Nuages au-dessus de Pékin

Alan Mudie, Woodman Asset Management

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Les données récentes de la Banque populaire de Chine (PBoC) suggèrent que les banques et les emprunteurs sont réticents à augmenter le recours au crédit.

Dans notre chronique du mois de mai, nous affirmions qu'en dépit de certains signes encourageants au premier trimestre, le moment n'était pas venu pour la Chine de redevenir le principal contributeur à la croissance mondiale. Depuis lors, les données macroéconomiques se sont encore détériorées. Les autorités chinoises peuvent-elles sortir l'économie de son piège déflationniste? Et qu'est-ce que cela signifie pour les marchés financiers?

La croissance des prêts chinois continue d'établir de nouveaux records à la baisse. L'encours des prêts en RMB a augmenté de 8,1% en glissement annuel (g.a.) en juin, le plus bas rythme jamais enregistré, après avoir atteint 9,3% en g.a. en mai. Il y a eu un fort ralentissement de la croissance des prêts depuis les niveaux d'environ 11,0% de l'été dernier, sans parler de la croissance moyenne de 15,2% en g.a. atteinte entre 1998 et 2024. En outre, la croissance de la masse monétaire M2 a également atteint un plus bas historique en juin, à 6,2% en g.a., contre 7,0% en mai et 11,3% en juin 2023. Ces facteurs suggèrent que les banques ont suivi les instructions du comité central de réorienter les prêts vers les priorités politiques telles que le leadership technologique et les initiatives vertes, et de s'éloigner des domaines « non productifs » tels que l'immobilier. Les banques ont également délaissé les entreprises privées et les ménages au profit des emprunteurs les moins risqués, tels que les entreprises d'Etat. En outre, la demande de prêts reste faible, comme le souligne un récent article de Reuters.

L'abandon de la dépendance à l'égard de l'investissement immobilier porte ses fruits.

Sous la direction du président Xi, la Chine a soigneusement évité de répéter ce qu'elle considère comme les erreurs des précédents programmes de relance de l'immobilier, qui ont entraîné une flambée des prix, un surendettement et une sur-construction. Le moins que l'on puisse dire est que cette politique a fonctionné. Les prix des logements sont en chute libre. Les six derniers mois ont été les pires de l'histoire moderne de la Chine en termes de baisse des prix. La baisse de -4,5% en g.a. en juin de l'indice des prix de l'immobilier des 70 villes du Bureau national des statistiques (NBS) a été la plus forte de ce cycle. En outre, les ventes de logements ont chuté de -16% en juin, tandis que les mises en chantier ont plongé de -18% et les fins de chantier de -31%.

La situation est devenue si grave que la plupart des économistes étrangers estiment qu'il faut davantage de mesures de relance pour sortir le marché immobilier - qui représente environ un quart du PIB - de son marasme avant qu'une reprise économique significative ne soit possible. Cependant, Xi semble toujours convaincu que la «croissance de haute qualité» - qui se concentre davantage sur les investissements verts, la technologie et les exportations manufacturières - est la voie à suivre.

Les données récentes sur l'activité ont été très décevantes

Les ventes au détail ont baissé en juin de -0,1% en glissement mensuel (g.m.) et n'ont augmenté que de 0,5% depuis le début de l'année. La variation en g.a. est passée de 3,7% en mai à seulement 2,0% en juin, le taux le plus bas depuis décembre 2022, qui était le dernier mois de la politique de Covid zéro et des confinements. Bien sûr, cela n'est guère surprenant étant donné le niveau déprimé du sentiment des ménages. L'indice de confiance des consommateurs du NBS a atteint son plus bas niveau depuis 19 mois en mai, avoisinant le plus bas historique de novembre 2022. En outre, la croissance du revenu des ménages s'est effondrée, passant d'une moyenne de 6,9% en g.a. au cours de la dernière décennie à seulement 5,3% au deuxième trimestre, tandis que l'on estime que les ménages détiennent l'équivalent de 15% du PIB en dépôts excédentaires par rapport à la tendance d'avant 2020, ce qui montre une fois de plus à quel point les consommateurs sont devenus prudents.

L'investissement en actifs fixes (FAI) continue de ralentir, frappé par les problèmes de développement immobilier. Pour les six premiers mois de 2024, le FAI n'a augmenté que de 3,9% par rapport au premier semestre 2023. Et cette maigre croissance est presque entièrement due à l'investissement des entreprises d'Etat - le FAI privé n'a augmenté que de 0,1% en g.a. au premier semestre.

Le seul point positif en juin a été la production industrielle qui a augmenté de 0,4% en g.m., portant le taux de croissance en g.a. à 5,3%. Cette résistance est largement due à la vigueur des exportations, la demande intérieure n'ayant pas encore montré de reprise significative. Les exportations ont augmenté de 10,7% en g.a. en juin, contre 11,2% le mois précédent. Toutefois, cette dépendance pourrait s'avérer problématique si Donald Trump reprend la présidence des Etats-Unis en novembre - il a promis d'imposer des droits de douane supplémentaires sur les importations pour protéger les fabricants américains, ce qui pourrait réduire considérablement les exportations chinoises vers les Etats-Unis.

