Pandémie et enseignement hôtelier

Giuliano Bianchi, EHL Ecole hôtelière de Lausanne

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Comment les leaders de l'hôtellerie peuvent-ils tirer les leçons de la crise des deux dernières années?

La pandémie de COVID-19 a radicalement modifié la situation économique mondiale, conduisant de nombreux économistes à prédire qu'elle aura un impact similaire à celui de la grande dépression des années 1930. Ainsi, de nombreux principes fondamentaux du domaine doivent être reconsidérés pour les années à venir. Ceux-ci ont reçu moins d'attention ces dernières années, ayant été supplantés par les enseignements de la Grande Récession. Afin d'éduquer correctement les étudiants et les managers sur la relation entre les théories économiques et les implications pratiques dans l'industrie hôtelière, ces changements doivent être intégrés dans les cours de macroéconomie et les programmes de formation des cadres. Le but étant de mieux refléter les réalités économiques auxquelles sont confrontés les entreprises et leurs dirigeants de nos jours.

Accorder moins d’importance aux enseignements sur la crise financière de 2008

Jusqu'en mars 2020, la principale préoccupation des économistes était la fragile reprise de l’économie suite à la récession de 2008: celle qui a été la plus grande crise financière depuis la Grande Dépression (Blanchard et Johnson, 2013). L'étude de cas du krach financier de 2008 fait partie des programmes standard de premier cycle (Colander, 2010), ce qui a permis aux enseignants d'établir des liens pratiques entre la théorie macroéconomique traditionnellement abstraite et les défis contemporains de l'industrie hôtelière.

D'un point de vue pédagogique, il est intéressant d'illustrer la contraction de la consommation globale par une représentation liée au secteur. Par exemple, dans le secteur de l'hôtellerie, la baisse des revenus s'est traduite par une contraction du taux d'occupation, du tarif journalier moyen et du revenu par chambre disponible dans les hôtels de la plupart des pays du monde (Alonso-Almeida & Bremser, 2013). La crise du COVID-19 a déjà relégué la crise de 2008 et ses importantes retombées au second plan. Les étudiants et les managers doivent comprendre la situation actuelle (Colander, 2010), ce qui signifie que la crise financière de 2008 pourrait faire partie d'un cours d'«histoire» de l'économie. De cette façon, elle ne jouerait plus un rôle central dans le programme de macroéconomie des étudiants en gestion hôtelière, puisque ce secteur a été reconnu comme l'un des plus sévèrement touchés par la crise actuelle.

Une telle contraction de l’offre globale n’a pas connu de cas similaire, du moins dans un passé proche.
Mettre l'accent sur l'analyse de l'offre globale

Contrairement à la crise financière de 2008, la crise du COVID-19 a eu un impact non seulement sur la demande globale mais aussi, et c'est ce qui change, sur l'offre globale. Les conséquences d'une baisse de la demande globale sont déjà connues. Celle-ci fut au cœur de la théorie keynésienne, qui a émergé des cendres de la Grande Dépression. Keynes a fait irruption dans la théorie macroéconomique en réfutant l'application de la loi de Say (à court terme). Alors que la loi de Say se concentre sur l'offre, Keynes a fait valoir que la demande globale était plus importante. En résumé, selon la théorie keynésienne, la demande globale génère l'offre globale (et non l'inverse).

Reflétant l'approche keynésienne, la plupart des cours de macroéconomie enseignés dans les écoles de gestion hôtelière examinent la construction du modèle IS-LM, une représentation mathématique de la théorie keynésienne. Si l'analyse du modèle IS-LM reste valable, la crise du COVID-19 nécessite d’étudier l'offre globale, les coûts de production ayant été affectés. Dans le secteur de l'hôtellerie, par exemple, non seulement les clients ont cessé de voyager (côté demande), mais le secteur a également dû faire face à des mesures de distanciation sociale impactant la structure des coûts et de surcroît, l'offre.

Une telle contraction de l’offre globale n’a pas connu de cas similaire, du moins dans un passé proche. Pour inclure l'offre globale, l'enseignant doit sortir du contexte de l'analyse à court terme (keynésienne) et adopter une analyse à moyen terme. Cette nouvelle échelle temporelle est nécessaire pour amener l'économie au niveau de production déterminé par l'offre (Blanchard & Johnson, 2013). Jusqu'à présent, l'analyse à moyen terme n'a joué qu'un rôle marginal dans les cours traditionnels de macroéconomie. Au vu de la situation actuelle, il est nécessaire de renforcer cette analyse afin de mieux prendre en compte les effets de l'offre.

Intégrer le modèle à moyen terme

L'impact du COVID-19 sur l'offre globale nécessite l'introduction de nouveaux éléments qui ne font traditionnellement pas partie d'un cours de macroéconomie dans l'enseignement de la gestion hôtelière. De fait, la crise du COVID-19 a remis la loi de Say au goût du jour. Comme mentionné ci-dessus, ce nouvel élément doit être incorporé dans le modèle à moyen terme. Traditionnellement, ce dernier est présenté à l'aide d'une analyse graphique.

Aujourd'hui, les enseignants doivent non seulement approfondir ce modèle de manière simple, en combinant les équations de fixation des prix et des salaires, mais aussi en ajoutant des éléments supplémentaires tels que la productivité au travail. Il est indéniable que le COVID-19 a eu un impact sur la productivité des employés. De ce fait, supposer que celle-ci reste constante (comme le suggèrent généralement les manuels scolaires) n'est plus exact. De tels changements permettraient d'obtenir un modèle plus nuancé et plus précis afin d’analyser des conditions macroéconomiques complexes et leur impact sur l'industrie hôtelière, ayant une importante main d’œuvre.

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