BNS: le début de la fin des taux négatifs?

Levi-Sergio Mutemba

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Le rapport annuel de la Banque nationale reflète un passé très différent de la situation actuelle.

©Keystone

Une guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine est moins à craindre qu’une pandémie. C’est ce que l’on est en droit de conclure à la lecture du rapport annuel de la Banque Nationale Suisse (BNS), publié hier. Certes, par rapport à la récession de l’année 2020, son bénéfice a progressé de plus de 6 milliards de francs à 26,3 milliards l’an dernier. Mais, malgré l’assouplissement significatif des mesures de restriction sanitaires, qui s’est accompagné d’une reprise de l’économie, ce résultat reste inférieur au bénéfice de 48,9 milliards de francs réalisés en 2019. Année durant laquelle les échanges mondiaux avaient pourtant fléchi et les échanges internationaux s’étaient contractés.

«En 2021, la pandémie de COVID-19 a continué, pour la deuxième année consécutive, à marquer l’économie mondiale», atteste la BNS dans son rapport. En revanche, la reprise de la croissance en Suisse (+3,7% en 2021) a été plus rapide que pour l’ensemble des autres pays. Autre fait notable est l’attitude de la BNS sur le marché des changes. Marché dans lequel elle intervient régulièrement depuis la Grande Crise Financière de 2008, afin d’endiguer l’appréciation structurelle de la monnaie suisse. «Par rapport à l’année précédente, la BNS a toutefois dû intervenir moins souvent et de façon nettement moins marquée», souligne-t-elle. Et ce, en dépit d’une appréciation de 4,3% du franc par rapport à l’euro.

«Pour la première fois depuis des années, l’on peut enfin considérer un décollage éventuel des taux négatifs.»

Alors que ses interventions sur le marché des changes avaient totalisé près de 110 milliards de francs en 2020, la BNS est en effet intervenue cinq fois moins l’an dernier (21,1 milliards de francs). Une façon d’exploiter la force du franc afin de contenir l’inflation? Dont la BNS suggère qu’elle devrait rester limitée en Suisse, d’autant que la croissance du crédit n’enregistre pas de progression marquée. Ce qui ne l’empêche pas de revoir ses prévisions d’inflation à la hausse pour 2022.

D’une prévision d’inflation de 0% lors de son évaluation de fin 2020, la BNS prévoyait en décembre 2021, c’est-à-dire avant la crise ukrainienne, une inflation de 1%. Au moment de cette dernière évaluation, les tensions inflationnistes générées par la hausse des prix des produits énergétiques étaient le principal motif des révisions successives d’inflation de la BNS tout au long de l’année dernière.

Samy Chaar, chef économiste chez Lombard Odier & Cie, prévient toutefois que la BNS ne pourra pas se contenter de la force relative du franc pour relever ses nouveaux défis. Et que les taux d’intérêt demeureront un instrument fondamental de sa politique monétaire. «Pour la première fois depuis des années, l’on peut enfin considérer un décollage éventuel des taux négatifs», insiste l’économiste de la banque privée suisse. «Nous sommes dans un contexte qui a fortement changé par rapport à l’année dernière et la BNS, dont le rapport reflète surtout le passé, doit surmonter de nouveaux défis, en termes d’inflation et de flux de capitaux sur le franc suisse, et ce dans un contexte où de nombreuses banques centrales sont en mouvement», défend Samy Chaar lors d’un entretien exclusif avec Allnews.

«Nous n’allons pas passer d’un niveau accommodant à neutre, mais d’un niveau très accommodant à un niveau accommodant.»

«Personne ne peut affirmer que le phénomène des taux négatifs est un phénomène normal. Or les éléments qui le justifiaient sont en train de se dissiper», poursuit l’expert pour justifier une anticipation de relèvement du taux directeur de la BNS peu avant ou peu après celui, également attendu, de la Banque Centrale Européenne (BCE). Samy Chaar précise néanmoins qu’«il y a une séquence» et que l’on ne va pas arriver à des taux zéro en une seule fois.

«Il ne faut surtout pas que la problématique géopolitique dégénère et il est indispensable que la BCE soit en position de remonter ses propres taux une première fois. À partir de là devrait s’enclencher un processus pouvant nous amener à des taux zéro dans le courant de l’année 2023», anticipe Samy Chaar. «La communication de la BCE est suffisamment claire pour suggérer une première hausse des taux en décembre 2022. Si elle bouge, la BNS suivra, selon nous, car elle voudra maintenir l’écart de taux actuel entre l’euro et le franc».

Pour l’économiste, l’inflation récente, combinée à une croissance économique relativement solide, «offre une ouverture» pour davantage de normalité dans la politique monétaire. «Nous n’allons cependant pas passer d’un niveau accommodant à un niveau neutre, mais, disons, plutôt d’un niveau très accommodant à un niveau accommodant», souligne Samy Chaar. Pour qui il n’existe pas, pour l’heure, de risque significatif pour la croissance qui justifierait le maintien des taux à leurs niveaux négatifs actuels. «En présence d’un surplus de croissance et d’épargne, la Suisse peut encaisser les effets du conflit ukrainien, conflit qui fournit également cet excédent d’inflation qui donne le feu vert à la BNS pour un relèvement des taux.»

«Les éléments justifiant des politiques de crise ou d’urgence ont presque tous disparu.»

L’économiste rappelle également que, même en hausse, l’inflation reste bien inférieure à celle des autres pays développés (Japon excepté). «Signe que le franc joue déjà un rôle d’atténuation de l’inflation, mais la réflexion fondamentale repose sur le fait que les éléments justifiant des politiques de crise ou d’urgence, telles que la mise en œuvre de taux négatifs, ont presque tous disparu. Ce n’est pas tant la stabilité des prix qui serait revenue au premier plan par rapport à la croissance, mais le fait que le patient va simplement mieux», détaille l’expert.

Comme le reflète du reste la balance suisse des paiements, également publiée hier par la BNS. Elle fait état d’un solde excédentaire des transactions courantes de 69 milliards de francs. Soit en hausse de 49 milliards par rapport à l’année 2020. Alimenté par les achats de devises par la BNS, les créances des banques suisses sur les banques étrangères et les investissements en portefeuille des entreprises et ménages nationaux, l’excédent du compte financier affiche de son côté une acquisition nette de 119 milliards de francs en 2021 contre une augmentation nette des engagements (passif) de 98 milliards.

Enfin, s’agissant de la position extérieure nette de la Suisse, celle-ci s’élève à 667 milliards de francs. «Nous sommes revenus à un compte courant très excédentaire et cet excès d’épargne contribue à former la marge de sécurité ou tampon de l’économie suisse», réitère Samy Chaar. «Cela dit, nous aimerions voir cet excédent d’épargne être réinvesti dans l’économie intérieure, notamment dans les infrastructures ou le secteur énergétique», conclut-il.

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