Morosité et tergiversations

Steven Bell, BMO Global Asset Management

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La Fed prend du retard, les chiffres sont peu réjouissants et Noël s’annonce bien morose au Royaume-Uni.

©Keystone

L’inflation a encore augmenté aux Etats-Unis et, selon les dernières données publiées, cette augmentation a été plus importante que prévu. Les marchés anticipent désormais une première hausse du taux des fonds fédéraux en juillet de l’année prochaine et un total de 2,5 hausses d’ici la fin 2022, mettant sous pression la crédibilité de la Réserve Fédérale. Avant la publication de ces données, le «décollage» était attendu pour septembre prochain avec moins de 2 hausses. Mais, en fait, la Fed devrait déjà être en train de relever ses taux et sera probablement forcée d’agir dès le printemps prochain. 

L’erreur de la Fed

Ce retard de la Fed pourrait provoquer un véritable désastre politique pour le président Biden et risque d’enclencher une récession aux Etats-Unis dès 2023. Début 2021, la Fed a fait valoir que la hausse de l’inflation était transitoire et la reprise du marché du travail si fragile que la meilleure politique était de garder le pied sur l’accélérateur monétaire. Cette opinion se révèle aujourd’hui clairement erronée. L’inflation est bien plus élevée que prévu et, bien que le chômage américain soit encore au-dessus de ses niveaux pré-Covid, l’inflation salariale a augmenté et le nombre de postes vacants atteint des niveaux record. En tardant à relever les taux, la Fed risque de devoir le faire de manière beaucoup plus rapide à la fin de l’année prochaine et, en freinant trop brutalement, de précipiter l’économie dans une récession. Ces signes pourraient bien devenir évidents à la veille des élections de mi-mandat américaines prévues pour novembre 2022.

Même si Lael Brainard est réputée modérée dans ses positionnements, elle pourrait rapidement se rendre compte à quel point la stratégie complaisante de la Fed est une erreur.

En ce moment, Joe Biden est en train de décider s’il reconduira Jerome Powell à la présidence de la Réserve fédérale ou s’il confiera plutôt le poste à Lael Brainard. Une économiste distinguée qui, même si réputée modérée dans ses positionnements, pourrait rapidement se rendre compte à quel point la stratégie complaisante actuelle de la Fed est une erreur. Powell, lui, est un avocat. Et tout comme une économiste n’est pas la personne la plus adaptée pour défendre quelqu’un devant un tribunal, il n’est pas certain qu’un avocat soit le mieux placé pour défendre l’économie américaine.

Des données peu réjouissantes

Les dernières données sur l’inflation salariale aux Etats-Unis ont montré une petite lueur d’espoir. Mesurer les salaires reste un exercice très délicat à l’heure actuelle: 20 millions de travailleurs ont perdu leur emploi pendant la pandémie l’année dernière et 15 millions ont retrouvé du travail cette année. Mais comme ces travailleurs tendent à être mal rémunérés, cela fausse les moyennes. La mesure mensuelle de l’inflation des salaires permet de contourner le problème et elle s’est révélée être bien plus forte que les chiffres, plus familiers, qui accompagnent le rapport sur l’emploi. 

Les chiffres sortis la semaine dernière montrent une légère baisse dans les séries d’une année sur l’autre. Les chiffres concernant l’emploi des femmes ont également baissé, mais restent globalement meilleurs. Reste à comprendre pourquoi. Une autre série indique que les salaires des personnes changeant d’emploi sont en forte hausse. Les entreprises doivent payer plus cher pour attirer de nouveaux travailleurs et elles ne devraient pas tarder à devoir augmenter les salaires de leur personnel existant. Les pressions inflationnistes vont donc continuer à s’accentuer. Plus un mirage qu’une véritable lueur d’espoir. 

Incertitudes en Chine et au Royaume-Uni

Les chiffres pour les ventes au détail et la production industrielle en Chine sont meilleurs que prévus, particulièrement au niveau des ventes des voitures. Mais dans l’ensemble, les données chinoises sont loin d’être solides. Les données pour son secteur immobilier ont été publiées et elles restent faibles. Elles représenteront un frein à l’économie chinoise pendant encore de nombreuses années.

Les prévisions d’une récession américaine en 2023 n’impactent pour le moment pas les actifs à risque et ce marché devrait rester haussier.

Le gouvernement britannique avait prévu de déclencher l’article 16 du protocole sur l’Irlande du Nord dans le courant de la semaine. L’Union européenne avait ensuite riposté en menaçant de déchirer l’accord de libre-échange avec le Royaume-Uni et de perturber ainsi potentiellement les échanges commerciaux à l’approche de Noël. Après avoir cédé à la pression des éleveurs de dindes britanniques et autorisé l’octroi de visas temporaires aux travailleurs européens, Boris Johnson semble avoir également décidé de reporter le déclenchement de l’article 16 au Nouvel An. Il faut dire que le niveau de popularité de ce dernier est faible actuellement.

Quelles conséquences pour les marchés?

Les prévisions d’une récession américaine en 2023 n’impactent pour le moment pas les actifs à risque et ce marché devrait rester haussier. L’économie mondiale continue de se développer et les perspectives de bénéfices se sont améliorées. Les récentes restrictions annoncées en Europe et en Chine n’ont pas d’implications économiques significatives. Ce sont les médicaments antiviraux qui sont importants dans cette phase, d’un point de vue macroéconomique en tout cas, car ils promettent de mettre fin au problème de la pandémie pour les économies développées dès l’année prochaine.

Les tergiversations de Boris Johnson vis-à-vis du déclenchement de l’article 16 n’entraîneront probablement pas une hausse de la livre sterling. La plupart des gens se rendent désormais compte qu’un affrontement majeur entre le Royaume-Uni et l’Union européenne est imminent et que l’économie britannique va au-devant de plusieurs mois difficiles. Les revenus des ménages sont comprimés par des hausses d’impôts, les réductions des allocations et la flambée des coûts de l’énergie. Il y aura bien des dindes et du vin dans les rayons des supermarchés à Noël mais ces produits risquent d’être hors de portée pour un grand nombre de consommateurs britanniques.

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