Objectif surchauffe? Plus facile à dire qu’à faire

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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Si le choc «virus + confinement» est derrière nous, l’onde de choc n’est de loin pas stoppée.

Au cours du premier semestre 2020, l’économie mondiale a vu sa taille baisser d’environ 10%. C’est une contraction cinq fois plus forte que celle constatée juste après la faillite de Lehman Brothers en 2008. Aucune «échelle de Richter» de la sismicité économique n’avait imaginé possible une telle catastrophe. Au premier trimestre, le recul a dépassé 3%, une perte imputable aux trois quarts au confinement de l’économie chinoise. Puis, au deuxième trimestre, s’est ajouté un repli de plus de 6% lorsque tout le reste de la planète s’est à son tour confiné pour réduire son exposition au coronavirus. Aujourd’hui, compte tenu de ce que l’on sait du très fort rebond d’activité qui a suivi la réouverture des économies, on peut estimer qu’une bonne moitié de la perte a été effacée. Mais c’était la moitié la plus «facile» à rattraper, celle qui résulte automatiquement de la remise en route de la production et de la réalisation de dépenses de consommation qui avaient dû être suspendues pendant les mois d’enfermement.

La poursuite de la reprise réclame non seulement des progrès au plan sanitaire mais aussi des mesures de soutien et de relance de l’activité économique. Les banquiers centraux et les responsables budgétaires ont annoncé ou mis en place des politiques qui, dans des conditions normales, conduiraient à la surchauffe. Mais comme les conditions présentes ne sont pas normales, ils jugent que la surréaction de politique économique est la seule voie pour réduire un écart de production (environ 5 points à l’échelon mondial) qui est fondamentalement déflationniste. Le champ des possibles est grand ouvert. On ne cherche pas à se défausser en disant qu’il y a des facteurs haussiers et des facteurs baissiers influençant le cycle économique, mais à essayer d’apprécier au mieux de quel côté penchera la balance.

A supposer que le virus disparaisse d’un coup, on ne retrouverait
pas instantanément une situation aussi favorable.

Il y a neuf mois, avant que le coronavirus ne devienne notre préoccupation quotidienne, aucune grande zone de l’économie mondiale ne montrait de déséquilibres majeurs, de ceux qui constituent d’ordinaire le terrain propice à une récession ou à une crise financière. Toutes les zones étaient en croissance, sans excès généralisé du crédit, sans bulle immobilière, sans tensions de prix ou de salaires, sans déficits budgétaires ou extérieurs apparemment insoutenables, sans politique économique délibérément restrictive. L’un des principaux sujets d’inquiétude, à savoir la guerre tarifaire entre les Etats-Unis et la Chine, semblait même devoir entrer dans une phase d’accalmie. En somme, l’avenir s’annonçait calme et même un peu ennuyeux, avec une croissance mondiale évoluant à son rythme de croisière d’environ 3.5% par an. A supposer que le virus disparaisse d’un coup, on ne retrouverait pas instantanément une situation aussi favorable, mais il est probable que les fondamentaux solides qu’on constatait alors aideraient à solidifier la reprise. C’est pourquoi tout avancée dans la recherche d’un vaccin et son utilisation à grande échelle sont de nature à profiter à cette part de l’économie (de nombreux secteurs de services) qui n’a encore que peu rebondi. Il y a là un potentiel de rattrapage élevé en termes d’activité, d’emploi et de dépense, et naturellement de quoi réduire le degré d’incertitude.

Il faut aussi considérer les évolutions profondes touchant à la conduite de la politique économique. Pour faire simple, disons que la crise du coronavirus signe le grand retour du keynésianisme, autrement des politiques actives de stabilisation de la demande qui ne se préoccupent guère de l’augmentation induite de l’endettement. L’illustration la plus emblématique du changement de doctrine vient d’Allemagne. Sans le feu vert du gouvernement allemand, aucun accord n’aurait été possible en vue d’accroître le budget de l’UE, et ce faisant, de mettre sur pied un fond de relance. Bien entendu, sur ce plan de relance européen, comme sur les divers plans nationaux, il faut se projeter au-delà des seuls effets d’annonce aussi positifs soient-ils. Des délais, des erreurs dans la conduite des opérations sont possibles, mais à première vue, on a la garantie de politiques budgétaires stimulantes à l’horizon visible. Au plan monétaire, il est acquis que le régime de taux zéro/négatif est là pour durer longtemps. La revue de stratégie de la Fed, annoncée récemment, consiste à viser une économie en surchauffe car c’est le seul moyen de rétablir le plein emploi. Pour résumer, on pourrait dire que l’objectif de stabilité des prix est désormais subordonné à l’objectif de plein-emploi. Cela montre combien les banquiers centraux sont inquiets du risque de voir la reprise fléchir ou s’arrêter.

Le moment présent ne manque pas, il est vrai, d’éléments négatifs. A la suite de la prompte réaction des banques centrales, les conditions financières, fortement chahutées en février-mars, sont dans l’ensemble revenues à leur situation pré-virus. Mais certains compartiments de marché donnent des signes d’excès ou sont dans une configuration typique de bulle. Il y a un risque de correction. Dans l’économie réelle, la fragilité de la reprise tient à l’écart qui s’est creusé entre secteurs et, partant, entre pays. Ajoutons à cela que si le choc «virus + confinement» est derrière nous, l’onde de choc n’est pas stoppée. Des destructions d’emploi temporaires ou différées pourraient devenir permanentes. Des défaillances d’entreprises restent à venir, malgré les aides et garanties fournies par le secteur public. Pour les entreprises qui survivent, le surcroît de dette risque de peser sur les projets d’investissement futurs.

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