont élevés et plus longtemps ils restent en place, plus les estimations des taux à 10 ans à long terme devraient être élevées.

Cela amène à la question de savoir si les banques centrales peuvent maintenir des taux records pendant longtemps. Dans une économie axée sur la finance, le «système» est-il capable de fonctionner dans des conditions de taux directeurs durablement élevés? Là encore, il s’agit d’un autre débat persistant et transitoire que tout le monde devrait encourager.

A l’approche de 2023, il y a donc plus de questions que de réponses. Toutefois, la réinitialisation des classes d’actifs en 2022 a amélioré les perspectives de rendement à long terme. Un portefeuille mondial 60/40 audacieusement diversifié, composé de titres à revenu fixe et d’actions, devrait offrir un rendement attendu de 5 à 6% au cours de la prochaine décennie. Un tel portefeuille doit être exposé aux marchés d’actions des pays émergents et développés, et accepter, en plus, une bonne dose de risque de change hors euro. Récolter du portage ou des revenus à l’échelle internationale est le mot d’ordre.

On n’a rien pour rien. Une solution d’investissement globale et active pourrait être ou sera nécessaire pour survivre financièrement dans un ensemble de conditions de volatilité supérieures à la moyenne.

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