Les données récentes sur le PIB du deuxième trimestre ont souligné la faiblesse persistante de l'activité économique chinoise. L'activité du deuxième trimestre n'a augmenté que de 0,7% en glissement trimestriel (g.t.), ce qui constitue une énorme déception par rapport aux attentes de 1,1% en g.t., et moins de la moitié du taux de 1,5% du premier trimestre. Il s'agit du rythme trimestriel le plus lent depuis la pandémie, portant le taux de croissance du PIB en g.a. à 4,7%, contre 5,3% au premier trimestre. La croissance du PIB nominal s'est également ralentie pour atteindre seulement 4,0% en g.a., contre 4,2% au premier trimestre, sous l'effet de la chute des prix - le déflateur du PIB au deuxième trimestre était de -0,7%, contre -1,1% au cours de la période précédente. La Chine se trouve donc dans la situation inhabituelle d'être à la traîne de son principal concurrent économique. Les Etats-Unis ont enregistré une croissance nominale du PIB de 5,8% en g.a. au deuxième trimestre, en accélération par rapport aux 5,4% du premier trimestre. Il faudra du temps à la Chine pour redevenir le principal contributeur à la croissance mondiale.

La faiblesse de la demande alimente les risques de déflation

L'indice global des prix à la consommation (IPC) de la Chine s'est dangereusement rapproché du territoire déflationniste au cours des derniers trimestres. En juin, par exemple, l'IPC global est passé de 0,3% à 0,2% en g.a. Et au cours des cinq derniers trimestres, l'IPC en g.a. s'est établi en moyenne à 0,0%. En outre, l'IPC des produits alimentaires a baissé de 2,1% en g.a. en juin et est constamment en territoire négatif depuis juillet de l'année dernière. Et les nouvelles ne sont guère meilleures pour les entreprises. L'inflation des prix à la production (IPP), qui reflète les prix de vente des entreprises et donc leur rentabilité, est en baisse depuis octobre 2022. Bien que l'IPP de juin, à -0,8% en glissement annuel, ait été le plus élevé depuis décembre 2022, il n'y a guère de signes de la demande nécessaire pour ramener les prix à la production en territoire positif.

Xi Jinping reste concentré sur le renforcement de son contrôle et sur l'amélioration de la qualité du PIB.

Le Parti communiste chinois a récemment tenu la troisième session plénière de son 20e comité central, nommé lors du dernier congrès en 2022. Traditionnellement, c'est lors de ce troisième plénum que les responsables définissent les principales réformes et priorités économiques pour les cinq années à venir. En 1978, par exemple, Deng Xiaoping a profité du troisième plénum du 11e comité central pour présenter les «quatre modernisations», qui ont tracé la voie de l'émergence de la Chine en tant que force économique majeure au cours des décennies suivantes.

Le plénum de cette année, qui s'est achevé le 18 juillet, est resté fidèle à la vision de Xi Jinping pour l'économie chinoise, en mettant l'accent sur l'investissement dans l'industrie manufacturière de pointe (appelée « nouvelles forces productives de qualité »), la transition verte et l'autosuffisance des chaînes d'approvisionnement (afin de «dérisquer» l'économie). Il s'agit essentiellement de mesures axées sur l'offre, ce qui confirme que Xi ne souhaite guère se concentrer sur des réformes axées sur la demande. Cela signifie que la priorité sera donnée à la qualité de la croissance plutôt qu'à son rythme, ce qui signifie également que le fait de ne pas atteindre l'objectif de croissance du PIB de 5,0% cette année - ce qui est tout à fait possible au vu des données du deuxième trimestre - ne déclenchera pas nécessairement un « bazooka » de mesures de relance pour le marché de l'immobilier.

Toutefois, certaines mesures à court terme ont été décidées lors du plénum. Par exemple, la PBoC a réduit de manière inattendue les taux directeurs le lundi 22 juillet, le premier jour de bourse après la publication des documents du plénum. La baisse simultanée de 10 points de base de l'ensemble des taux directeurs - les prises en pension à sept jours et les taux préférentiels à un an et à cinq ans - était le premier assouplissement coordonné depuis août 2023.

Xi Jinping s'efforce également de renforcer son contrôle sur le pays. Par exemple, Xi a personnellement convoqué une réunion des hauts gradés de l'Armée populaire de libération à la mi-juin, dans le but de rappeler que la loyauté au sein de l'armée était primordiale. Il a réaffirmé la nécessité de maintenir la primauté absolue du parti communiste sur l'armée, ce qui signifie en fait la loyauté envers Xi lui-même en tant que chef suprême.

Conclusions

Compte tenu de la faiblesse de l'économie, le renminbi a subi des pressions à la baisse soutenues par rapport au dollar américain, comme en témoigne l'écart qui s'est creusé entre le taux spot et le fixing «mid-point» quotidien (la PBoC applique une politique de change administrée qui limite les fluctuations quotidiennes autour du fixing à +/-2%, voir le graphique ci-dessous). Toutefois, les autorités semblent déterminées à limiter la faiblesse de la monnaie et à faire du renminbi le point d'ancrage des taux de change régionaux.


Un autre effet de la morosité de l'économie a été la pression à la baisse exercée sur les rendements de l’obligation d’état chinois (CGB) à dix ans, qui ont atteint des niveaux historiquement déprimés autour de 2,2%, un niveau que la PBoC juge trop bas. C'est pourquoi la banque centrale a annoncé, début juillet, qu'elle interviendrait dans les échanges en empruntant des CGB aux banques et aux «primary dealers» pour les vendre à découvert sur le marché, créant ainsi un plancher de facto pour les rendements. Cela signifie qu'il y a peu de chances que les prix des CGB augmentent dans un avenir prévisible.

Le contexte économique n'est pas favorable aux actions chinoises. Toutefois, les valorisations sont bon marché - les principaux indices se négocient entre 7,5 et 11,2 fois les bénéfices estimés. Les prévisions de croissance des bénéfices restent encourageantes: elles vont de 8,8% pour l'indice offshore Hang Seng China Enterprises à 19,6% pour l'indice onshore CSI300. Cela suggère que le risque de baisse des actions chinoises est limité et qu'il pourrait y avoir un potentiel de hausse considérable si les nuages au-dessus de Pékin se dissipaient.

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