Lithium: les producteurs enfin libérés

Levi-Sergio Mutemba

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Les revenus commencent à refléter les prix du marché à mesure que les contrats à terme historiques arrivent à échéance.

©Keystone

Tout est dans le prix! Celui du lithium. C’est, à peu de chose près, ce qui explique la performance boursière phénoménale des producteurs de ce métal alcalin ayant dévoilé mercredi leurs résultats trimestriels. L’action du groupe de spécialités chimiques américain Albemarle (capitalisation boursière de 25 milliards de dollars), qui produit également du brome (35% du chiffre d’affaires) et des systèmes de catalyseur (23%), s’est envolée de près de 10% mercredi. Son concurrent américain Livent (5 milliards), un pure player, a bondi de plus de 30% le même jour. Ce faisant, ces performances ont pratiquement bénéficié à l’ensemble du secteur.

Le bénéfice net d’Albemarle bondit de plus de 160% au premier trimestre 2022.

Le groupe diversifié Sociedad Quimica y Minera de Chile (22 milliards), un des principaux exploitants du «triangle du lithium» en Amérique du Sud et qui présentera ses résultats trimestriels le 19 mai, a décollé de plus de 7%. Le géant chinois Tianqin Lithium (112 milliards) s’est pour sa part apprécié hier de 10%. Pour ne citer que ceux-là... Certes, battre les estimations de bénéfice par action (BPA) de 47%, voir sa marge d’EBITDA (ajustée) progresser de plus de 107% sur un an et enregistrer une hausse de 164% du bénéfice net au premier trimestre a sans nul doute soutenu un titre comme Albemarle. Mais ce que le marché a surtout salué sont les orientations de ces entreprises pour le reste de l’année. A savoir que la dynamique des cours du lithium restera intacte, après avoir progressé de plus de 400% l’an dernier.

Toutefois, ce n’était pas gagné pas d’avance pour le secteur. En effet, en dépit de la forte hausse des prix du lithium, peu de producteurs en avaient jusqu’ici bénéficié. Des contrats à terme à prix fixe de longue échéance en empêché plus d’un de vendre leurs concentrés au niveau des prix spot. Dans une note publiée fin février, Fastmarkets, agence d’évaluation des prix des matières premières, dont les estimations servent de référence pour les futures négociés au Chicago Mercantile Exchange (CME) et au London Metal Exchange (LME), relevait en effet que pendant deux ans et demie jusqu’au début de l’année 2021, les prix étaient en tendance fortement baissière. Or c’est sur cette base que de nombreux contrats d’approvisionnement ont été conclus.

Les écarts de prix des contrats les plus récents par rapport au prix spot sont en moyenne de 70%, d’après Fastmarkets. Ils peuvent atteindre 300% pour les contrats signés durant la période baissière du marché du lithium. «Pour le marché du Lithium, les acteurs principaux fonctionnent par contrats longs pluriannuels avec des clauses de revues semestrielles ou annuelles», confirme Michel Wiskirski, gérant au sein de l’équipe actions internationale chez Carmignac, spécialisé dans les ressources naturelles. «Par conséquent, le prix spot pour une tonne de lithium observé sur le marché peut être différent du prix exécuté et donc du prix auquel se source les constructeurs de véhicules électriques», précise Michel Wiskirski.

«Les prix publiés du lithium sous toutes ses formes ont rapidement progressé dans un contexte de marché extrêmement tendu.»

Dès la fin de l’année 2021, les grands producteurs tels qu’Albemarle avaient attiré l’attention sur le fait que leurs structures de tarification allaient comporter une part de variabilité plus importante, afin de mieux refléter la nouvelle dynamique de prix en indexant davantage leurs prix de vente sur les prix exécutés au comptant. «Les prix moyens réalisés devraient désormais être en hausse de 100% cette année, ce qui résulte de la renégociation des contrats à prix variables basés sur les indices de prix du lithium et de l’augmentation continue des prix», a souligné Albemarle mercredi, lors de la présentation de ses résultats.

Or, lors de la présentation précédente des résultats au titre du quatrième trimestre 2021, Scott Tozier, CFO d’Albemarle, avait indiqué que cette hausse serait de l’ordre de 40-45%. Ce qui, à l’époque, était déjà perçu par le marché comme un signal positif. «Les prix publiés du lithium sous toutes ses formes ont rapidement progressé dans un contexte de marché extrêmement tendu et Livent continue d’afficher des prix réalisés plus élevés à travers l’ensemble du portefeuille de produits», a, de son côté, indiqué Paul Graves, CEO de Livent, quelques heures avant la publication des résultats d’Albemarle.

La transition énergétique, qui stimule actuellement la fabrication globale de véhicules électriques, constitue le principal facteur derrière l’explosion des prix du lithium. En effet, la croissance de la demande est telle que l’offre peine à suivre. Selon les estimations, le déficit de production pourrait atteindre environ 60’000 tonnes (d’après Fastmarkets) en 2022, 22’000 tonnes (d’après Benchmark Mineral Intelligence) ou encore 36’000 tonnes d’après les analystes de Citi. Cependant, c’est surtout le retard pris par les producteurs qui explique ce déséquilibre.

«Notre production tendra à favoriser l’hydroxyde de lithium.»

En effet, durant la période de chute des prix du lithium, les producteurs se sont surtout focalisés sur le concentré de carbonate de lithium (Li2CO3) à partir des gisements situés dans les salars du triangle du lithium (Chili, Argentine, Bolivie), ces grands lacs partiellement ou totalement asséchés. Les concentrés d’hydroxyde de lithium (LiOH), plus purs, de meilleure qualité pour les batteries, sont plus facilement produits à partir des roches pegmatites telles que le spodumène (roche formée par la cristallisation des magmas). Mais leur traitement est plus coûteux et, par conséquent, moins rentables, a fortiori lorsque les prix sont bas.

Ce n’est donc que tout récemment que les producteurs ont réactivé des mines destinées à la production de concentrés de spodumène, dont l’Australie regorge et où est basé le producteur pure play Pilbara Minerals (capitalisation de 8,32 milliards), gros fournisseur du marché chinois. Au point que l’Australie, soit dit en passant, produit près de la moitié du lithium dans le monde, tandis que c’est l’Amérique du Sud qui possède les plus vastes réserves et ressources (lithium saumure et lithium hydroxyde combinés).

Aux prix actuels, la production d’hydroxyde est ainsi devenue infiniment plus rentable, d’autant que la Chine est géographiquement beaucoup plus proche de l’Australie. «A mesure que notre seconde vague de projets se met en service, notre production tendra à favoriser l’hydroxyde de lithium», avait déclaré Scott Tozier lors de l’earnings call d’Albermarle en février dernier. Toutefois, même en 2030, lorsque la demande de lithium devrait atteindre entre 1,3 et 2 millions de tonnes d’équivalents carbonates de lithium (LCE), soit une demande environ cinq fois plus élevée qu’aujourd’hui, un déficit de 220’000 tonnes métriques LCE devrait persister. Soulignant l’ampleur et la vitesse de la transition énergétique caractérisée par le boom des véhicules électriques, gourmandes en batteries-ion de plus en plus efficientes.

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