Endettement et gestion du bénéfice comptable

Cédric Poretti, EHL Ecole hôtelière de Lausanne

2 minutes de lecture

Comment l’endettement des entreprises peut parfois avoir un effet inattendu.

L’augmentation du niveau d’endettement des entreprises représente un défi majeur qui s’ajoute aux incertitudes liées à la crise du COVID-19. Au niveau mondial, la dette des entreprises non financières a explosé depuis la crise des subprimes, atteignant 81’000 milliards de dollars à la fin du troisième trimestre 2020 (Statista). Aux Etats-Unis, trois industries fréquemment incluses dans la catégorie «Hospitality» au sens large apparaissent dans le top 10 des plus endettées, en commençant par la restauration (avec un ratio de dette sur capital de 114% au 5 janvier 2021), suivie du transport aérien (84%) et de l’hôtellerie/gaming (77%)1. Dans un contexte où la croissance s’érode et les réserves de cash s’avèrent plus précieuses que jamais, il semble important de se souvenir que l’endettement d’une entreprise peut en réalité se révéler (être) à double tranchant.

La dette: une arme à double tranchant

Plus l’endettement est élevé, plus le risque de défaut est important. En effet, les intérêts représentent une charge fixe à laquelle l’entreprise ne peut déroger et le service de la dette (le remboursement du principal et des intérêts) a un impact négatif sur le flux de trésorerie. Toutefois, une entreprise qui s’endette bénéficie (sous certaines conditions) d’un effet de levier qui amplifie les rendements tout en obtenant des déductions fiscales intéressantes. De plus, recourir à l’endettement comme moyen de financement permet d’éviter de diluer l’actionnariat, par opposition à l’émission d’actions.

Du point de vue de l’investisseur, l’endettement est un élément d’analyse clé pour estimer les niveaux de liquidité et de solvabilité de l’entreprise.

En période de crise, l’émission de dettes s’apparente plus à un outil permettant la survie qu’à un moyen de financement de la croissance de l’entreprise. Cependant, pour celles dont le bilan est déjà fragile, cet outil peut s’avérer particulièrement dangereux, comme le montrent les taux de défaut 2020 atteignant des niveaux que nous n’avions plus observés depuis 2009 (S&P Global Ratings Research). La majorité de ces défauts provient de quatre industries: services aux consommateurs, énergies et ressources naturelles, loisirs et transports. Toutes les entreprises notées par S&P Global Ratings qui ont fait défaut en 2020 avaient un rating sous l’«investment grade», c’est-à-dire les plus fragiles.

Le point de vue de l’investisseur

Du point de vue de l’investisseur, l’endettement est un élément d’analyse clé pour estimer les niveaux de liquidité et de solvabilité de l’entreprise. De plus, il est important de comprendre les conséquences qu’un effet de levier plus ou moins élevé a sur d’autres paramètres essentiels tels que les bénéfices. En effet, ces derniers sont scrutés par diverses parties prenantes de l’entreprise, notamment à des fins d’investissement ou de financement. Il est dès lors crucial de pouvoir utiliser de bénéfices «de qualité», c’est-à-dire reflétant la performance réelle de l’entreprise. Or, les gestionnaires disposent d’une marge de manœuvre considérable dans la manière de préparer les états financiers et peuvent être tentés, dans certaines situations, de divulguer des bénéfices qui ne reflètent pas la performance réelle de l’entreprise (par exemple, pour augmenter la rémunération des dirigeants ou atteindre les attentes du marché). Certains cas extrêmes ont attiré l’attention des médias (ex.: Cendant Corporation, Krispy Kreme, Patisserie Valerie), entraînant des pertes pouvant se chiffrer en milliards.

Pourquoi l'endettement devrait-il avoir une incidence sur la gestion des bénéfices?

Deux points de vue s’opposent sur le lien entre endettement et qualité des bénéfices diffusés. D'une part, les créanciers doivent s'assurer que les clauses de la dette (covenants) sont respectées, ce qui les incite à surveiller étroitement l’emprunteur et diminue la gestion du résultat de la part de ce dernier. D'autre part, les dirigeants peuvent être tentés de manipuler les bénéfices afin d’éviter de transgresser les covenants et limiter la pression exercée par les créanciers. La relation entre endettement et gestion du bénéfice peut donc aller dans deux directions opposées, d’où l’importance de prendre en compte certains facteurs contextuels pouvant l’influencer, tels que le niveau de protection légale des investisseurs2. Dans les pays où cette dernière est élevée, le risque de litige pour les gestionnaires et administrateurs est plus élevé, ce qui tend à limiter leur gestion du résultat.

Que dit la recherche à ce sujet?

Dans une étude récente, Poretti, Schatt et Jérôme (2020)2 examinent l'impact de l’endettement sur la gestion du bénéfice en utilisant un échantillon d’entreprises relevant du secteur «Hospitality» dans 26 pays. Les résultats montrent qu’en général, un levier financier plus élevé entraîne une qualité des bénéfices accrue, en particulier dans les pays où la protection des investisseurs est forte. L’endettement agirait donc bien comme un mécanisme disciplinaire sur les gestionnaires. Toutefois, cette surveillance n’est efficace que si le risque de litige entre actionnaires et dirigeants est élevé.

 

 

1 Données disponibles sur Damodaran Online.
2 Poretti, C., Schatt, A., & Jérôme, T. (2020). Impact of Leverage on Financial Information Quality: International Evidence from the Hospitality Industry. Journal of Hospitality Financial Management, 28(1).
 

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